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Ciné-Club séance 83 Two Weeks in Another Town (Minnelli 62)

La politique, la musique, le cinéma, les jeux vidéos et la culture en général lorsqu'elle ne traite pas directement de bande dessinée

Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede jolan » 21/11/2020 18:41

Message précédent :
Leave Her to Heaven (Péché mortel) – John STAHL – 1945

Encore un film intégralement raconté en flash-back après la sortie de prison de Richard. Ce sera donc son histoire. Mais qu'a-t-il fait ? Qui a-t-il tué ?
Ellen ne vit que par elle-même, sans se préoccuper du monde qui l'entoure. Elle ne voit même pas Richard au début, pourtant juste en face d'elle, et elle n'a pas reconnu l'homme sur la quatrième de couverture du livre qu'elle lit. Puis elle commence à voir en lui un double de son père décédé récemment, dont elle vient disperser les cendres. Tout le monde sait bien que Richard a succombé aux charmes d'Ellen dès la première seconde. Ils doivent être habitués de voir des prétendants lui tourner autour. Elle est fiancée, mais tous font en sorte qu'ils se "trouvent".
Ellen est le genre de fille qui obtient toujours ce qu'elle veut, avant même de l'avoir désiré, avant de s'en rendre compte, puisque tout lui est facile. Elle entretient le mystère, avec ses cils qui clignotent, sa voix suave et murmurée, elle le séduit, elle le fait attendre, il va la chercher, elle le chauffe sans en avoir l'air, elle lui dit qu'elle savait qu'il viendrait, et au moment où ça devient chaud bouillant, elle le frustre, elle coupe court et monte se coucher. Le profil parfait de la garce qui sait qu'elle n'a même plus besoin de lever le petit doigt, il est déjà à ses pieds. Et pourtant elle semble ne rien ressentir pour lui, elle semble juste jouer la séductrice.
"J'ai enlevé ma bague de fiançailles il y a une heure, pour toujours"
Elle ne l'a même pas prévenu de son idée de mariage, il est pris de court, incapable de refuser ce cadeau trop beau, elle se sert de lui, mais on ignore pourquoi.
"Je ne te laisserai jamais partir, jamais, jamais, jamais", la phrase qu'elle prononce au tout début, quand elle lui a mis le grappin dessus, et la dernière qu'elle prononcera en mourant
Est-elle manipulatrice ? Calculatrice ? On ne sait pas où va nous mener le récit, ce qu'il en est de cette femme étrange, même si on a une petite idée lorsqu'elle cherche à éloigner Danny, le petit frère handicapé de Richard. Mais il n'en est rien, il semble qu'elle veuille simplement être seule avec son amoureux
"Je t'aime tant que je ne peux te partager avec personne"
Le péché du moche titre français sera donc la jalousie. Une jalousie destructive et meurtrière.
"Elle aimait trop son père" lui dit sa belle-mère, or dès leur rencontre Ellen trouve qu'il lui ressemble, et c'est ce qui va causer son malheur. Richard a tout ce dont on peut rêver : une femme sublime qui l'adore, une maison magnifique au bord d'un lac au cœur d'une nature verdoyante, un doux métier d'écrivain, son petit frère adoré qui vit avec eux. Mais il sent qu'il se dirige vers un malheur latent, que ce temps idyllique ne va pas durer. Car, lentement, insidieusement, nous voyons Ellen se replier dans une folie possessive que rien ni personne ne pourra arrêter.

Un film qui fait plaisir à voir. Un film sans défaut notoire (hormis quelques ombres croisées dues aux différents projecteurs, mais on voit ça partout à l'époque – le pire exemple étant dans "Les Oiseaux" - ce film est hélas loin d'être le seul)
Un beau drame romantique, signé John Stahl, le chantre des mélodrames romantiques (comme les affectionnera plus tard un Douglas Sirk, qui réalisera d'ailleurs un remake de son "Imitation of Life"). Mais il y a ici une férocité et une perversion à laquelle il ne nous avait pas habitués, et qui est assez rare pour l'époque (le film je le rappelle date de 1944). On flirte ici avec des aspects psychologiques qui ne sont pas sans rappeler les films à venir de Hitchcock ou Lang (On pense également à "L'Enfer" de Clouzot/Chabrol, autres films sur la jalousie meurtrière). Donc une sorte de préambule à tous ces films, un drame terrible, au scénario impeccable. La lente progression de la romance vers le drame est bien faite, le venin s'immisce chez Ellen de manière subtile et bien décrite.

