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Gotlib (1934 - 2016)

La Franco-belge classique, reboot, reprises et grands auteurs

Re: Gotlib

Messagede Pseudo inconnu » 02/03/2014 20:55

Message précédent :
Dark-Ranma a écrit:Oh oui ! Il a beaucoup fait pour la BD et a repoussé les limites de celle-ci. Il a aussi inspiré un grand nombre d'auteurs actuels mais aussi des comiques tels que "Les Nuls". Et que dire des Rubriques-A-Brac... du grand art !!!

Oui : L'Intégrale est d'ailleurs préfacée par Alain Chabat !
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Re: Gotlib

Messagede Dark-Ranma » 02/03/2014 22:04

Pseudo inconnu a écrit:
Dark-Ranma a écrit:Oh oui ! Il a beaucoup fait pour la BD et a repoussé les limites de celle-ci. Il a aussi inspiré un grand nombre d'auteurs actuels mais aussi des comiques tels que "Les Nuls". Et que dire des Rubriques-A-Brac... du grand art !!!

Oui : L'Intégrale est d'ailleurs préfacée par Alain Chabat !

Encore un qui m'a procuré aussi beaucoup d'éclats de rire. :lol:
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Re: Gotlib

Messagede juju13 » 09/03/2014 13:11

Dommage que le maitre n'ait pas fait un dessin ou texte pour le hors-série. la couv est déjà parue quelque part ? le dernier dessin de Gotlib paru n'est pas celui pour le spécial Monty Python ?
Le forum consacré à René Goscinny : http://goscinny.forumculture.net/
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Re: Gotlib

Messagede nexus4 » 13/03/2014 11:04

Trois planches de Gotlib décryptées par le maître himself :
http://www.telerama.fr/livre/gotlib-on- ... a-20140313
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Re: Gotlib

Messagede leian » 13/03/2014 13:13

Sympa ! Merci Nexus.
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Re: Gotlib

Messagede lulu1508 » 14/03/2014 11:45

Marcel Gotlib existe : nous avons rencontré le dieu de notre enfance

Fabrice Pliskin
Par Fabrice Pliskin
Publié le 13-03-2014 à 19h13

Le Musée du Judaïsme consacre une exposition au créateur de Superdupont. Fabrice Pliskin, ému, s'est rendu chez lui.

Marcel Gotlib existe. Nous avons rencontré le dieu de notre enfance, dans sa demeure du Vésinet, ce vert séjour des divinités et des super-héros, où les géants se mirent dans des lacs artificiels. Nous sonnons, la porte s'ouvre. Un caniche accourt. Autant dire que nous pénétrons dans «la Quatrième Dimension».

Vêtu de noir comme un méchant de James Bond, haut comme Yoda, le grand petit homme ressemble à sa Coccinelle. Son abord est jovial et circonspect. Olympien et faubourien, le mage de «Pilote», de «l'Echo des savanes» et de «Fluide glacial» a l'accent des titis de la butte Montmartre, au bas de laquelle il a grandi. Cet ancien gros fumeur de Marigny soufre d'emphysème. Il porte un masque nasal à oxygène, dont, sur son passage, il fait claquer, comme un fouet, l'interminable cordon de caoutchouc, d'un grand geste brusque et virtuose, par-dessus les fauteuils et les tables.

Gotlib a de magnifiques mains, celles-là mêmes qu'il dessine à ses personnages. A l'aspect de ces longs organes de pianiste extraterrestre, dont chacun semble avoir six doigts, des fantasmes gotlibiens submergent votre âme. Un genou à terre, vous lui baisez voracement les phalanges, l'écume aux lèvres, à moitié étranglé par le cordon de son masque qui s'enroule sept ou huit fois autour de votre cou, en susurrant ces paroles hystériques: «Maître, notre plus belle histoire d'amour, c'est vous ! Maître, le Panthéon, caveau 24 ! Près de Victor Hugo, sinon rien !»

