ubr84 a écrit:Je mets une dernière citation qui me parait assez intéressante (c'est de l'histoire du mouvement nucléaire et écolo à priori pas de prise pour une polémique, critiquable mais pas polémique
):
[le nucléaire] a toujours baigné dans une idéologie d’énergie illimitée et peu chère, permettant de poursuivre une croissance sans limites : « Les promoteurs du programme électronucléaire [dans les années 1970 en France] sont avant tout les concepteurs d’une société fortement consommatrice d’énergie, ce qu’ils considèrent alors comme la condition sine qua non d’une forte croissance économique de la France. » [in Topçu, Sezin, La France nucléaire, Seuil, 2016, p. 45.] Et c’est pourquoi toute l’histoire du mouvement écologique, né entre autres de la prise de conscience des limites de la croissance, s’est en même temps opposée vigoureusement au développement de l’énergie nucléaire, qui prétendait faire sauter la limite de l’approvisionnement énergétique.
Ben oui, mais ça, tout le monde le sait, non?
En fait, peut-être que ma perspective belge est différente de la tienne.
Les mouvements écologistes en Belgique me semblent avoir pris une place importante à la fois dans la société et en politique depuis bien plus longtemps qu'en France.
Le terreau des écologistes en Belgique, ça a été dès le début l'opposition au nucléaire liée à un profond anti-militarisme (manifestations contre la présence de missiles de croisière américains sur le sol belge,...).
Déjà dans les années 80, ça avait un large écho médiatique (je m'en souviens très bien vu que ça suscitait à l'époque de fortes oppositions entre mon paternel et moi).
Mais dans mon souvenir c'était plus centré sur les dangers du nucléaire que sur des questions de limites à la croissance (ou en tout cas, ces considérations me semblent avoir été périphériques). Ca vient sans doute du fait que, bien que la Belgique compte des centrales nucléaires, elle n'est absolument pas une puissance industrielle nucléaire comme la France.
En Belgique, il y a aujourd'hui un programme de retrait du nucléaire. Il ne sera certainement pas appliqué dans les délais fixés et peut-être ne sera-il jamais appliqué mais ça veut dire que c'est un sujet dont on peut discuter. Alors qu'en France, je pense que c'est un sujet qui n'est pas dans le domaine de l'envisageable. Ce qui amène sans doute à une polarisation très grande entre un pro-nucléaire comme Jancovici et le gars de reporterre.
Ceci dit, le nucléaire chez Jancovici, ce n'est plus du tout une source d'énergie qui va nous porter vers la croissance infinie.
C'est au contraire, selon lui, une énergie nécessaire pour lisser dans le temps les effets destructeurs de ce qui nous attend, pour réduire au maximum les effets de contrainte qui vont s'appliquer dans le monde qui vient et les rendre le plus acceptable possible par la population dans le cadre d'un système politique démocratique tel que les nôtres.
Contrairement au délire du gars de reporterre sur le prétendu peu de goût de Jancovici pour la démocratie, on voit très bien que Jancovici voit le nucléaire comme un moyen d'éviter l'effondrement subit de nos sociétés, ou à tout le moins des contraintes ingérables qui nous plongeraient sans doute dans tout autre chose que la démocratie. Le nucléaire chez Jancovici, c'est un bouclier nécessaire si on veut éviter le basculement dans une situation où la cohésion sociale ne pourrait être maintenue au sein d'un système démocratique.
Alors, évidemment, un gars qui présente le nucléaire comme une condition nécessaire (mais peut-être pas suffisante) de maintien d'un système démocratique, ça fout des boutons à un anti-nucléaire comme Kempf.
Attaquer Jancovici sur son peu de goût pour la démocratie, c'est une contre-vérité et Kempf le sait pertinemment bien. Et c'est ce genre de discours à base d'éléments tronqués et dévoyés de leur véritable signification que je trouve dégueulasse dans son article.
Après, moi, ce qui m'intéresse dans le discours de Jancovici, en fait, c'est pas tellement de savoir si on a un besoin impérieux du nucléaire ou pas. En fait, le volet nucléaire du discours de Jancovici, ça me touche assez peu.
Ce que je trouve gênant, c'est qu'il le défend de manière maladroite et caricaturale mais en ce qui me concerne l'essentiel est ailleurs.
Par contre, oui, c'est évident que pour des anti-nucléaire canal historique, ça doit rester coincé dans le fond de la gorge.
"Ca ne résout pas vraiment l'énigme, ça y rajoute simplement un élément délirant qui ne colle pas avec le reste. On commence dans la confusion pour finir dans le mystère."
Denis Johnson - "Arbre de fumée"