Le tout magnifié par un beau technicolor (le premier film en couleur de Stahl, qui n'y reviendra que deux fois je crois, pour une fois il me semble que le film aurait perdu de sa force, de sa véracité, et on aurait perdu en ambiguïté romance/drame en N&B) qui met en valeur la beauté des paysages et de sa comédienne principale (qui irradie chaque plan et offre ici l'une de ses meilleures incarnations – nommée aux Oscars, elle devra laisser sa place à Joan Crawford). Une actrice flamboyante de beauté et de talent (le film fait d'ailleurs étrangement écho à certains épisodes malheureux qui émailleront sa vie, ses grossesses, les troubles mentaux qui en ont résulté). Sans elle, le film perdrait énormément de sa valeur je pense.

3,5/6

(bon par contre si Danny meurt en août, elle ne peut pas décider de tomber enceinte, tomber enceinte, être "grosse" et perdre le bébé, tout cela en un mois, comme il est dit au procès)
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede makidoo » 24/11/2020 12:31

Leave Her to Heaven, John STAHL, 1945

Attention, je divulgâche, il y a du gros spoiler qui tâche dans ma chronique !

Ce que j’apprécie dans ce genre de film classique, c’est la beauté du technicolor, le charme de la mode de ces années 40 aux USA : les costumes, tailleurs, coiffures et maquillages, le design des voitures, si spécifiques de cette période.
L’histoire débute par un flashback qui va donc être le propos qui nous intéresse. Cela commence par une rencontre dans un train, comme on pourrait le voir dans une simple comédie romantique, entre Richard, un bel homme écrivain de son métier et Ellen, une très jolie jeune femme. Mais très vite on va se rendre compte que quelque chose ne tourne pas rond chez cette femme, qui semble reconnaître son père chez cet homme (ce qui au passage m’aurait déjà fait fuir...!)
Car ce qu’elle souhaite avant tout semble-t-il, c’est remplacer la figure paternelle et ne la conserver que pour elle, en avoir l’exclusivité. Ce qu’"est" son mari, sa qualité d’écrivain passe au second plan (en dehors du fait d’être "disponible", au foyer), elle déclarera même à sa sœur "on a jamais été amis comme vous l’êtes".
On voit la belle-mère lire un manuscrit, on comprend que la dédicace est adressée à Ruth car elle a conseillé Richard lors de l’écriture de son ouvrage, mais jamais on ne sent Ellen concernée par son travail. Elle propose même à Richard d’arrêter d’écrire et de l’entretenir lorsque celui-ci déprime après la mort de son frère.

Car oui Ellen est folle, mais étonnamment, personne ne semble réellement en prendre la juste mesure (Richard concèdera sur le tard, lorsqu’Ellen se confesse, avoir eu des soupçons, mais il est toujours demeuré passif). La folie qui ronge cette femme, cette jalousie est maladive, son amour exclusif est sans limites, et on peut le percevoir dès le début dans le regard étrange qu’elle porte lorsqu’elle fixe de longues secondes Richard dans le train. Cette jalousie est régulièrement illustrée par des plans sur Ellen qui observe l’action au travers d’une fenêtre.
Sa démence est d’une grande cruauté, elle encourage le petit frère handicapé de son mari à tenter une nage qu’elle sait d’avance pouvoir lui être fatale, et le regarde se noyer avec une impassibilité glaçante, puis fait mine d’être horrifiée. Elle se jette de sang froid dans les escaliers pour perdre son enfant ("je hais cet avorton. S’il mourrait !", dira t’elle à sa sœur)tout en ayant préparé avec soin son "accident", tout comme elle se suicidera en prenant bien soin de faire en sorte que tout accuse sa demi-sœur et son mari (le testament qui va volontairement à l’encontre de ses dernières volontés orales.)

Il y a un contraste effarant et bien rendu entre l’effondrement de son mari au bord de l’océan, et Ellen que l’on voit bien plus tard en contrepoint, après avoir perdu son enfant, prendre des bains de mer et ouvrir son courrier toute guillerette comme si rien ne s’était passé alors qu’on pourrait la penser logiquement effondrée et dépressive.