C'est la faute à Gotlib

Ce n'est pas la faute à Rousseau. C'est la faute à Gotlib. A l'âge où Jean-Jacques s'enivrait d'héroïsme en dévorant Plutarque, nous nous grisions de Superdupont. Quand nos graves aînés de Mai s'engageaient, nous nous dégagions en lisant «les Dingodossiers». A eux, la révolution et l'«Internationale» ; à nous, la dérision, ce dissolvant universel. Les cinq tomes de la «Rubrique-à-brac» étaient les Tables de notre absence de Loi.

Gotliberté, j'écris ton nom ! Pleins des maximes de Hamster Jovial, nous faisions la grève du sens. Car le sens, c'était déjà le commencement de la propagande. Etait-ce là notre manière de bouder le monde dogmatique des adultes et des assassins? De ressusciter la poésie après Auschwitz? Le rire vertigineux que nous inspirait Marcel Gotlib était-il notre antitotalitarisme à nous? Ou, au contraire, ce doux empoisonneur avait-il infusé à notre jeunesse le mortel venin du nihilisme?

Dans «l'Homme qui rit» de Victor Hugo, le roman préféré de Gotlib, les comprachicos enlèvent les enfants et les mutilent pour les changer en monstres. Démiurge bouffon au charme invincible, Gotlib était-il le comprachico de notre génération? Son comique difforme avait-il fait de nous des monstres ricaneurs et négateurs, inaptes au lancer de pavé, des sociopathes perdus pour l'essor collectif, le redressement national, la construction européenne - ou sa souveraine contestation?

A l'époque où nous découvrions l'existence avec Gai-Luron et le Professeur Burp, la dérision avait, pour ainsi dire, un sens : elle s'opposait au sérieux qui la dominait de toute son arrogance. La posture était avantageuse. Nous excellions dans le rôle de David contre Goliath. Nous briguions l'oscar. Aujourd'hui, Gotlib a 79 ans ; le vieux djihadiste de la parodie ne dessine plus depuis 1985, tout lasse ; la mode est simultanément à la dérision et à la critique de la dérision pure qu'entonnent, comme un tube, tous les parfaits catéchumènes de Hannah Arendt.

"Moi, la religion, je trouve ça con"

Dans son vaste bureau orné de planches originales de Franquin ou d'Uderzo, l'homme qui rit évoque ses années d'Occupation, au moment où le Musée du Judaïsme consacre une exposition érudite aux «Mondes de Gotlib». Fils d'Ervin Gottlieb, juif hongrois de Roumanie assassiné à Buchenwald, et de Régine Berman, juive de Hongrie, le dessinateur découvre qu'il est juif à 8 ans, le jour où sa mère lui coud une étoile jaune sur la poitrine.

Après l'arrestation de son père, en 1942, le jeune Marcel se cache à Rueil-la-Gadelière, en Eure-et-Loir. Là, pour tromper sa solitude, il sympathise avec une chèvre. Cette histoire d'amitié, Gotlib l'a dessinée en 1969, dans «Chanson aigre-douce», non sans retrancher ce souvenir agreste de son contexte historique, pudiquement camouflé en «orage». L'exposition revient sur ce silence en forme de chèvre.

La religion juive, je ne lui ai jamais dit adieu, ni bonjour, ni bienvenue, explique l'auteur. Moi, la religion, que ce soit celle des juifs ou des musulmans, je trouve ça con. J'avais 14 ans quand ma mère s'est soudain rappelé que je devais faire ma bar-mitsva. Si on m'avait demandé mon avis, j'aurais dit que ce n'était pas la peine.

Anti-calotin, Gotlib se sent on ne peut plus juif mais aussi «plus français que juif». Né à Paris un 14 juillet, le dessinateur de Superdupont n'a jamais mis les pieds en Israël, ni en Hongrie. Fils d'un peintre en bâtiment et d'une couturière, son terroir, c'est le XVIIIème arrondissement de Paris, son école, rue Ferdinand-Flocon, et sa bibliothèque:

A la fin des années 1950, quelqu'un m'avait conseillé de lire Céline, raconte cet autodidacte qui a arrêté ses études en classe de troisième. Je fonce à la bibliothèque. Je prends un volume de Céline. Je lis quelques pages et je repose le livre. Manque de pot, c'était ''Bagatelles pour un massacre''.

