plus intéressant, une ITW de Mourad Boudjellal qui s'explique sur son soutien à Estrosi en PACA :
Jeudi soir, Mourad Boudjellal a choisi une autre tribune que celle du stade Mayol de Toulon. A Antibes (Alpes-Maritimes), le président du Rugby club toulonnais (RCT) est monté sur le podium pour annoncer qu’il soutenait Christian Estrosi, tête de liste Les Républicains pour les régionales des 6 et 13 décembre en Provence-Alpes-Côte d’Azur. Un soutien à une droite locale - dont les propos ont pourtant des tonalités identiques à celles de l’extrême droite - inattendu pour un homme qui a voté et soutenu la gauche par le passé.
Ce choix, il l’a décidé, dit-il, pour faire barrage aux «chemises noires» du FN et parce qu’il considère que la gauche n’a aucune chance de l’emporter.
Lundi, en fin d’après-midi, on retrouve Mourad Boudjellal dans le hall de son hôtel à Paris, proche de la gare de Lyon, histoire de comprendre un choix qui en dit long sur ce qui menace la gauche : voir une partie de ses électeurs, par peur du FN, choisir la droite dès le 1er tour.
Pourquoi ce choix de soutenir Christian Estrosi - j’insiste sur ce point - dès le 1er tour?
Parce que je suis intimement convaincu qu’aujourd’hui, malheureusement, l’intérêt individuel de certaines personnes à gauche, risque de passer avant l’intérêt collectif. La gauche peut ne pas se retirer (dans l’entre-deux tours pour faire barrage au FN, ndlr) parce que quelques postes de conseillers régionaux c’est toujours intéressant quand il y a 5 millions de chômeurs. J’ai vécu ça à Toulon en 1995. A l’époque, j’ai aidé le candidat socialiste. Et j’ai assisté à une réunion où on a dit : «Il vaut mieux ne pas se désister, que le Front national prenne la ville parce que si la droite garde la ville, il y en a pour 30 ans. Le FN, on les fera dégager la fois d’après et on aura une chance de gagner.» C’était un choix délibéré de la gauche de mettre le FN aux affaires sans mesurer les conséquences de ce qu’on allait se prendre dans la gueule pendant 7 ans.
Mais pourquoi ne pas laisser leur chance aux candidats de gauche et réserver ce soutien dans l’entre-deux tours?
Parce que je ne rêve pas. Cette élection en Paca, c’est un duel entre Marion Maréchal-Le Pen et Christian Estrosi. Un soutien au second tour aurait été vu comme un soutien de dépit. Aujourd’hui, malheureusement, il faut que les gens réalisent: tant que nous n’aurons pas analysé les vraies raisons de la montée du FN et mis en place une politique de répartition des richesses différente de celle d’aujourd’hui - et c’est pas demain la veille - le Front national, inéluctablement, est appelé à prendre le pouvoir. Tout ce qu’on peut faire, c’est repousser l’échéance.
Vous ne pensez pas qu’Estrosi, avec des propos comme celui sur la «cinquième colonne» islamiste qui menacerait la France, alimente le FN?
Sur l’intégrisme, je peux avoir un discours plus violent que lui. J’ai toujours trouvé d’une connerie absolue les gens qui pensent qu’il vaut mieux vivre après la mort et veulent l’imposer aux autres. Ce qu’a pu dire Estrosi, ce n’est pas pire que «le bruit et l’odeur» de Jacques Chirac. Ça ne nous a pourtant pas empêchés de voter pour lui en 2002! Christian Estrosi, je le connais assez bien. J’ai déjeuné plusieurs fois avec lui. Il m’avait contacté parce qu’il voulait organiser des matches du RCT dans son nouveau stade à Nice. Il ne m’a jamais fait mauvaise impression. Peut-être qu’avec moi il cache son jeu! Mais quand vous regardez la liste de Maréchal-Le Pen, on retrouve des types comme Philippe Vardon, les Jeunesses identitaires, des mecs à la droite de Göring et Goebbels!
La gauche répond qu’Estrosi et Le Pen c’est «la même chose»…
Non. Les seuls qui ont intérêt à voter Maréchal-Le Pen aujourd’hui, ce sont les charcutiers parce qu’ils augmenteraient leurs chiffres d’affaires grâce aux cantines scolaires… Non, ce n’est pas la même chose. On peut être en désaccord avec certaines de ses idées, mais Christian Estrosi est un républicain. Et il n’a pas le même projet: le sien sera de gérer la région. Marion Maréchal-Le Pen s’en fiche totalement. Elle ne comprend rien à l’économie. Le FN va vouloir gérer la région en «bon père de famille», voire en «bon grand-père de famille»… Faire le minimum de choses pour ne pas commettre de faute avant 2017. Ils ont retenu les leçons de 1995. Mais en temps de crise, la dernière chose à faire est de ne pas prendre de risque, de ne pas investir. Marion Maréchel-Le Pen ne parle que d’économies pour la région, ce qui est à la portée du premier crétin venu! Dans le programme de Christian Estrosi, il y a une volonté de création de richesses, d’investissements. Au passage, si cette région n’était pas source d’élection pour l’extrême droite, Marion Maréchal-Le Pen ne serait pas venue ici. Elle est venue dans le Vaucluse étant certaine d’être élue députée. Elle est un peu comme les migrants venus chercher la lumière dans une région plus favorable. Elle aussi est une immigrée par intérêt: ce qu’elle reproche aux autres!