Un bon film, "classique" dans sa forme (on peut sourire devant le charme suranné de voir une femme au réveil bien apprêtée, coiffure et maquillage impeccables), plutôt bien joué, avec une très belle photographie et de belles couleurs, et plutôt bon sur le fond, même si on n’échappe pas au happy end hollywoodien.
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede jolan » 24/11/2020 20:43

Je ne dirais pas qu'elle est folle.
Il n'y a rien chez elle qui puisse laisser entrevoir une quelconque pathologie, au début.
Le fait qu'elle ait du caractère, qu'elle ait été tyrannique avec sa cousine/soeur, qu'elle ait eu une relation fusionnelle avec son père au point qu'il ait délaissé sa femme ne peuvent être considérés comme les signes d'un déséquilibre.
On perçoit plutôt une femme forte, indépendante, pleine d'esprit, blessée mais saine.

Mais, elle plonge progressivement vers la folie, et c'est ce qui est montré tout au long du film. C'est justement la lente bascule qui est racontée (comme dans le Lumet où ça prenait une nuit, ici quelques mois). C'est le décès récent de son père qui engendre en elle cet état d'instabilité psychique de manière insidieuse et graduelle.
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede makidoo » 24/11/2020 21:25

Mouais, pas convaincu, pour moi elle a un pète au casque depuis un moment, c’est déjà ce qui a été fatal à la relation de couple de ses parents, et c’est ce qui sera fatal à toutes les relations en dehors de son propre couple.
Et pour le coup, je trouve vraiment le jeu de Gene Tierney très subtil car elle n’en fait pas des caisses.
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede sergent latrique » 24/11/2020 21:27

Leave her to heaven J.Stahl (1945)

En voulez-vous de la couleur ? Du technicolor trichrome plein les yeux, coloré comme le regard de Gene Tierney, comme l'eau profonde du lac, comme les paysages de montagnes, les maillots de Gene Tierney et le feu dans la maison de campagne qui projette ses ombres au plafond.

Le film démarre sur l'histoire de cet homme, Richard Harland, revenu dans le Maine après une longue absence, deux ans de prison et un drame à découvrir, une histoire qui semble connue des badauds compatissants et que son avocat, venu l'accueillir va raconter, donc effectivement c'est un film en flash-back.
Tierney.jpg
Tierney.jpg (22.49 Kio) Vu 235 fois

Une des plus belles scènes du film à mon point de vue est justement cette première rencontre entre Ellen (Gene Tierney) et Dick dans le train, en route vers le Nouveau Mexique et ses paysages
sauvages. Le salon où les deux tourtereaux vont faire connaissance est un lieu à l'atmosphère feutrée et douce. Ellen est une apparition.
La suite est une romance idyllique, tout au moins au début. Scène de vie heureuse, espoir du jeune frère handicapé et plan de voyage dans la maison de campagne derrière le lune.
Insidieusement, le fiel de la jalousie s'insinue, et l'amour se transforme en possession amoureuse, particulièrement avec la visite surprise de la famille et de la soeur Ruth

A partir de ce moment, Ellen se laisse emporter dans une spirale sans fin d'élimination de tout ce qui peut se mettre entre elle et son mari, jeune frère, son propre bébé, et jusqu'à s'éliminer
Tierney2.jpg
Tierney2.jpg (23.02 Kio) Vu 281 fois

elle même en laissant des preuves de culpabilité de sa soeur. La fin est plus classique, scène du tribunal, rebondissement, révélations, happy end.

La qualité de ce film est pour moi d'abord dans sa photographie, ses ambiances lumineuses ou sombres, ses couleurs saturées, et cette évolution des personnages depuis la jalousie ordinaire jusqu'au crime.


Ma note 4,5/6
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede sergent latrique » 24/11/2020 21:35

makidoo a écrit:Mouais, pas convaincu, pour moi elle a un pète au casque depuis un moment, c’est déjà ce qui a été fatal à la relation de couple de ses parents, et c’est ce qui sera fatal à toutes les relations en dehors de son propre couple.
Et pour le coup, je trouve vraiment le jeu de Gene Tierney très subtil car elle n’en fait pas des caisses.