Selon son autobiographie, Marcel Gotlib aurait trouvé un père de substitution en René Goscinny, père d'Astérix et rédacteur en chef de «Pilote» aussi surdoué que pudibond, se souvient Gotlib. C'est l'époque où il travaille «avec jouissance, dix à douze heures par jour» à sa chapelle Sixtine, la «Rubrique-à-brac», dans un atelier si minuscule qu'il inhale «deux fois» la fumée de ses cigarettes : activement puis passivement. C'est l'époque où ce fils de déporté collabore avec un fils de milicien : le dessinateur Druillet, prénommé Philippe en hommage au «Goebbels français» Philippe Henriot. Le fruit de ce travail commun est une parodie de science-fiction («l'Allée aux cent collines»).

De "Pilote" aux "cochonneries"

« J'ai fini par me sentir à l'étroit à "Pilote" et puis douze ans de psychanalyse m'ont donné le courage de faire des cochonneries.» Gotlib dessine son premier phallus dans «Hamster jovial et les louveteaux», qui paraît dans «Rock & Folk». Alleluia ? Ce démoniaque en dessinera d'autres. J'en passe et des meilleurs, comme dit Victor Hugo. Le Musée du Judaïsme, à qui rien de ce qui est humain n'est étranger, en expose certains. Dans «l'Echo des savanes», Gotlib, soucieux de valoriser les vertus et les voluptés du vivre-ensemble, dessine Cosette en train de sucer Jean Valjean. Autre chose que la Bibliothèque rose de Jean-Francois Copé, messieurs dames !

Paradoxe. Gotlib a tété Victor Hugo dont il a parodié «Notre-Dame de Paris», Marcel Aymé ou Alphonse Allais, mais il n'est pas un «gros lecteur de BD». Hergé lui déplaît et sa ligne claire, qu'il trouve «trop sage. Son dessin ne me touche pas. Je préfère la ligne sombre de Franquin... Et puis je me suis toujours demandé si Hergé était antisémite...» Quand on lui parle de la nouvelle génération et, en particulier, de Joann Sfar :

Je n'ai pas lu ses BD, car je suis d'abord attiré par le graphisme plus que par une histoire. Il appartient à cette école actuelle que j'appelle «l'école Gribouillis». Je déteste ce style. Quand Sfar dessine Brassens, un de mes maîtres, je ne peux pas voir ça...

Comme nimbé d'une gloire d'or, le géant de petite taille nous raccompagne à la porte de son manoir magique, en donnant, çà et là, de frénétiques coups de fouet en caoutchouc, par-dessus les meubles et les caniches. Dans le jardin, une méchante averse nous transperce les os et claque sur les feuilles. Trempé de pluie, de gratitude et de mélancolie, nous songeons, tout ruisselant, à cette pensée de Kafka qui sied si bien à notre inestimable vieux maître: «La grande époque du bouffon est sans doute passée et ne reviendra plus. Qu'importe, j'en aurai joui jusqu'au bout.»

Fabrice Pliskin

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Re: Gotlib

Messagede TILLIERTON » 14/03/2014 21:02


Il est déjà paru. C'est un "collector" et il reprend quelques-uns de ses meilleurs gags (choix difficile !) tout au long de sa longue carrière

C'est une réédition à paraître prochainement et une excellente autobiographie
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Re: Gotlib

Messagede TILLIERTON » 14/03/2014 21:07

Euh! toutes mes excuses à Rokkapokka et Ghib qui l'avaient tous deux déjà signalé plus haut. Bon, ça mérite un rappel !
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Re: Gotlib

Messagede mbouglion » 14/03/2014 22:20

Beau texte de F. Pliskin ...
Le passage "Cette histoire d'amitié, Gotlib l'a dessinée en 1969, dans «Chanson aigre-douce», non sans retrancher ce souvenir agreste de son contexte historique, pudiquement camouflé en «orage»." me rappelle la comptine qui m'est restée gravée en mémoire depuis que je l'ai lue dans Pilote : "leblesmouti ? labiscouti ? oui le blesmou labiscou". Il y des trucs bizarres qui marquent, cette rubrique à brac par exemple ...
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Re: Gotlib

Messagede pabelbaba » 27/03/2014 18:05

Quelqu'un a lu Les Mondes de Gotlib? Je l'ai feuilleté, c'est bien illustré avec quelques scans d'originaux et des gags un peu rares, mais j'ai peur du rédactionnel écrit en très très gros... :D
Mais à devoir choisir entre la peur du vide et la nausée des trottoirs... j'aurais sans doute fait comme eux.