Vous parlez de «vraie répartition des richesses» pour faire barrage au FN, c’est un discours de gauche pourtant?
On vit une mutation du monde du travail avec un régime fiscal qui date encore des années 1950. Tant qu’on n’aura pas compris qu’il faut changer les règles fiscales pour les sociétés, on n’y arrivera pas. Tant qu’on n’aura pas compris qu’il faut prélever à la source la Net économie - sinon l’évasion fiscale continuera - on ne sortira pas de cette crise. Pourquoi Amazon peut-il vendre des millions de livres en France et ne pas payer un centime? Le libraire, lui, paie bien ses impôts en France, non? Les multinationales peuvent faire leur chiffre d’affaires en France mais payer leurs impôts ailleurs par un simple jeu d’écriture. Ce n’est pas normal. Je suis aussi pour la taxation des opérations boursières. Parce que c’est le grand capital qui dirige aujourd’hui.
En fait, vous êtes un mélange de Macron et Mélenchon!
L’économie virtuelle a pris le pas sur l’économie réelle. Or la première n’est pas taxée et la seconde est surtaxée. Tant qu’on n’est pas capable, à l’échelle de la planète, de faire payer cette économie virtuelle délocalisée, le FN grandira en faisant croire aux gens des conneries du genre «c’est la faute aux étrangers». Après, sur le contrat de travail, j’ai un désaccord avec Mélenchon : pour moi, c’est un contrat entre deux personnes pour créer de la richesse. Il peut y avoir débat sur la répartition de cette richesse. Par contre, s’il n’y a plus de création de richesse, il n’y a plus de débat. Et ce discours-là, à gauche, il ne passe pas trop…
Mais justement, la tête de liste PS dans cette élection, Christophe Castaner est un des rapporteurs de la loi Macron et considéré comme plutôt ouvert sur ces questions-là…
Est-ce que vous pensez que si le PS avait une chance de passer, ce serait lui la tête de liste ? Ils nous ont envoyé un mec pour perdre. On l’a envoyé à l’abattoir. Michel Vauzelle [président PS sortant de la région, ndlr], qui est un félin de la politique, si ça sentait bon, il y serait allé.
On vous sent déçu de la gauche…
Etre de gauche ou de droite, ça ne veut plus rien dire aujourd’hui. Je suis un mondialiste. J’ai compris que rien ne pourra se gérer à l’échelle d’un pays. J’ai compris aussi que la planète s’est réduite, que la culture est devenue commune: les enfants qui naissent sur la planète lisent les mêmes livres, écoutent les mêmes chansons, les mêmes séries télés… Et la culture a toujours préfiguré le monde de demain. Quand Marine Le Pen explique que «l’identité française s’en va», elle a raison. Mais elle ne s’en va pas parce qu’il y a des étrangers. Elle s’en va parce qu’il y a une uniformisation de la culture à travers la planète. Parce qu’aujourd’hui, la gamine de huit ans connaît Violetta et plus Bécassine. C’est comme ça. Après, à Toulon, si des gens de gauche votent Hubert Falco [de droite, ndlr] c’est qu’il n’a pas été un mauvais maire et parce qu’il y a une gauche d’une pauvreté intellectuelle qui fait peur ! Quand je vois les gens qu’on nous a proposés, je n’avais pas envie de leur confier les clés de la ville.
Qui souhaitez-vous convaincre avec ce soutien?
Les gens de gauche et tous ceux visés pas le Front national. Je leur dis : «Attention si Marion Maréchal-Le Pen passe, vous allez déguster. Vous ne pourrez pas dire qu’on ne vous a pas prévenus.» Mais je le répète : si je soutiens Christian Estrosi, je ne fais pas campagne pour lui.
Vous n’avez pas fait de don à Christian Estrosi par exemple…
Absolument pas. Je n’entre pas en politique. Par contre, je dis aussi aux gens de gauche qu’en lui apportant mon soutien, je serai vigilant. Je garde ma liberté : si Christian Estrosi dit ou fait n’importe quoi, ça ne m’empêchera pas, s’il est élu, de lui rappeler pourquoi il a été élu. Je ne lui donne pas carte blanche. Un soutien, ça peut s’apporter mais ça peut aussi se retirer.