corentin a écrit:- La version colorisée de 'Tintin au Congo' n'est pour l'instant prévue qu'à 500 exemplaires car problème avec Casterman.
Je me mets un peu à la place de Casterman : ils viennent de co-éditer avec Moulinsart "Les tribulations de Tintin au Congo" (version francophone traduite à partir de celle parue en 1940 dans le journal Het Laatste Nieuws) et l'arrivée d'un autre Congo, colorisé celui-là, pèserait sans doute un peu sur les ventes des Tribulations, même si, à la base, ce n'est pas le même public qui est ciblé. Mais les deux livres en parutions rapprochées, ça pourrait créer une confusion, notamment dans l'esprit de ceux qui achètent sur les sites marchands (et se plaignent après coup qu'ils croyaient recevoir autre chose, délivrant dans la foulée une mauvaise appréciation au bouquin et non pas à l'annonce équivoque).
Je ne suis pas certain d'ailleurs que les ventes actuelles des Tribulations soient à la hauteur des espérances.
Pour ma part, ce Congo version Petit XXe colorisé ne me tente pas des masses. Même ramené à 500 exemplaires... Cette décision critiquable va juste avoir pour effet d'entraîner une vile spéculation sur une "version aberrante" qui n'aura même pas été supervisée par Hergé (tout comme celle des Soviets en couleurs, mais dont le tirage a été lui surestimé).
Hergé avait en revanche autorisé dans les années 70 son studio à coloriser deux histoires dans leur version Petit XXe pour une publication dans la version française du journal Tintin,
Le Lotus Bleu (1978-79) puis
Le Sceptre d'Ottokar (1980), épisodes remarquables, quelle que soit la version d'ailleurs, pour les récits eux-mêmes. Ce travail avait été accompli avec soin par les coloristes attitrés de la série, travaillant dans un premier temps sous la direction de Josette Baujot elle-même contrôlée par Hergé (elle prendra sa retraite en 1979).
La couverture inédite annonçant le Lotus Bleu (et le contenu détaillé) du n°161 du 10/10/1978
http://lejournaldetintin.free.fr/affich ... menu_id=71Et celle annonçant Le sceptre d'Ottokar du 9 octobre 1980 (presque deux ans plus tard jour pour jour)
http://lejournaldetintin.free.fr/affich ... menu_id=73Malgré le sérieux de cette entreprise, ces histoires parues dans le Petit XXe doivent en premier lieu être découvertes et lues dans leur jus initial.
Prenez par exemple votre album du Lotus Bleu à la page 16 et comparez la demi-planche du haut avec les mêmes cases dans la version en noir et blanc (ici il s'agit de la planche, la partie en bleu ressort en grisé dans le journal ou les albums en n&b).
http://www.bellier.org/le%20lotus%20ble ... /vue31.htmVous comprendrez aussitôt qu'Hergé se livrait à des expérimentations plastiques, à un travail de création artistique poussé prenant en compte la contrainte formelle de l'usage du noir et blanc... Au passage, je trouve qu'on sent davantage la houle dans la version en n&b compte tenu de la disposition des cases dans la version d'origine. Dans les deux vignettes du haut de page (n&b), l'oeil du lecteur est au niveau de la surface de l'eau comme s'il se dirigeait vers la petite embarcation en faisant la brasse.
Et pour cette formidable utilisation des contrastes entre masses noires et blanches, on ne peut pas prétendre qu'Hergé s'est inspiré d'Hugo Pratt, ni même de Milton Caniff, son contemporain, la publication du Lotus Bleu ayant débuté avant celle de Terry et les Pirates. Et dans les premiers strips de Caniff d'octobre 1934, ce dernier ne maîtrisait pas encore la science des clairs obscurs que lui dispensera son ami et collègue Noël Sickles.