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Re: Gotlib

Messagede Olaf Le Bou » 31/03/2014 08:21

un autre beau texte sur Gotlib, décidemment très inspirant ces temps-ci :

http://laregledujeu.org/rossi/2014/03/2 ... -denfance/


Comme tous les génies méconnus et modestes, Marcel Gotlib ne fait pas parler de lui. Pourtant, son œuvre, tous ses albums de bande dessinée, ses dessins inoubliables, son trait si caractéristique, où la ligne nette et industrielle pastiche avec une précision hilarante ou bien, soudain monstrueusement folle, bascule dans la loufoquerie pure, tout cela a marqué des générations de lecteurs, toute une foule plus ou moins assumée de passionnés, qui, sans en croire leurs yeux, ont le droit en ce moment même à une exposition du maître, ce maître à présent retiré du monde et dont l’humour farouche ne chante qu’aux rayons du soleil qui se couche, ce maître qui réussit donc l’exploit de faire rire les visiteurs sous les hautes salles du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, de ce rire irrépressible, intelligent et joyeux, qui, pour moi, est la meilleure des madeleines de mon enfance.

Marcel Gotlib est né en 1934, et a, pendant deux ou trois décennies, aux côtés de Goscinny, Fred, Tabary, Druillet, en duo avec les fondateurs de Pilote, ou, plus tard, aux manettes de Fluide Glacial, profondément rénové, amélioré et enrichi l’humour de bande dessinée, à sa manière, humble et patiente, celle d’un artisan ironique, un vieux boutiquier obscur et minutieux, plein d’autodérision et de gentillesse pure. Il l’a fait créant des personnages assez inoubliables tels Superdupont ou Gai Luron, et pour tout vous dire, Gotlib est un artiste si fascinant que son ami Georges Perec lui rendit hommage avec l’un de ses canulars les plus drôles, qu’on peut lire dans cet étrange ouvrage qu’est Cantatrix Sopranica L., et qui consiste en un éloge pompeux, lyrique et totalement délirant d’un certain Professeur Gotlib, censé avoir révolutionné les lois de la botanique (« La récente attribution du Prix Nobel de botanique expérimentale à Marcel Gotlib, son élection triomphale à l’Académie des sciences de Lille-Roubaix-Tourcoing et sa nomination comme conseiller plénipotentiaire pour les affaires sociales scientifiques et culturelles auprès de l’Assemblée européenne, sont venues concrétiser l’estime unanime dans laquelle était tenue, depuis plusieurs années, l’oeuvre de ce chercheur infatigable, etc. ») . Goût du pastiche érigé en politique générale de l’existence, précision ferme et précise dans la parodie devenue une fantaisie mozartienne, subversion délicieuse des codes officiels et des clichés les plus épais, haine de l’esprit de sérieux, délectation devant le mécanique tiré jusqu’à l’absurde et plaqué sur le réel, la vie, entre ces deux-là, Perec et Gotlib, avait donc ciselé des amours symétriques et des passions jumelles, toutes dans l’ombre portée d’un événement fondamental, qui avait ravagé leurs deux jeunesses, la Shoah et ces « ces autobus remplis d’enfants, place de la Contrescarpe » dont parlait jadis Merleau-Ponty dans les Temps Modernes. Marcel G., ou le souvenir d’enfance.

