Jetjet a écrit:Justement ça je le savais mais quelle violence le dérange tant sur KJ par rapport aux autres récits qu'il a écrit ? Celle de Neonomicon ou m'eme de Watchmen est quand même pas mal élevée non ?
P..., tu lances la balle en terrain miné, l'air de rien !
Si je me souviens bien, c'est surtout la gratuité de la violence en question que Moore a par la suite "reniée".
La représentation de la violence me semble finalement plus mesurée - et, par ailleurs, moins caricaturale - dans
Watchmen. Est-elle au-delà de toute critique ? Apparemment pas : Gail Simone notamment, en janvier 2012, est revenue sur son Tumblr sur ce qu'elle pensait de ce titre, plus particulièrement de la façon dont Moore traite la tentative de viol du Comédien sur le premier Spectre Soyeux.
Pour ceux qui lisent la v.o.,
c'est là. Pour les autres, elle liste ce qui lui semble être un ramassis, "stupide dans des proportions épiques", de tous les clichés existants sur le viol. J'avoue cependant ne pas être vraiment convaincu par la plupart des éléments de cette liste, qui, me semble-t-il, tord outrancièrement l'œuvre dans son optique polémique. Admettons (et encore...) que l'on puisse juger que "la victime est au moins partiellement responsable, du fait de son choix de vêtements" - mais la question de la tenue sexy du Spectre Soyeux est large et complexe, au point d'ailleurs qu'on peut se demander si c'est bien "son choix". Prétendre que dans
Watchmen "l'homme qui s'oppose au viol ne le fait que parce qu'il est gay" est une lecture pour le moins biaisée. Etc.
Mais à tout le moins, quoi qu'on pense de la représentation de la violence au sein de ce titre, on admettra que son propos, par ailleurs, est autrement plus ambitieux que "finalement Batman et le Joker sont aussi fous l'un que l'autre". La comparaison avec
Neonomicon me semble, en revanche, plus problématique (façon de dire qu'elle tape peut-être assez juste, en effet).
La nuance que je serais tenté d'y voir, c'est que la violence subie par le personnage féminin (Barbara Gordon d'un côté, Merrill Briars de l'autre) ne sert pas les mêmes fins en termes de narration. Barbara est handicapée à vie (enfin, du moins jusqu'au reboot de 2011
) et, selon toutes apparences, violée devant son propre père (lui-même humilié), uniquement pour servir de moteur aux motivations du héros masculin : c'est un pur outil aussi bien pour l'auteur comme pour le Joker, dans le but de trouver le "levier" qui fera "craquer" Batman. Pour le coup, il est assez indéniable qu'on est totalement dans la logique que dénonçait Gail Simone dans les années 90 quand elle parlait du syndrome des "
Women in Refrigirators" dans l'industrie des comics. Dans
Neonomicon en revanche, ce que subit l'agent Briars impacte sa propre histoire, son propre développement, et ultimement, lui fournit les armes pour se retourner contre ses premiers agresseurs (... et toute l'humanité). On est dans les eaux extrêmement ambiguës idéologiquement du
rape and revenge, mais on peut juger que c'est en quelque sorte "moins pire"...
Toutefois l'importance qu'on accordera à cette nuance reste à l'appréciation de chacun, on pourrait sans doute aussi bien dire qu'avec
Neonomicon Moore s'est fait rattraper par ses vieux démons... En particulier depuis, d'une part,
l'interview en 2011 de Grant Morrison - l'éternelle némésis de Moore, et réciproquement - dans
Rolling Stone, au détour de laquelle celui-ci mentionnait ce qui lui semble être une "obsession" de Moore pour le viol ("
We know Alan Moore isn't a misogynist but fuck, he's obsessed with rape."), et d'autre part, en 2013, le clash Internet qui a suivi un tweet critique sur une conférence de Moore, la question de la surreprésentation du viol dans les titres de Moore (
Miracleman,
V pour Vendetta,
Watchmen,
The Killing Joke,
Filles perdues, les différents cycles de la
Ligue des Gentlemen Extraordinaires,
Neonomicon...) a pris une telle ampleur que dans les pays anglo-saxons du moins, elle semble désormais devenue une pierre d'achoppement inévitable ces dernières années dans toute réflexion ou presque sur le barbu de Northampton. Au point que même son hagiographe Pádraig Ó Méalóid n'a pas pu s'empêcher de poser la question dans ce que Moore a présenté, en janvier dernier, comme l'ultime interview de toute sa carrière. Malheureusement, la réponse n'est pas forcément très belle à voir
et l'interview en elle-même, qui donne l'impression de plus servir à régler des comptes quinze pages durant qu'à répondre véritablement aux critiques qu'on lui fait, a suscité, de façon générale, plus de consternation qu'autre chose...