Beaucoup aimé ma lecture ! Un très bon Peeters, une fois de plus.
Pour revenir sur un point avant toute chose : à ceux qui prétendent ne pas aimer son évolution, qu'ils se repenchent sur Koma qui date d'une douzaine d'années, sur Pachyderme, ou plus récemment sur Aâma... Le fantastique fait depuis longtemps parti de l'univers créatif de Peeters et en ce sens L'odeur des garçons affamés s'inscrit tout à fait dans la lignée de sa production.
Je ne trouve vraiment pas le récit si obscur que ça... et ne tentez surtout pas Andréas dans ce cas... Parce qu'un Rork, ou un Capricorne, ou un Arq est quand même 100 fois plus obscur...
Alors oui il y a une part d'onirisme et de fantastique et on peut se laisser porter par cette ambiance. L'atmosphère se suffit à elle-même... Pas de problème...
Mais pour ceux qui veulent décortiquer toutes les cases :
-Pourquoi le cheval a tête de mort apparait à l'arrière de la photo qu'il a coupée pour mettre la tête de son ex dans la montre gousset.
--> Pas certain qu'il s'agisse d'une tête de cheval mort, il peut très bien s'agir d'un portrait avec un cheval en chair et en os derrière.
Ou bien on peut le lire comme une sorte de pré-figuration du destin qui va s'accomplir : ce jeune homme dont le photographe était amoureux ressemblant étrangement à la jeune fille. Ce jeune homme lui apparaît en rêve, avec un cheval aussi d'ailleurs...
- Pourquoi l'indien n'apparait pas dans l'objectif quand il prend une photo
--> Pour nous faire comprendre qu'il s'agit d'un être particulier, un indien shaman... Ce n'est pas un indien ordinaire, on le voit à la réaction des autres indiens. On le voit aussi dans sa relation particulière avec les protagonistes, il les observe, quelque part il les attendait même je dirais, car de leur union nait une force particulière. Et cela est révélé déjà par les dessins sur la parois de la grotte.
- A quoi correspondent les dessins que fait le chaman dans la grotte ou le photographe et Milton feront l'amour?
--> Pour le premier dessin moi je les vois comme la réunion d'une sorte de pouvoir élémental, celui du cheval lié à la jeune fille, et celui du poisson lié au photographe. ces deux pouvoirs vont être réunis dans un but précis.
Le photographe a la capacité de voir les totems de certaines personnes, ou tout du moins de les révéler au travers de son talent photographique ce qui est une application littérale de la chimie : son art comme révélateur, comme l'est le révélateur qui dévoile l'image sur le négatif. Il voit l'esprit du cheval lié à l'indien sur la photo. Il capte la présence de l'esprit du cheval dans les paysages qu'il photographie.
Pour le second dessin, là c'est plus un dessin "magique/symbolique" : les deux sortes de "W" inversés, je les vois comme une interpénétration de deux univers opposés. Et en l'occurrence ici comme l'interaction dans le monde visible du monde invisible, du pouvoir élémental du cheval et du poisson qui, unis, détruisent le géologue, celui qui a la capacité d'anéantir le monde où vivent les indiens, sorte de personnification du mal en quelque sorte...
- Que fait le gamin a la fin avec la tête de cheval ?
--> L'indien Shaman réunit donc le photographe et la jeune fille, et il les protège dans un cercle magique qui va leur permettre de ne pas être touché par les forces destructrices déclenchées par leur pouvoir. Il les guide aussi, il sert de catalyseur en quelque sorte : du doigt il pointe sa cible : le géologue. Il donne la tête de cheval à la jeune fille. Par elle son pouvoir est décuplé : elle a la capacité non seulement de parler aux chevaux mais à travers cette tête, aux esprits des chevaux, au pouvoir élémental du cheval. Il y a donc une double horde qui arrive : les mustang et les chevaux élémentaux.
Donc les chevaux piétinent, et le poisson ou élément eau en fait — et c'est même encore plus proche de la solution du révélateur chimique abordé plus haut — disloque. On le voit dans cette image finale où le corps du géologue est piétiné par les sabots mais est aussi disloqué par l'élément eau qui le traverse en arrière plan sur la page, ce qui est aussi une manière de transcrire graphiquement l'acte de transpercer...
- J'ai lu ici que l'animal Totem du photographe est le cheval. Il me semble pourtant que c'est le poisson.
--> En effet
- Pourquoi semble t' il aspirer la vie du photographe ?
--> Lorsque le totem du photographe apparaît, celui-ci est en mode rêve/transe. Son corps est donc en quelque sorte désincarné...
Lors d'une de ces transes la jeune fille apparaît sur un cheval et tire un coup de feu, ce qui semble avoir pour effet de lui faire reprendre conscience tout en restant dans le monde chamanique...
- Quelle est la signification de l'épilogue? Rêve d'un mourant. Vision du paradis ( Or Milton ne meurt pas donc pourquoi serait il dans le monde des esprits) . Milton a t 'il aspiré l'âme du photographie qui vit maintenant en lui? Etc
--> Alors ici on pourrait se laisser aller sans doute à plusieurs interprétations possibles. Pour ma part je vois les choses comme ceci : on a une palette de couleurs différentes de celles de la réalité, palette bleutée et pastelle que nous avons vu chaque fois que les totems apparaissent, donc le monde magique, le mode des esprits. Je pense donc qu'il s'agit du monde des esprits dans lequel se trouvent à présent le photographe et la jeune fille. Leur enveloppe charnelle n'a pas résisté dans leur union finale pour la destruction du géologue. Ils sont morts dans le monde réel (n'oublions pas que le photographe s'est de toute façon pris une balle dans le ventre à bout portant), mais "plus vivants que jamais" là où ils sont à présents. Ils ont aussi tout leur temps dorénavant, sous entendu que là où ils ne seront plus affecté par le temps...
- Je ne parle pas du chasseur de prime mort vivant vampire qui suce le sang de tout un cheval à le rendre exsangue. Cela est un élément fantastique du récit sans explication mais clairement compréhensible.
--> C'est ici pour moi le seul élément fantastique fantastique en lui-même si je puis dire : je n'y vois pas d'explications à donner, hormis de contribuer à rajouter un élément fantastique à l'histoire...
Voilà pour mon interprétation de ces éléments "obscurs".
Du grand art donc cet album, encore une fois Peeters frappe fort, comme à chacune de ses productions !
En plus de cette ambiance atypique, il y a un sens aigu des dialogues, des regards et de la mise en scène. On sent que tout est longuement réfléchi et de cette construction pensée et maitrisée nait une fluidité remarquable au service de la narration. La chaleur, l'érotisme et la tension des personnages sont palpables. Il y a beaucoup d'incarnation.
Au tableau honorifique une ombre : une planche cependant m'a déçu, celle de la page 37, surtout sur la partie haute, pas à la hauteur des 103 autres planches et du talent habituel de l'auteur. Elle donne le sentiment d'avoir été bâclée, dommage...
4/5