C’est donc ce passé terrible, Gotlib ayant perdu son père dans les rafles françaises de l’Occupation, qui vaut d’ailleurs au dessinateur de figurer au programme du Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, un angle ramené à ses justes proportions par cette exposition à la fois intelligente, claire et ludique. A l’appui de la démonstration de cette part « juive » de l’oeuvre, malgré tout discutable, cette planche, il est vrai incroyable, où, bien des années avant Art Spiegelman, Gotlib revisite le déménagement du marché de Rungis, depuis les Halles Baltard jusqu’à la banlieue et ses hangars, tout cela depuis le point de vue des rats de Rungis, qui finissent, dans la folie et la déchéance, par mourir un à un dans cette prison nouvelle et clinquante, purifiée au gaz et quadrillée par les forces du mal.

Néanmoins, ce n’est pas pour cela que l’on vient voir, rire, et admirer Gotlib en son musée. C’est pour le dessin, toujours élégant, très net, les hommes aux épaules carrées, les visages hitchcockiens, la ligne claire, et puis, ici, tout à coup la forme rondouillarde, potache, les perspectives impeccables contaminées par la démonstration improbable et les explications fumeuses. A chaque fois, et c’est vrai pour les planches les plus remarquables de son œuvre, Gotlib, en gros, se propose de vous expliquer quelque chose : les mystères de la hyène ou du crocodile, comment dresser son chien, ce que font l’hiver les autochtones du bord de mer, quelles sont les phrases typiques que l’on entend au restaurant. Des « Dingodossiers », scénarisés par Goscinny, en passant par ses propres divagations, c’est un rire extrêmement complexe, une mécanique de l’humour infiniment subtile et délicate qui est mise en œuvre. Et, comme le professeur Burp, scientifique absurde qui finit une fois sur deux par parler de toute autre chose en se recevant une pomme sur la tête, me voilà à présent dans le rôle de l’analyste pontifiant : eh oui chers amis, aujourd’hui, évoquons donc la façon qu’a Marcel Gotlib de nous faire rire.

Le premier épiderme du charme de Gotlib, c’est l’ambiance qui règne là dans ces cases, à la fois très tendres et infiniment surannées. La France de Gotlib, c’est la France des Trente Glorieuses, Léon Zitrone et les tableaux noirs de l’école, le journal Pilote et le service militaire. Comme avec OSS 117, celui qui lit Gotlib n’éprouve pas vraiment de la nostalgie pour cette France en noir et blanc, cette France qui dévale la Nationale 7 en 2CV, cette France aux patronymes ridicules et gras, cette France de Maurice Chevalier, de Spirou et des speakrines de l’ORTF. Car Gotlib en montre tout l’envers de bêtise, de certitude bourgeoise, de grandiloquence gaullienne, de mesquinerie sociale, et au final, c’est un mélange de tendresse et d’écoeurement que l’on ressent pour ce passé étrange, plein de puissance industrielle, de modernité nouvelle, d’insouciance hexagonale. La France, alors, se prenait pour les Etats-Unis et copiait cette opulence claire, aux mâchoires carrées qui se trouvait outre-Atlantique. Et, lorsqu’il pousse à plein cette veine subversive, mais jamais gratuite ou « engagée », Gotlib se fait d’une violence cinglante, comme cette planche sur la guerre du Biafra, où, pendant vingt cases, des hommes fringants ou des ménagères occupées plaisantent, discutent et se taquinent, faisant parfois mention de ce drame lointain, ou bien écoutent, à la télévision, des experts en parler gravement avant la page météo. Entre chaque saynète, un petit message « Chaque jour des centaines d’enfants meurent d’enfant » rythme l’égrènement de ces hypocrisies ordinaires, avant que, sur le dernier dessin, le portrait d’un petit africain décharné, nu et seul, conclue l’historiette.

