CHASE est une série lancée début 1998 et malheureusement annulée à la fin de la même année après dix numéros. Le TPB, sorti en 2012, comprend le numéro 550 de
Batman, les numéros 1 à 9 + le numéro
1,000,000 (lié à l'
event éponyme) de la série régulière, et une foultitude de courts épisodes estampillés
Secret Files sur lesquels je reviendrai plus loin.
Antérieure d'un peu moins de deux ans à
Promethea,
Chase représente l'un des premiers travaux de J.H. Williams III au dessin, qui, de plus, cosigne ici les scénarios avec Dan Curtis Johnson, de son "vrai métier" programmateur chez Apple, dont c'est l'une des très rares incursions dans le domaine qui nous intéresse ici -- la plus développée et la plus notable, aussi. Johnson signera par la suite une poignée d'histoires courtes en 10 pages pour diverses anthologies
80-Pages Giants de DC, un arc de 5 numéros, "
Snow", pour la série
Legends of the Dark Knight (pour lequel il retrouvera son compère J.H. Williams III), et... c'est à peu près tout. Une production parcimonieuse qui ne l'empêchera pas de se retrouver sur le
Hall of Fame personnel de Gail Simone, justement pour sa création et son traitement du personnage de l'agent Cameron Chase.
Chase est une ex-détective privée fraîchement engagée par le DEO (
Departement of Extranormal Operations, alias en français le DEUS, Département des Évènements Ultra-Spéciaux). En introduction à la série, le personnage tout comme l'agence font conjointement leurs premières apparitions dans
Batman #550, et la façon dont ils le font est déjà intéressante. En effet, bien que le numéro soit principalement signé par Doug Moench et Kelley Jones, la dizaine de pages mettant en scène Chase, qui, sur la route qui doit la mener à New York prendre son poste, croise ici celle du chevalier noir sur la piste d'un avatar de Clayface, sont déjà dessinées par Williams.
Si celui-ci n'est pas encore au sommet de son art, son style est déjà reconnaissable et tranche déjà de façon (à mon avis) plutôt positive sur le reste des planches (mais je confesse mon peu de goût pour le dessin de Kelley Jones de manière générale). De plus, cet effet d' "appropriation" graphique se double d'un effet de sens "signalétique", qui deviendra plus clair par la suite lorsque des épisodes, faisant plus ou moins office d'interludes, reviendront sur le passé de Chase à San Francisco avant son embauche par le DEO -- Williams ne signant alors que les planches du récit-cadre, le corps principal des épisodes, en flashback, étant alors assuré par d'autres dessinateurs (respectivement Bob Hall et Charles Adlard). Une façon assez élégante de palier, je suppose, aux difficultés pour J.H. Williams III à tenir le rythme de publication (il n'a jamais été réputé être un rapide !) sans que le changement de style graphique paraisse arbitraire.
L'agent Chase est donc un personnage évoluant dans un univers de super-héros, enquêtant sur, et occasionnellement travaillant avec, des super-héros, et qui... n'aime pas les super-héros. -- À l'opposé de sa sœur, Terry, une authentique
fan-girl (ce qui nous vaut, en passant, quelques aperçus assez amusants de la pop-culture et du
merchandising dans un monde où les super-héros existent), Cameron Chase n'éprouve guère que méfiance et dédain pour les justiciers costumés. Et, il faut le reconnaître, elle a plutôt une très bonne raison pour cela. Curtis et Williams dessinent un personnage complexe, faillible, auquel on ne penserait pas tout de suite à attacher le qualificatif d' "aimable" mais qui emporte néanmoins la sympathie, et autour de laquelle gravitent tout un entourage professionnel, familial et amical, efficacement campé, en plus, bien entendu, des caméos de "supers".
Cette manière de présenter le monde des héros et vilains de DC par le prisme d'une approche plus "terre à terre" apparaît rétrospectivement comme annonciatrice d'un
Gotham Central, tandis que certains passages rendant compte des enquêtes de l'agent Chase ne sont pas sans faire penser aux types de narrations qui allaient bientôt faire connaître un Brian M. Bendis. Inutile de dire que
Chase ne connut pas le même succès puisque la série fut vite arrêtée, et, pour ajouter à la frustration de la chose, après un des épisodes d' "interlude" déjà mentionnés, laissant plusieurs pistes inexplorées aussi bien dans le passé que dans le présent de l'héroïne. La dernière partie du TPB est consacrée à des histoires courtes (voire ultra-courtes) tirées de
DC Universe Secret Files,
Secret Files Guide to the DC Universe,
Superman: Our Worlds At War Secret Files,
JSA Secret Files,
The Flash Secret Files,
The Joker: Last Laugh Secret Files,
Batgirl Secret Files et
Hawkman Secret Files, dans lesquelles Chase ne fait guère que jouer les utilités pour exposer aux lecteurs les arcanes de l'univers DC, dépourvue de tout ce qui faisait sa personnalité.
Malgré cette triste fin en queue de poisson, la série mérite d'être redécouverte, pour la qualité de son scénario et de ses dessins, et aussi pour le grand nombre d'idées que Johnson et Williams sont arrivés à semer en deux poignées de numéros. Ostrander y puisera pour son
Martian Manhunter, Chase elle-même sera reprise notamment par Andreyko pour son
Manhunter (que je n'ai pas encore lu) puis par Williams lui-même pour
Batwoman, et le DEO a fait depuis son bonhomme de chemin dans l'univers DC jusqu'à finir sous les feux des projecteurs (dans une version certes plutôt... aseptisée) dans la série télé
Supergirl (puis à nouveau dans la plus récente série papier, avec Chase officiant désormais comme directrice).