Il y a un ou deux ans de ça (je crois), Rafik Djoumi avait fait toute une série d'émissions-entretiens (chacun d'une heure / une heure et demi) sur le thème des séries sur le site @rrêt sur images. J'ai été particulièrement marqué par celui avec Martin Winckler, qui analysait les différences de fonctionnement sur cette question entre la télé française et les télés étrangères (américaine principalement bien sûr, mais pas que : je me souviens d'une comparaison de
Joséphine, justement, avec... une série scandinave mettant en scène de façon réaliste le quotidien d'une colocation de trisomiques - joués par de vrais trisomiques - s'installant dans un quartier
).
Dans les grandes lignes, les différences pointées étaient les suivantes :
- Les séries télé U.S. sont faites, y compris au niveau des instances de décision, par des gens qui aiment ce média, et qui, souvent, en viennent - on a vu par exemple des acteurs, y compris des stars, passés à la réalisation ou à la production. Ces gens-là sont des fans de séries et puisent leur inspiration dans ce qu'ils aiment. Les personnes à l'initiative des projets présentent des "pitchs" à des gens qui sont du métier et qui donnent ou pas leur accord pour lancer la prod (après, c'est l'audience qui décide si ça marche ou pas...). L'objectif premier d'une série américaine est de raconter une histoire captivante. Pour cela, les auteurs vont puiser un peu partout, y compris dans l'actualité, et si la série développe un "message", c'est généralement qu'il est venu ainsi se greffer sur cette histoire. Et bien sûr il y a un vivier d'acteurs talentueux tels que les chaînes peuvent se permettre de mettre en concurrence des stars et de leur faire passer des castings, même pour des rôles secondaires.
- En France (expliquait toujours Winckler), les décisions sont prises par des décideurs à des postes administratifs qui sont totalement coupés de la réalité du métier, et dont la mentalité dominante n'a fondamentalement pas changé depuis l'ORTF. Il s'agit d'éduquer le bon peuple, de faire passer un message. Une fois qu'on a le message, on convoque par copinage les stars habituelles si on veut faire une production "de qualité" (les adaptations littéraires de Josée Dayan quand j'étais jeune, plus près de nous
Un village français...). Et éventuellement, après, on brode un semblant d'histoire là-dessus. Évidemment, comme on sait ce qui est bon pour le téléspectateur, on expurge d'emblée un certain nombre de choses (impossible d'avoir un héros homosexuel, par exemple, ou d'évocation de l'actualité politique), de même qu'on continue de censurer aujourd'hui comme il y a trente ans les séries étrangères au doublage (impossible, même pour montrer le cynisme du personnage, de présenter le Dr. House conseiller à un patient, en guise de remède, de fumer trois cigarettes par jour : en VF, il lui conseille trois bols de riz... et le patient de se demander si ce n'est pas addictif...
).
Une anecdote parmi bien d'autres issues de cette émission : en 2001, Winckler étant à la fois médecin, auteur à succès (avec
La Maladie de Sachs), et sériephile, France 3 lui propose de collaborer à une série ayant pour héros un médecin, devant prendre la suite de
Docteur Sylvestre (ce sera
Fabien Cosma). Winckler se pointe donc, rencontre les autres scénaristes, découvre l'intrigue du premier épisode... et leur explique que non, on ne peut pas de façon réaliste montrer le médecin forcer la porte d'une maison pour embarquer une mineure que ses parents sectaires refusent de soigner... parce que dans la réalité, le médecin qui fait ça se retrouve aussitôt en taule pour kidnapping, et se fait rayer de l'ordre. Au grand minimum, il faudrait faire apparaître la chose comme un dilemme moral pour le personnage, ce qui pourrait au moins constituer un élément de tension dramatique. On lui répond que l'objectif n'est pas d'être réaliste, mais de faire passer le message auprès des spectateurs que "les sectes, c'est mal".
France 3 lui a ensuite payé sa journée de travail en lui disant qu'en fait, pour la suite, ça n'allait pas être possible...