Le deuxième étage du comique gotlibien, ce qui le rend extraordinairement savoureux, c’est son comique du quotidien. Devançant de trente ans toutes les stars du one-man show, et leurs sketches analysant à l’infini nos tracas universels devant une étagère Ikéa ou les chaussures de ski, (« vous connaissez ce moment où ? Vous aussi vous avez déjà, hein ? »), Gotlib invente un genre, où, disons-le, il est un génie. J’ai passé personnellement deux heures à relire intégralement toutes les meilleures planches accrochées au Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme, par exemple celle sur les restaurants (où l’on voit, entre milles gags extraordinaires, cette famille bourgeoise se disputer car, nous prévient Gotlib « c’est dans les restaurants qu’éclatent les conflits » ; « Je veux du foie ! » dit un mari malicieux, et faussement ingénu, ce à quoi sa femme répond qu’il n’en mange jamais à la maison, remarque aussitôt arrêtée par un « ici, ils le font très bien », tout cela mis en images avec un sens unique des expressions et de psychologie, une science du comportement mondain quasi proustienne), ou bien encore cette série sur « les exemples de volonté », qui, pour Gotlib, sont particulièrement remarquables : « Suzanne Fièvre » qui « résiste toujours à la tentation de vérifier une dernière fois l’exactitude de l’adresse sur l’enveloppe, avant de la glisser dans la boîte aux lettres », Raoul Grappe, qui le « 2 septembre 1965 » a « éteint son poste de télévision car le programme ne lui plaisait pas » ou bien enfin Isabelle Couteau qui « n’a jamais fait de bruit avec sa paille, après avoir absorbé la presque totalité du contenu de son verre ».

Le troisième « truc » du comique de Gotlib, c’est la joie, unique, à montrer les coulisses, se mettre en scène, avec une élégance dans l’auto-dérision jamais égalée. Il faut voir la façon dont Goltib fait, pour user de gros mots, du « méta »-texte, c’est-à-dire qu’il exhibe le processus d’écriture de la bande dessinée que l’on est précisément en train de lire, avec audace et imagination. Ainsi, on trouve, sous sa plume, des gags hilarants où on le voit, lui, dans des fausses conférences de rédaction de Pilote, avec un Goscinny présenté avec une ironie sarcastique et en même temps très amicale comme une sorte de tyran impressionnant et fou furieux. D’ailleurs, la première planche de Gotlib pour « Pilote », celle qui lui a permis d’être embauché et de lancer sa carrière, de manière éminemment significative raconte précisément cela : comment lui, Goltib, n’a aucune idée pour écrire sa première planche, et comment il galère jusqu’à la pirouette finale. Il y a là, véritablement, une grâce dans la mise en abyme, une absence de complaisance absolument hilarante, une folie fictive incroyable, par exemple lorsqu’il représente les locaux de Pilote comme une sorte de gratte-ciel, avec open-space, chefs de service et pigistes zélés, qu’on imagine dignes du « Washington Post ». Et lisez donc les absurdes « enquêtes de l’inspecteur Charolles », où deux policiers, dont un avec les traits de Gotlib, résolvent une succession d’enquêtes dont les deux suspects sont invariablement d’une part un homme fourbe et apparemment innocent, qui a pour visage celui d’un Goscinny caricatural et hilarant de bêtise, et d’autre part un monstre tâché de sang, que tous les indices accablent, mais qui, au final, sera innocenté dans une solution absurde et rocambolesque, au profit, bien entendu, du scénariste d’Astérix, inévitablement coupable et démasqué.

Et puis, il y a toutes ces planches assez inclassables, qui sont de l’ordre du délire pur, et où le dessin subvertit le texte, où l’image se disjoint des mots, où la vibration du crayon produit une logique supérieure et différente, dans un explosion de gourmandise comique. C’est cette page sur le sosies, indescriptible, et irracontable, où Gotlib enchaîne les caricatures, les anamorphismes, les portraits saisissants, avec cette case sur Gainsbourg, qui est tout simplement tordante. C’est, aussi, cette autre page sur les différentes manières de raconter une blague, celle des deux fous qui repeignent un plafond, qu’il me paraît tout aussi vain de tenter de vous raconter. On voit d’ailleurs, avec l’exposition des carnets de notes de Gotlib, la façon dont ce dernier imagine cette émancipation des formes, ces lignes et ces traits qui, tout à coup, par une métamorphose singulière, prennent vie sans se soucier du reste.