Je dirais pour ma part qu'elle a un caractère qui ne laisse pas la place aux autres, et la perte de son père apporte cette instabilité (sa façon de disperser les cendres et de jeter l'urne comme par geste de dépit) et exacerbe son refus d'un monde qui ne se plie pas à sa volonté.
D'accord sur le jeu de l'actrice, qui sait faire passer le personnage toute en subtilité
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede Le Complot » 24/11/2020 21:49

Mon visionnage avant vendredi. :ok:
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede euh... si vous le dites » 24/11/2020 21:57

Le Complot a écrit:Mon visionnage avant vendredi. :ok:


Jeudi, en ce qui me concerne.
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede makidoo » 25/11/2020 16:45

sergent latrique a écrit:Je dirais pour ma part qu'elle a un caractère qui ne laisse pas la place aux autres, et la perte de son père apporte cette instabilité (sa façon de disperser les cendres et de jeter l'urne comme par geste de dépit) et exacerbe son refus d'un monde qui ne se plie pas à sa volonté.
D'accord sur le jeu de l'actrice, qui sait faire passer le personnage toute en subtilité

Il y’a d’ailleurs la scène du labo du père transformé en chambre d’enfant (d’ailleurs quel coup de crayon de Richard !) qui est assez édifiante. Alors que tout le monde s’amuse et se réjouit, lorsqu’Ellen la découvre, elle en est terrifiée, il fallait que ce lieu sanctuarisé soit immuable, elle ne supporte aucun changement quel qu’il soit (et aussi louable qu’il soit), et surtout pas ce qui touche à la figure paternelle.
Plus j’y repense et plus je trouve ce film très très bon, je changerais bien mon 4,5/6 en 5/6
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Re: Ciné-Club 49 : Invasion of the Body Snatchers (Siegel 56)

Messagede jolan » 25/11/2020 19:41

euh... si vous le dites a écrit:
jolan a écrit:Je déteste Ferrara (si je devais lister mes cinéastes abhorrés il serait dans le top 5


Ca ne m'étonne pas.
J'aurais pu le dire à ta place. :D
Je trouve que c'est un cinéaste très inégal, qui peut sortir aussi bien des sombres merdes que des trucs franchement incroyables.
Le type est complètement fracassé, ses films reflètent la frénésie avec laquelle il travaille.
C'est un mec unique dont la filmographie n'a pas d'équivalent.
Il a donné certains de leurs plus beaux rôles à des acteurs que j'adore comme Christopher Walken, Willem Dafoe ou Harvey Keitel.
Je l'aime vraiment beaucoup beaucoup.


Tiens, je découvre l'existence de son récent film italien, qui me tente bien
Je n'aurais jamais cru...
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede lobo » 26/11/2020 12:15

J'ai bien aimé, surtout quand ça devient noir. Côté scénario (attention spoiler), moi j'y ai plutôt vu Ellen reproduire l'amour exclusif qu'elle avait pour son père, la seule chose qui compte pour elle, cet amour incestueux (le père y répondait-il ? On peut le supposer si la séquence "le premier qui meurt disperse les cendres de l'autre" est véridique) qui est un peu le soleil noir autour duquel tourne toute la famille (ex : la "haine" de la mère pour le Nouveau Mexique). Dès lors, quand Ellen fait valoir la ressemblance le soir au repas, tout est joué pour tout le monde : il sera à elle. Richard et Ruth renoncent l'un et l'autre à leur attirance mutuelle (la scène autour du piano). Cette exclusivité (dont la jalousie amoureuse n'est qu'un aspect, me semble-t-il) va faire tourner le film au noir de chez noir (et en faire un bon film, alors que jusque là...), avec successivement la non-assistance à Danny (il est vrai assez casse-c***), magnifique scène avec Gene Tierney et ses magnifiques lunettes de soleil, l'avortement (incroyable scène sans doute ultra-provocatrice à l'époque), et le suicide (avec encore un quiproquo sur lequel le scénariste joue dès le début : "elle l'attend ? ". Ce n'est pas Ruth qui sera empoisonnée. Ce n'est pas Ellen qui l'attend). La dédicace du livre à Ruth est tout de même assez incroyable. Il ne peut pas ne pas savoir qu'elle va avoir des conséquences terribles. Il faudrait parler aussi du personnage de Vincent Price, amoureux amèrement éconduit. Retrouve-t-il au procès, l'occasion de rendre un dernier service à la femme qu'il aime ?
Il y a aussi un côté célébration de l'Amérique dans ce film, exaltée par le premier Technicolor (j'adore !) : les paysages américains, le Maine, ses forêts et ses lacs, le Nouveau Mexique, l'Océan... le confort américain (on n'en parle jamais et pourtant c'est un thème important me semble-t-il) : le ranch, l'étonnant wagon-bar panoramique (nous sommes en 1944 !), les costumes (Gene Tierney à la descente du train). Côté acteur, je n'aime pas celui qui joue Richard, qui a une tête à claques, je trouve. Les deux actrices sont superbes, Ruth beauté plus conventionnelle qu'Ellen mais beauté tout de même.
4/5
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede euh... si vous le dites » 26/11/2020 16:24

