Damian : Son of Batman, Deluxe Edition, scénario et dessins de Andy Kubert, DC Comics, 2014.
Ce recueil regroupe les quatre épisodes de la mini-série éponyme, le numéro 666 du mensuel Batman scénarisé par Grant Morrison et dessiné par Andy Kubert, ainsi qu'un fragment du numéro 700 des mêmes artistes.
Andy Kubert, fils de Joe et frère d'Adam s'est imposé, malgré le poids de son patronyme, comme un des dessinateurs américains les plus respectés et les plus talentueux.
On le vit œuvrer pour Grant Morrison (Batman and Son, The Black Glove), pour Neil Gaiman (Whatever happened to the caped crusader ?, 1602), pour Geoff Johns (Flashpoint), pour Jenkins et Quesada (Wolverine Orgin), etc.
Il s'est parfois essayé à l'écriture de scénarios, comme le fit son père, avec succès, sur Sergent Rock ou sur le superbe Yossel.
Alors que le run de Grant Morrison sur Batman s'est achevé, de manière fort ouverte, avec le second tome de Batman Inc., Kubert, visiblement très attaché au personnage de Damian Wayne, a décidé de lui consacrer une saga, sobrement nommée, Damian : Son of Batman.
On y retrouve un Damian adulte, bien vivant, devenu le Robin d'un Dick Grayson qui incarne Batman. Cette mini-série de quatre épisode pourrait se voir comme un Elseworld, car elle ne semble pas (plus) rentrer dans la continuité actuelle. Kubert cherche à constituer un prélude à la fameuse issue 666, et à nous montrer dans quelles circonstances Damian Wayne est devenu le Batman brutal et homicide décrit par Grant Morrison.
Au début du récit, dans une Gotham chaotique et violente qu'on pourrait penser sortie de l'imagination de Miller, Batman et Robin enquêtent sur un carnage perpétré dans la port de Gotham.
Des gens, beaucoup de gens, gisent là morts, empoisonnés. Dick temporise, plus ou moins facilement la fougue du jeune Damian. Le Joker qui n'avait pas fait parler de lui pendant longtemps (Death of the Family, je présume) est revenu, c'est certain. Il n'est pas aussi mort qu'on l'espérait. Tandis que nos héros discutent de ce qu'ils vont faire, une violente explosion retentit sur le lieu du drame, laissant Grayson sans vie. Batman est mort.
Damian, tiraillé entre la promesse faite à son père de ne jamais tuer et son passé au sein de la ligue des assassins, ne veut pas laisser la mort de Dick impunie.
Désemparé, il va retrouver sa mère (qui l'a renié), son grand-père (qui a toujours confiance en lui, Damian devrait trouver cela louche...) Ras al'Ghul et ses quelques connaissances : mais, malgré les supplications d'Alfred, de Bruce et d'un prêtre auquel il se confie, Damian pense qu'il est temps d'en finir avec tous les criminels de la ville. Croc, Freeze, Zsasz vont ainsi connaître des fins précipitées, au propre, comme au figuré.
Pour triompher, Damian ne peut rester le Boy Wonder, il doir devenir le Batman, un Batman adapté à cette époque éprouvante et dépourvue d'espoir.
Damian redevient ainsi (mais a-t-il jamais cessé de l'être) le parfait assassin qui exhibait devant un Tim Drake horrifié la tête d'un mafieux qu'il venait de tuer (cf. Batman and Son). Sans doute moins bon tacticien que son père et que Dick, il reste un meilleur guerrier qui, par sa cruauté, sait marquer son territoire.
Mais, le Joker est dangereux, Gotham est pire que jamais, les monstres créés par le Professeur Pyg y prolifèrent, Joker a des admirateurs qui imitent leur maître dans sa folie, qui plus est Bruce ne veut pas voir plonger son fils dans l'abyme...
Damian va naviguer en eaux troubles et accomplir sa destinée. Il va devenir le Batman apocalyptique aperçu dans le le numéro 666 de Batman, « Bethleem » où Damian en finissait avec le troisième remplaçant de Batman.
Que penser de cette œuvre qui divisa avec violence les critiques outre-atlantiques ?
