Le peuple des endormis raconte l'itinéraire du jeune Jean, artiste et empailleur, qui, à la mort de son père, s'embarque pour l'Afrique sous les ordres du fantasque Monsieur de Dunan... Nous sommes au XVIIème siècle et Louis XIV règne. L'histoire originale est un roman de Richaud que Tronchet a adapté en BD. C'est un récit initiatique classique (Jean, tel Candide, découvre la réalité de la vie et le monde).
Qui dit adaptation dit choix, car il est impossible de retranscrire l'intégralité d'un roman en images. Le résultat ici est une BD un petit peu bancale, la narration souffrant beaucoup du passage de l'écrit au mode BD, on a un peu l'impression d'avoir affaire à une succession de "moments" plutôt qu'à un récit suivit.
Mis à part cette observation, Le peuple des endormis est une excellente BD. Tronchet a eu visiblement beaucoup de plaisir avec ces personnages. Jean s'ouvrant à la triste réalité du monde (annonçant les Lumières), Moïse le garde-du-corp sénégalais hilare et surtout Monsieur de Dunan, une espèce de Munchausen coureur de jupon n'hésitant de pas à inculquer les principes de Vauban à un roi sénégalais pour se protéger d'un mari en colère. C'est drôle, grinçant et terriblement sombre en même temps. Pas étonnant que cette histoire ait séduit Tronchet tant elle reprend d'éléments chers au créateur de l'illustre Raymond Calbuth (l'explorateur en appartement) : l'enfance innocente car coupée de l'extérieur, l'illusion de la grandeur (et le ridicule de ceux qui la pourchasse) et le rire ce premier et dernier rempart face à l'horreur du quotidien passé ou présent.
Au dessin, tant l'Afrique de Là Bas était lumineux tant Le peuple des endormis est sombre. Ce traitement renforce le ton grave de l'histoire. Le trait caractéristique de Tronchet est efficace (Tronchet c'est Tronchet on aime ou on n'aime pas à chacun de voir
).
Mise à part une narration un peu spéciale (adaptation oblige), le Peuple des Endormis est un excellent dyptique qui mérite entièrement sa place chez Aire Libre.