D'accord avec Fletcher.
Tireg a écrit:Franquin s'est prêté de bonne grâce à des entretiens, il ne s'agit pas de jeter en pâture son existence.
De bonne grâce, mais en étant diminué. On s'en rend compte à la lecture de certains échanges.
Tireg a écrit:Ce n'est pas un "travail" de paparazzi que fait Sadoul. Il pose des questions, Franquin y répond. Il est assez grand pour savoir s'il doit répondre ou non.
Tireg a écrit:A moins qu'être ayant-droit donne un statut de curateur ou tuteur sur une personne décédée ?
Non, mais le mort saisit le vif. Ce dernier se trouve alors investi d'une partie des droits dont le défunt était titulaire.
Tu touches du doigt un point sensible en évoquant les notions de curatelle (protection d'une personne en état de faiblesse). A l'exception d'autres ayants-droit qui auraient pu venir au même rang et bénéficier des mêmes prérogatives qu'Isabelle, nous n'avons pas le droit moral de condamner son attitude comme le font certains hâtivement.
C'est peut-être regrettable pour la curiosité de tous qui ne sera parfois pas satisfaite, mais je tiens à préciser que certaines conversations entre Franquin et Sadoul sont parfois décevantes en ce sens que Franquin avait peut-être présumé de ses forces et par excès de gentillesse, s'était prêté (de bonne grâce, certes) peut-être un peu trop tôt à cet exercice introspectif. D'autant que Sadoul le bouscule, par moments, incité parce que Franquin rigole, prend l'air de celui qui s'en fiche, etc... et ainsi le pousse dans certains retranchements. On sent confusément que Franquin remontait la pente, mais que ce parcours n'était pas achevé. Franquin se dénigre énormément. Et par moments, il attend de Sadoul qu'il lui décerne un satisfecit pour tel ou tel dessin. C'est assez gênant, ça ne met pas forcément très à l'aise.
Aussi, même si elle est caviardée, il est bien possible que la nouvelle édition de ce bouquin soit meilleure dans son contenu que la précédente. Dans le monde juridique et chez les gens de robe notamment, il n'est pas rare de considérer qu'une personne qui prend des médocs
(notamment pour des problèmes de santé mentale, mais pas que, un médoc pour traiter le foie ou les intestins peut avoir un impact neurologique, diminuer la capacité de résistance du malade, celle qui permet de dire non), même si elle est capable de résoudre des équations difficiles
(par exemple un professeur de maths ou de physique), de donner un cours ou de dessiner les plans d'un avion ou d'une maison, n'est peut-être pas pour autant capable de s'engager sur des questions d'ordre familial ou patrimonial, moins complexes éventuellement mais exigeant davantage de force de caractère. Ainsi, une signature pourra être remise en question a posteriori et, par conséquent affecter l'engagement qui en résulte (donc un contrat, une libéralité, un témoignage, un engagement professionnel, etc...) avec possibilité d'annulation rétroactive, totale ou partielle. Et cela, qu'une tutelle ou une curatelle soit ouverte ou non. La tutelle, la curatelle et la sauvegarde de justice sont des mesures qui vont faciliter le travail des juges et des avocats, lorsque le protégé aura passé outre (on le protège contre lui-même mais aussi contre les autres). Mais un dément (on peut avoir un accès de démence temporaire, assez bref, sous l'emprise de l'alcool, de drogues ou de médocs) qui n'est pas placé sous tutelle ou curatelle pourra néanmoins voir ses actes annulés si ceux-ci ne lui sont pas favorables et a fortiori, s'il y a eu manœuvre, c'est-à-dire qu'on a profité de sa faiblesse momentanée pour extorquer ce que l'on voulait (une signature, une photo, un bijou, etc...). Et ce qui vaut pour un dément peut s'appliquer à un simple malade, sous traitements. C'est l'état de faiblesse.
Isabelle est en droit d'estimer (et de se tromper, le cas échéant) que son père, bien que capable de rassembler ses souvenirs et de discuter le bout de gras avec Sadoul, était peut-être trop diminué et faible (physiquement et moralement, pas intellectuellement) au moment de l'enregistrement de certaines discussions pour les considérer toutes comme valides.
Sans critiquer aucunement Sadoul (comment le pourrais-je et à quel titre ?), son intérêt personnel (et celui de l'éditeur) était de battre le fer quand il était chaud pour sortir un bouquin onéreux dont les probabilités de s'épuiser rapidement étaient élevées en raison de la notoriété et du talent de l'auteur sur la sellette et de la présence de matériel graphique inédit. Et ces intérêts particuliers (tout à fait légitimes, d'un point de vue commercial et pécuniaire et des points de vues subjectifs de l'interviewer et de l'éditeur) entraient en conflit avec les intérêts personnels de Franquin.
Aujourd'hui, la fille de l'intéressé a pris juridiquement la place de son père. Il faut son feu vert pour tout, c'est comme ça et on ne saurait exiger qu'elle le donne systématiquement.
En tout cas, une chose est certaine, dans l'édition d'origine il n'y a rien de compromettant sur le plan de la vie privée qui transparaisse des entretiens. Ou alors, ce sont des peccadilles (enfin à mes yeux) et elles ne m'ont pas marqué. Il faut dire que la femme de Franquin était aussi présente à certaines séances de travail puisque, en principe, ça se déroulait au domicile du dessinateur et qu'elle était susceptible d'être une des premières lectrices du bouquin. Parfois Franquin s'adresse à son épouse, la prenant à témoin. Ou alors c'est elle qui prend l'initiative de faire des remarques.
Après, on se doute qu'il y a forcément eu des moments où Franquin et Numa bénéficiaient d'une grande liberté pour parler entre mecs, entrer, pourquoi pas, sur le terrain de confidences plus intimes, mais rien ne dit que cela fut le cas et rien ne dit que ce fut enregistré. Et si ce fut effectivement le cas, là aussi, Isabelle a un droit de regard, conféré par la loi. On ne saurait lui faire grief d'exercer ses droits dans leur plénitude.
Tout ça pour dire que le bouquin, s'il sort, devrait répondre aux attentes d'une très large majorité, même si le texte n'est pas exactement le même que celui de la première édition. De plus, il sera augmenté nous dit-on (argument commercial, certes), ça devrait compenser largement.