Enfin, et je terminerai cette fastidieuse énumération par là, ce qui, dans le fond, nous touche chez Gotlib, c’est le rapport à l’enfance : sa façon de la mettre en mots et en images est magnifique, bouleversante. Dans un des « Dingodossiers », Gotlib imagine que, pendant qu’il dort, l’élève Chaprot rêve, ou plutôt cauchemarde, à propos de la rentrée des classes. C’est alors qu’un malin génie, façon Lapin d’ « Alice aux pays des merveilles », lui apparaît en songe, et ce curieux petit bonhomme, redingote et verve truculente, va s’agiter en tous sens dans un espace onirique et merveilleux, pour lui faciliter la vie : plongeant dans un univers étrange et inconnu, celui de l’Ecole, il va s’employer à aplanir toutes les difficultés auxquelles est habituellement confronté un élève d’école primaire. Et le petit lutin, croisant le plombier chargé de la fameuse baignoire qui hanta tous les cours de mathématiques des années 1960, celle remplie d’une certaine quantité d’eau, mais grevée d’une fuite, que l’on voudrait remplir à un certain débit, et dont on voudrait savoir quelle sera la durée du remplissage ou la quantité finale d’eau dans la cuve, cette baignoire qui fit faire de noirs rêves à tous les cancres, comme ces cyclistes partant du point A à une certaine vitesse, où ce Paris-Lyon de 12h34 croisant (peut-être ? À quelle heure ?) le Lyon-Paris de 15h12 roulant à 120 km/heure, bref, notre petit lutin convoque tout le monde, plombiers, cyclistes, mécaniciens de locomotives pour leur enjoindre de rouler à heures fixes, à vitesse constante, et de réparer les baignoire qui fuient. Et ainsi de suite, notre dibbouk simplifiant la conjugaison (il faut le voir régler le cas de « Or-ni-car), la géographie, la botanique, ou bien l’histoire (il déboule en pleine Révolution, reculant tous les grands évènements les années piles, pour que cela soit plus simple à retenir, ce qui sauve provisoirement la tête d’un Louis XVI incrédule, dont l’exécution est retardée à 1800). Tout cela, et mille autres choses encore, comme cette planche sublime, sur l’arrivée du Printemps, tout cela, donc, dessine un monde plein de poésie, d’une incroyable profondeur, et dont la beauté m’a toujours fait l’effet d’être proprement magique. Dans ces dessins-là, Gotlib atteint la grâce parfaite des premières pages de David Copperfield, ces lignes inégalées sur l’enfance, où de l’écrivain David, du jeune enfant qu’il était ou du jeune enfant que nous fûmes tous, on ne sait plus très bien qui parle, pour décrire le monde avec cette façon de prendre tout extrêmement au sérieux et d’inventer des châteaux dans une fleur et des romances dans un dimanche immobile, qui est bien l’apanage d’un certain âge de la vie.

Ennemi de la bêtise, grand enfant ironique, Marcel Gotlib s’expose, et c’est heureux : relisons-le à sa juste valeur.
Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux

En toutes choses, subordonner le désir de juger au devoir de comprendre.
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Re: Gotlib

Messagede denisc » 06/04/2014 00:11

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J'ai commencé à lire ce livre, si vous ne l'avez pas précipitez vous dessus ! En 100 pages, j'ai 20 fois pleuré de rire, non seulement il dessine merveilleusement bien mais son écriture a un style particulier comme j'aime ! Cette dérive littéraire, ces déviations explicatives et ces même explications totalement loufoques et drolatiques ! j'en pleure de rire et parfois, il sait émouvoir mais pas trop, l'humour dédramatise !
Je sais que c'est une réédition mais je n'avais jamais lu ce livre mais quelle classe ! :ok:

Gotlib est vraiment d'une AUTRE DIMENSION, d'un AUTRE MONDE, c'est un EXTRA-TERRESTRE !
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Re: Gotlib

Messagede BDbilos » 06/04/2014 09:56

:love:

J'ai lu (va savoir où et quand) que Gotlib était un peu déçu que ses livres n'aient jamais eu la visibilité de ses chef d'œuvre en BD.
Dans un autre genre que le "J'existe" il y a par exemple ses éditos de Fluide. A lire à petite dose chaque jour, on dirait du Vialatte. Continuation directe de ses RAB mais sans dessin quoi... Des petits bijoux.







