Voici le post d'hier que j'ai involontairement effacé, je le réécris de mémoire :
Lu enfin le HS des Cahiers de la BD consacré au père de Tintin.
Je souscris aux commentaires de Carbo (voir post plus haut), et particulièrement sur l'importance des lettres dont certaines nous restent inconnues.
Pierre Assouline, que je critique par ailleurs ci-dessous, affirme (p9)avec justesse que "
le secret d'une biographie réussie c'est l'accès aux correspondances privées"Dans son interview, à côté de pertinentes analyses, cet historien littéraire marque sa différence avec d'autres biographes, non nommés. Mais c'est bien Serge Tisseron comme chef de file de cette approche psy qui est visé quand Assouline déclare "
je me méfie de certains biographes qui pense que Hergé enfant aurait subi le poids d'un secret de famille"(p7).
Libre à chacun de se faire une opinion à ce sujet, mais Assouline enfonce le clou de l'historien pur et dur quand il fait part de"
son incompréhension du choix de Hergé pour la Chine et contre le Japon" à rebours du milieu réactionnaire de ses amis et du
Vingtième siècle, (p9).
C'est minimiser la valeur scoute intangible de Hergé pour l'équité, et l'influence de l'abbé Gosset puis de Tchang sur cette âme sensible à l'injustice (et l'invasion de la Mandchourie en est une).
De même, Assouline récuse une lecture politique du
Sceptre d'Ottokar. C'est nier l'évidence !
C'est en lisant l'interview de Benoît Peeters,( biographe précis et acteur du 9ème art comme scénariste), que l'on peut mesurer la différence d'approche avec celle de Pierre Assouline (excellent biographe, historien, mais extérieur à la bande dessinée) : ainsi, sur l'épisode de Hergé souhaitant s'exiler en Argentine en 1948, Assouline, contrairement à Peeters,ne rappelle pas le contexte qui vit en 47 Jijé, Franquin et Morris partir au nouveau-monde, puis Pratt en 49. Certes les motivations divergent, mais il fallait resituer brièvement ce mouvement qui fut un moment dans l'histoire de la bande dessinée.
LEAUTAUD a écrit:Un reproche que je peux adresser prioritairement à Assouline, en ce qu'il incarne le biographe validant son propos à partir des archives et de manière non-impressionniste, c'est l'absence que je constate dans son travail, et dans celui de TOUS les biographes de Hergé (mais chez Assouline c'est davantage regrettable) d'une mise en parallèle des dates de publication de l'Etoile mystérieuse dans le Soir volé et des dates de promulgations des mesures antisémites de l'occupant allemand en Belgique.
Car la "responsabilité" morale de Hergé ne pèse pas de la même façon, selon que ses dessins antisémites (Blumenstein, et les 2 cases bien connues, ensuite censurées pour l'album) soient parus AVANT ou APRES les dites-mesures, que Le Soir volé a d'ailleurs du reproduire dans ses pages, à côté des aventures de Tintin...
Aucun biographe, à ma connaissance, n'a effectué à ce jour les recherches nécessaires (pourtant indispensables)
Le temps fort de la revue est à mes yeux le document inédit produit par Etienne Pollet, le fameux contrat liant Hergé à Casterman depuis la guerre. Exceptionnel !
Par contre, aucun commentaire sur le point majeur de ce contrat, la fixation une fois pour toutes (puisque Hergé n'a jamais modifié les clauses) du droit d'auteur à 10% ! Ce qui est confondant, quand on sait l'explosion des tirages après-guerre. Un Céline à la même époque avait exigé et obtenu 16% de Gaston Gallimard. D'autres grands auteurs ont su mieux négocier, tels Simenon ou un Frédéric Dard rachetant sa maison d'édition.......edit:
pour Dard rectif bienvenue de Cabarezalonzo, voir son post)
Dans ce numéro consacré à Hergé, je relève quelques omissions regrettables et des approximations, mais ce sont là péchés véniels, la revue tient la route sur l'essentiel.
Ainsi de ce titre incongru de Patrice Guérin (p52) à propos du Journal de Tintin "
Tintin, Blake et Mortimer, et Comanche" Ce dernier apparaît plus de vingt ans après les autres, et bien des héros des débuts pouvaient être cités à meilleur escient.
En rappelant que Hergé avait ouvert sa doc aux époux Funcken en 1953 pour leur
Chevalier Blanc, Guérin omet de dire que le scénariste était alors Raymond Macherot, intéressé à l'affaire lui aussi. Mais bon...
De même, pourquoi Nicolas Tellot n'a t-il pas cité dans les 6 pages qu'il consacre aux collaborateurs des
Studios, Josette Baujot et Azara. Ce dernier est toujours là, et il est aussi la mémoire de Josette, la chef coloriste. Acte manqué ou pression éditoriale ?...
Au-delà de ces quelques réserves j'ai vraiment apprécié le travail, c'est un beau document d'approche sur l'auteur, à mettre entre toutes les mains. Y compris ce "
Hergé était-il un coureur de jupons", de Olivier Roche, qui décrit un Hergé à l'oeil allumé et aux mains baladeuses, apparente contradiction avec celui qui ne supportait pas les blagues salaces et faisait montre de pruderie aux Studios.
Pierre Sterckx, à propos de
l'Alph-Art évoque le meurtre de Tintin (l'assassinat serait une plus juste qualification) en l'analysant si intelligemment que j'en étais ému. Il écrit que la fin de
l'Alph-Art est une "
profession d'exclusive paternité"
Comme c'est juste. Le voici l'introuvable testament de Hergé sur son oeuvre. Il interdit moralement avec cette exécution de son héros toute tentative de reprise. C'est beau !
Je termine ce tour d'horizon critique en disant tout le plaisir que j'ai eu à lire Numa Sadoul et ses pertinentes vues et assertions originales (une mine d'informations) sur Hergé.
Il nous donne l'espoir que le manuscrit original (ce graal) de ses entretiens paraîtra,"
un jour, peut-être..." (p87)
ps : J'ai remarqué moi aussi l'absence regrettable du biographe majeur qu'est Philippe Goddin. Mais je sais qu'il est très pris par ailleurs par de nombreux projets en cours.