de sam1979 » 27/05/2014 19:07
Bruno Maïorana n'est pas né de la dernière pluie. Il n'est pas non plus l'auteur le moins lu de la « communauté » BD angoumoisine. Avec Alain Ayroles au scénario et Thierry Leprévost à la couleur, les albums de sa série « Garulfo », chez Delcourt, se sont écoulés à plus de 300 000 exemplaires. Pourtant, alors que le troisième et dernier volet de « D », épopée victorienne sur le mythe du vampire, s'apprête à sortir en librairie, Bruno Maïorana a décidé d'arrêter la BD.
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Une décision nette, tranchante comme les mots d'un dessinateur qui n'a pas pour habitude de mettre la langue dans sa poche : « Cela fait un an et demi que j'y songe. Parce que la BD n'est pas viable par rapport au temps que je peux y passer. Le plaisir et la passion ne peuvent pas tout justifier. Être dessinateur de BD, c'est chronophage au point que tu n'as plus de temps à consacrer à l'autre ; c'est sacrifier tout, sans pouvoir en tirer au moins un salaire décent ».
Terme générique
Comptez 8 à 10 % de droits d'auteur, parfois moins, sur le prix hors-taxe d'une bande dessinée vendue entre 10 et 15 euros. Et un temps de travail incompressible, jusqu'à un an pour un seul ouvrage chez les artisans de l'encre de chine. « Attention, auteur, c'est un terme générique pour désigner le scénariste, le dessinateur et le coloriste. Au final, j'en connais beaucoup qui ne remplissent pas leur frigo ».
À moins de cumuler les métiers (dans l'animation, par exemple), de s'appuyer sur les revenus du conjoint ou de s'appeler Uderzo ou Zep, les chances de s'en sortir sont minimes. Les ventes des planches originales servent uniquement de bouche-trous budgétaires aux auteurs qui n'ont pas cédé aux sirènes de la création numérique rapide et reproductible à l'infini…
Marché saturé
Le système est d'autant plus pénalisant qu'il s'est durci. Marché saturé, avances sur droits en chute libre, tirages en berne, temps d'exposition en librairie racorni… « Un éditeur aujourd'hui ne se soucie plus de défendre une série par amour de la BD : il vend de la tonne de papier. La BD est le monde le plus libéral qui soit. La mondialisation et le dumping social, qui fait qu'il est plus intéressant pour un éditeur de rémunérer un auteur tchèque ou chinois, ne nous épargnent évidemment pas ».
Bruno Maïorana égrène les phénomènes qui ont changé la donne. Par exemple, celui de l'arrivée massive des dessinateurs blogueurs « dont les éditeurs attendent qu'ils se créent leur propre notoriété avant de les intégrer au système ». Un système où l'auteur, travailleur isolé par excellence, ne jouit d'aucune protection réelle. « Nous avons tous les inconvénients des professions libérales, sans en avoir aucun avantage. Un éditeur peut arrêter une série du jour au lendemain sans se justifier. Il n'a même pas à payer nos charges sociales, uniquement celles de ses propres salariés… Dans la BD, aujourd'hui, celui qui produit la richesse ne vaut rien, mais celui qui sait faire de l'argent vaut quelque chose ».
À l'heure de sa reconversion, Bruno Maïorana ne sait pas si, demain, il gagnera mieux sa croûte. « Mais je sais, en revanche, que j'aurai une meilleure qualité de vie ».
voilà^^