Sur le dessin et les cadrages de Kubert, il n'y rien à redire, c'est splendide, chaque planche s'admire de longues minutes.
Le scénario, par contre, pêche par certaines incohérences gênantes :
La mort de Dick paraît absurdement aisée, on a du mal à croire qu'un héros vétéran formé par Bruce Wayne se fasse prendre par un piège aussi simple, ne connait-il pas les gilets de protection en kevlar ?
Damian, apparu dans Batman and Son, élevé suivant les concepts de la Ligue des Assassins, était arrogant, violent, cruel : Morrison, avec son talent habituel, l'avait humanisé progressivement. Sous la houlette de Bruce et de Dick Grayson, lentement mais sûrement, il était devenu un Robin idéal. Un Robin parfait qui donnait sa vie pour sauver une inconnue (cf. Batman, inc.).
Ici, le Damian adulte de Andy Kubert reste un sale gosse, caractériel, violent, qui voit le monde en noir et blanc.
Il semble ne pas avoir évolué depuis son apparition dans la vie de son père. Il ne possède pas les qualités morales requises pour devenir Batman, l'enseignement de Bruce et de Dick a échoué lamentablement, Damian reste "un leader naturel" pour la ligue des assassins, pas pour être Batman.
Dans une scène absurde, Bruce, qui a appris que son fiston était redevenu un tueur, se bat avec un Damian qui ne retient pas ses coups et laisse son vieux père sur le carreau. Il s'excuse un peu et le confie aux soins d'Alfred.
Plus absurde encore, Bruce est soigné à domicile par une infirmière qui a un drôle de sourire avec beaucoup de rouge. La suite est évidente... Je veux bien croire que Bruce prenne, un jour, sa retraite (quoique, on imagine plus qu'il meurt au combat), je peux imaginer que vieux il ne fasse plus le poids face à Damian, mais pas qu'il devienne sénile à ce point et ne voit pas venir l'énorme piège dans lequel il tombe !
Enfin, la fin du récit reste trop ouverte : si Damian devient bien Batman, il demeure trop de questions sans réponses une fois le livre refermé. Nous ne connaissons pas avec certitude l'identité de l'assassin de Dick (est-ce le vrai Joker ou son double, ou quelqu'un d'autre ? ) et quel est le rôle du prêtre dans cette affaire... Que sont devenus Tim Drake, Jason Todd et les autres ?
Ce livre, au format deluxe, est très beau rempli de croquis préparatoires et d'extraits du synopsis. Le recueil est complété par l'issue 666 de Batman où l'on voit ce que donnerait Damian en Batman, ainsi que par le fragment du numéro 700 dans lequel Morrison réunit tous les Batman présents et futurs.
La présence de ces deux épisodes traduit davantage encore le relatif échec de Kubert qui, à mon sens ne creuse qu' insuffisamment la psychologie de ses personnages.
Le numéro 666 de Batman est un modèle du genre. En trente pages, Morrison parvenait à nous livrer une vision d'un futur atroce, où Gotham, devenue une mégalopole peuplée d'une génération de criminels biens pires que les Two Face, Pingouin et Killer Croc de jadis, ne devait sa survie qu'à un très inquiétant Batman/ Damian Wayne. Celui-ci tuait sans remord et paraîssait invincible. Après avoir liquidé le dernier Batman de remplacement, il s'exclame devant une commissaire Gordon terrifiée : « Apocalyspe is cancelled, until I say so »
Mais, il nous restent les dessins de Kubert, cela n'a pas de prix.
Alors oui, Kubert n'a pas le talent de scénariste de Morrison. Damian : Son of Batman n'est pas le chef d'oeuvre absolu trop et tant désiré. Mais, il parvient quand même, et c'est déjà beaucoup, à nous faire plaisir, à nous fans de Damian, en nous montrant une Gotham déchue où l'espoir meurt, et où Damian, plein de vie, accomplit sa sombre destinée.
A lire donc, pour les lecteurs du run de Morrison et par les autres, car cela reste, malgré quelques reserves, une bien jolie oeuvre et une bonne histoire de Batman.