M Novembre a écrit:Oncle Hermes a écrit:+100. Si on part du principe qu'il est impossible de rien comprendre à une œuvre, pourquoi la lire ?? Un (bon) critique dispose d'outils et de connaissances qui lui permettent d'aller plus loin dans l'analyse que le lecteur "de base", mais ce n'est jamais que le même principe.
Il faut distinguer l'œuvre et son contexte.
Je n'ai pas besoin de savoir que Macherot était anxieux lors de la création de
Chaminou et le Khrompire pour lire la BD, comprendre l'histoire, l'apprécier, et savourer son dessin. De fait, je n'avais jamais rien lu de et sur Macherot avant.
Certes si l'œuvre me plaît, je peux être intéressé par connaître le contexte de sa création ; connaissance qui, éventuellement, enrichira mon niveau de lecture. C'est d'ailleurs ce que je disais dans les parties tronquées de mon commentaire.
[...]
Ce qui me paraît vain, c'est l'exégèse dite "technique", qui n'est que spéculative, et qui rince l'œuvre jusqu'à la corde, jusqu'à la noyer. Comme si le génie d'une œuvre pouvait se poser en équation.
Ce que tu décris, ce n'est pas de la critique, c'est Wikipedia. Ou alors à la rigueur c'est de la critique telle que la concevait Sainte-Beuve, au XIXe siècle. Personnellement savoir que Macherot était anxieux à cette époque, avec qui tel auteur avait une liaison au moment d'écrire son roman, ou ce que tel peintre avait mangé au petit déjeuner avant de peindre, est le cadet de mes soucis. De toutes les connaissances qui peuvent éventuellement "enrichir le niveau de lecture", ça me paraît la moins éclairante et la moins pertinente, en dehors de quelques cas particuliers.
Ce qui m'intéresse, c'est ce que l'auteur me "raconte", de quoi il me parle, et
comment (c'est là que la "technique" entre jeu), parce que ce qui fait d'un artiste un artiste (
même racine qu' "artisan") c'est bien qu'il va passer par une certaine
forme qu'il modèle pour véhiculer le
fond, contrairement à M. Michu du coin de la rue qui se contentera de me délivrer un message tout nu tout cru : "il fait pas beau aujourd'hui".
Si on ne s'intéresse pas à la forme, donc pas à la technique (ou pas à la technique, donc pas à la forme), je ne vois pas ce qui permet de différencier un portrait académique d'un portrait par Picasso ou la croute en vente dans ma galerie marchande des
Tournesols de Van Gogh,
Roméo et Juliette de Shakespeare de
Je ne veux pas te perdre de Barbara Cartland,
La Ligne Rouge de Terrence Malick de
Pearl Harbor de Michael Bay, et ce que je chantonne sous ma douche du
Sacre du Printemps de Stravinski. Sans même parler de comparer les "grandes œuvres" entre elles.
Encore une fois, la critique, sur ce point, me semble opérer à un niveau différent -- avec des "outils" d'interprétation que ne maîtrise pas le tout-venant des lecteurs, spectateurs ou auditeurs, et, idéalement, des connaissances plus étendues pour nourrir sa réflexion -- mais, fondamentalement, sur les mêmes bases. Son rôle est d'arriver à une compréhension de l'œuvre plus fine, plus riche, plus poussée, éventuellement plus complexe.
De plus, la partie strictement "technique" est quand même celle qui laisse le moins de part à la spéculation. Parce qu'on sait pertinemment que chaque art, chaque média a sa "grammaire" et que dans 99% des cas telle cause va produire tel effet. Il ne s'agit pas de tout mettre en équation, mais ça permet déjà de défricher pas mal de choses, entre "l'artisan" qui va utiliser le procédé connu pour produire l'effet attendu, de façon plus ou moins réussie ; celui qui va l'utiliser de façon originale ou en tirer un effet inattendu ; ou encore celui qui va l'utiliser à tort et à travers.
Pour prendre un exemple dans le cinéma, j'ai récemment découvert les clips de
Tony Zhou sur Vimeo (en anglais) sur l'art du montage (notion technique s'il en est, à laquelle 95% des spectateurs ne prêtent aucune attention, et je suis généreux dans l'estimation). C'est passionnant, et cela permet de voir, par exemple, comment un David Fincher fait passer des infos de façon plus ou moins "subliminale", purement par l'image, sur les relations de pouvoir entre des personnages, ou comment un Michael Bay accumule les points d'orgue toutes les trois minutes jusqu'à les vider totalement de leur signification.
Il ne s'agit pas de "rincer l'œuvre jusqu'à la corde", en tout cas dans la mesure où une œuvre qui ne résisterait pas à être scrutée d'un peu près a de fortes chances d'être une œuvre de peu d'intérêt - là où le chef-d'œuvre serait, pour emprunter une image à Umberto Eco, comme un oignon dont chaque interprétation, chaque "lecture", serait l'une des multiples peaux.
Et même si la technique a sa part (technique de l'œuvre ou technique d'interprétation), il ne s'agit pas non plus nécessairement d'avoir un rapport froid et clinique. Pour conclure sur une image plus personnelle : explorer en détail le corps de quelqu'un d'autre, ce n'est pas forcément de la dissection...