Cher Scalp,
Désolé, je vais faire un peu long mais ça vaudra pour toutes les autres réactions similaires qu'il pourrait y avoir. Je prend les devants, ça ira plus vite.
On aurait tort de dire que ta réaction nous surprend car nous étions loin d'être satisfaits nous aussi par ce tome 1. Hé oui, il arrive que, le nez dans le guidon et pour un tas d'autres raisons, on ne fasse pas assez attention à certains choses qui, par la suite, nous énervent durant des années :grrr: (je parle ici autant du scénario que du dessin et de la couleur).
D'un autre côté, nous avons sciemment mis en place une narration un peu risquée qui fait que ce T1 est destiné à se bonifier (du moins nous l'espérons) avec les sorties des albums suivants. Je ne vais pas trop m'apesantir dessus car je préfèrerais remettre cette discussion après la sortie du T2 pour éviter de multiples spoilers
Ceci dit, afin d'illustrer tout de même mon propos, je vais juste reprendre ta critique du "trop fouilli" et te donner ma vision de la chose :
- Au départ, il y avait une volonté scénaristique : puisque l'histoire se passe dans un univers en proie à divers complots, nous avons décidé de placer le lecteur dans la même perspective que nos personnages. Aucun des acteurs de l'histoire ne possède en effet toutes les clefs pour comprendre ce qui est en train de se passer. Chacun détient juste une partie des éléments et se fait dépasser par d'autres, si bien qu'ils nagent quasiment tous en plein brouillard ("Mais nom de dieu, qu'est-ce qui s'est passé ?!" et/ou "Qu'est-ce qui est en train de se passer ?!"). Je compare ça au fameux "brouillard de guerre" propre aux jeux vidéo : on ne montre que ce que le joueur découvre au fur et à mesure. Pour moi, c'était indispensable si je voulais retranscrire l'ambiance propre à une société au bord du gouffre. Si je prends l'exemple des résistants durant la 2nde guerre mondiale, je pense que nombre de leurs actions ont dû leur paraître bien obscures, sans même parler des actions des autres (amis ou ennemis). Désinformation, propagande, secret indispensable, cloisonnement, paranoïa, trahisons, etc, etc., ça n'aide pas à la compréhension des choses.
En général, dans des fictions mettant en place de tels univers, le lecteur découvre un certain nombre d'éléments à travers le regard d'un seul personnage (le héros principal) dont il partage également les multiples interrogations, incompréhensions, surprises, etc. Le but étant que le lecteur s'identifie le plus possible au personnage et se sente concerné par son devenir au point de ne plus lâcher le récit jusqu'à sa résolution finale. Parfois le scénariste donne certaines clefs au lecteur lui permettant de prendre de l'avance sur le héros, parfois c'est le héros qui a compris certaines choses avant le lecteur, le tout permettant de saupoudrer la lecture de multiples surprises, coups de théâtre, etc.
L'idée du "Déserteur", c'était, plutôt que de découvrir et mettre peu à peu en place les pièces d'un vaste puzzle, de montrer tout le puzzle d'un coup mais de manière complètement éclatée, chacun des protagonistes en détenant une partie. Mais une partie qui, toute seule, ne se suffit pas à elle-même pour comprendre ne serait-ce qu'une partie du puzzle entier (ça va, on me suit ?).
Ensuite, dans les tomes suivants, nous attaquons une narration par personnage afin de réunir peu à peu toutes ces pièces et surtout qu'elles "s'éclairent" mutuellement.
En résumé : tout ou presque (et je dis bien "tout ou presque") est déjà dans le T1 et chaque tome devrait vous le faire voir sous un nouveau jour que j'espère de plus en plus lumineux.
Reste qu'à l'arrivée :
- C'était super-risqué et, si c'était à refaire, je ne le referais pas ainsi. En effet, je ne peux en vouloir à nombre de lecteurs de lâcher dès le T1 et de ne pas faire l'effort d'acheter la suite d'un album qu'il a trouvé particulièrement obscur.
- Il nous a manqué quelques pages sur ce T1 pour éviter ce "trop complexe" qui en a dérouté certains. Je précise que je ne me plains pas du format, sachant très bien dès le départ que j'avais 46 pages et pas 54. C'est tout bêtement le problème d'un premier album (je l'ai écrit avant "Toussaint 66") dans lequel on veut tout mettre, qui s'est étalé sur 3 ans et qui a subi de multiples évolutions scénaristiques en cours de route. Sur le moment, on a trouvé ça super de se remettre en question en permanence et de passer notre temps à rajouter et enlever des éléments. On ne peut pas dire qu'on se soit ennuyé, ça c'est sûr...
Mais voilà : ce genre de scénario, et en 46 pages de surcroît, demande une mécanique bien huilée où tout doit être prévu, presqu'à la case prêt. Ce ne fût pas le cas et on ne m'y reprendra pas. Le T2 a ainsi été entièrement écrit (page par page et case par case) avant même qu'Obion ne commence à le dessiner et après avoir pris 3 mois de réflexion suite à la sortie du T2 (je l'ai écrit en novembre 2003). Et nous n'avons pas changé une seule scène durant sa réalisation. Je pense donc (j'ai maintenant un peu de recul car l'album est quasiment terminé depuis quelques semaines) que cet album sera bien plus cohérent et mieux construit que le premier. C'est bien sûr tout le mal que je nous souhaite et le plaisir que je vous souhaite...
Et surtout que, suite à sa lecture, le T1 prenne déjà une autre dimension. Pas énormément encore car l'important était de commencer à répondre à certaines choses sans pour autant en balancer le plus possible et tomber dans l'excès inverse.
Enfin, un dernier truc (qui ne s'adresse pas à l'ami Scalp particulièrement, hein, on ne se connaît pas) : ce n'est pas une série purement "divertissante". Un autre sujet actuellement parle de "Fantasy sérieuse" par opposition à des albums plus tournés vers l'aventure et l'humour comme Lanfeust. Qu'on soit clair, je ne critique pas ce genre qui offre bien sûr autant de maîtrise scénaristique quand c'est bien écrit. Quoiqu'on dise sur Lanfeust, on ne vend pas 300 000 exemplaires en faisant de la soupe pour les cochons (même le dernier qui n'existe même pas
)
Mais une série comme "Le Déserteur" n'est clairement pas à placer dans ce genre-là. Ce qui fait que, quoiqu'on fasse, elle en dégoûtera certains. Pour moi la fantasy n'est pas un genre, c'est un type d'univers. Et comme tout univers, on peut y placer des récits d'humour, des polars, de l'aventure, du thriller, etc. . Après, chacun voit ce qu'il préfère...
Bon, hmm... Désolé, j'ai vraiment été long (qu'est-ce que ça va être quand l'album sera sorti...
)
Bon, je sors et je vais travailler maintenant. C'est pas tout ça mais bon...
Bises à tous,
Kris.