Je n'ai que le premier, étant donné que je les relis par ailleurs direct dans les anciens Fluide. Je ne peux pas vous dire si les contenus se recoupent :oops:
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Re: Gotlib

Messagede denisc » 06/04/2014 15:57

Merci pour ces conseils de lecture, je vais rechercher tout ça !
En tout cas, je continue à prendre toujours autant de plaisir à la lecture de ce livre.
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Re: Gotlib

Messagede Tarkey » 17/04/2014 19:15

...ben suis été à Paris voir l'expo Gotlib.... Rhââ... Exceptionnel !

En bref, des m2 de planches originales et de témoignages perso sur plein d'étages. Ses premiers dessins et écrits, ses premières publications (connaissais pas...), ses chefs d’œuvre, le zèbre qui freine et se transforme en okapi, Jupiter et sa bande de potes, ou encore cet exceptionnel triptyque qui a popularisé le NÔ Japonais en franco-belgie ( Rhâââaââ... Le NÔ, The séquence qui m'a fait rêver toute mon enfance de devenir un jour dessinateur... en vain :-D ).
Et puis il y a aussi des planches pleines de poésie, comme sa "chanson aigre-douce" dont on redécouvre la beauté et la pudeur avec cet éclairage historico-religieux... ça pince un peu :?

Gotlib-Expo.gif

Gotlib-14ans.gif

Gotlib-Cosaque.gif

Prévoir 2 ou 3 heures pour faire le tour ... inutile de vous dire que j'y retourne sous peu !!
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Re: Gotlib

Messagede Tarkey » 17/04/2014 19:21

Allez, je ne résiste pas, C KDO :love:

Gotlib-NO1-Bandeau.gif
Gotlib-NO1-Bandeau.gif (76.98 Kio) Vu 3254 fois

Gotlib-NO3.gif
Gotlib-NO3.gif (101.37 Kio) Vu 3259 fois

Gotlib-Jupiter&Co.gif
Ce genre de liberté ça courre moins les rues en ce moment ...
Gotlib-Jupiter&Co.gif (98.01 Kio) Vu 3230 fois
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Re: Gotlib

Messagede sylvain- » 18/04/2014 09:41

Merci pour le partage Tarkey

il me tarde d'y aller également - c'est prévu début Mai!

ps: il y avait du monde ? je veux dire, on à le temps de savourer, c'est pas trop la bousculade ?
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Re: Gotlib

Messagede Tarkey » 18/04/2014 17:07

sylvain- a écrit:ps: il y avait du monde ? je veux dire, on à le temps de savourer, c'est pas trop la bousculade ?

... et bien oui, j'ai été assez surpris, il y avait du monde, beaucoup même, presque autant qu'à l'expo Uderzo à la BNF, mais sans les scolaires heureusement :-). Pour info c'était un Mecredi soir, jour de nocturne jusqu'à 21h (pas mal ça), mais il y a peut-être moins de monde en semaine. Ceci dit, l'espace est grand, les planches bien espacées sur 3 étages et plein de recoins donc on est assez à l'aise pour trainer devant une planche et en extirper le moindre détail.
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Re: Gotlib

Messagede Busch » 19/04/2014 18:48

Ils ont osé mettre l'histoire avec jesus & Co? :)
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Re: Gotlib

Messagede Tarkey » 19/04/2014 19:18

Busch a écrit:Ils ont osé mettre l'histoire avec jesus & Co? :)

Oui, ils l'ont fait... c'est assez sport je trouve :) mais il faut dire que Jupiter, Jéhovah, Jésus, Mahomet et consorts sont à la toute fin de l'expo, pile poile face à la sortie ;)
Par contre les planches restent assez pudiques, donc, sur le même principe, pour voir du Hasmter Jovial il faudra certainement attendre la prochaine expo chez les Scouts de France :D
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Re: Gotlib

Messagede nexus4 » 19/04/2014 23:26

Dites, je retombe sur cette fameuse couv de Steranko pour Hulk. La première chose qui m'est venue à l'esprit c'est qu'en rajoutant une coccinelle, ce serait du pur Gotlib. :D

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