Leave her to heaven - John M. Stahl (1945)

J'avais vu le film il y a très longtemps et je n'en avais qu'un très vague souvenir.
Ce qui m'a marqué à cette revision, c'est la photo et la beauté du travail sur les couleurs.
Quel plaisir de revoir de tels films dans des copies impeccables alors qu'on ne les avait précédemment vus que via des cassettes VHS qui étaient loin de leur rendre justice !

jolan a écrit:Je ne dirais pas qu'elle est folle.
Il n'y a rien chez elle qui puisse laisser entrevoir une quelconque pathologie, au début.
Le fait qu'elle ait du caractère, qu'elle ait été tyrannique avec sa cousine/soeur, qu'elle ait eu une relation fusionnelle avec son père au point qu'il ait délaissé sa femme ne peuvent être considérés comme les signes d'un déséquilibre.
On perçoit plutôt une femme forte, indépendante, pleine d'esprit, blessée mais saine.

Mais, elle plonge progressivement vers la folie, et c'est ce qui est montré tout au long du film. C'est justement la lente bascule qui est racontée (comme dans le Lumet où ça prenait une nuit, ici quelques mois). C'est le décès récent de son père qui engendre en elle cet état d'instabilité psychique de manière insidieuse et graduelle.


Tout comme Makidoo, je ne partage pas du tout cette vision du personnage.
Je pense que déjà bien avant le début du film, le personnage joué par Tierney est pathologiquement à enfermer.
Et pour moi, on s'en rend compte depuis le début.
Dès son premier regard dans le train, on sent qu'il y a quelque chose qui cloche chez elle. Et ensuite, dans chaque dialogue, dans chaque inflexion de voix, dans chaque attitude, on sent la manipulation et la volonté inflexible de tordre le monde selon la manière pervertie dont elle le conçoit. C'est une femme monstrueuse qui a semé le malheur partout où elle est passée (jusqu'au soupçon d'avoir attiré son père dans des relations incestueuses) et qui va transférer l'amour possessif qu'elle avait pour son père dans celui qu'elle va vouer à l'écrivain. Qu'elle carbure ensuite plein pot à la jalousie maladive n'étonnera dès lors personne.
Ses proches oscillent entre fatalisme et déni, mais au fond, quand la pomme pourrie apparaît au grand jour, ça n'étonne personne.
Tout le talent de Gene Tierney réside dans les nuances et les subtilités que son jeu apporte à ce personnage monstrueux.
Face à ce personnage tout entier dédié à la destruction et qui tire la couverture à elle, la délicieuse Jeanne Crain tire pas mal son épingle du jeu. Elle est, au contraire, le personnage qui incarne la vie. Elle s'occupe des plantes, elle leur permet de grandir. Elle est la "girl with the hoe".
C'est également toujours un plaisir de voir Vincent Price dans sa première carrière, celle avant qu'il ne se spécialise dans les films horrifiques. Je suis impatient de le voir dans Dragonwyck.

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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede Le Complot » 26/11/2020 18:37

Ce drame de la jalousie, d'ailleurs souligné dès son début par la ligne de dialogue annonciatrice : "La jalousie est le pire des pêchés.", réflexion amusante pour moi car je me l'étais déjà formulée, est débordant de classe. Les dialogues sont donc ciselés avec adresse et servent à merveille le jeu, nuancé et précis, voire chirurgical, des acteurs du film. Quand Tierney drague lors d'une dégustation de sandwichs en prononçant les doux mots de "wild turkey", accompagnée de son regard de braise... Le mystère entourant Tierney se dévoile petit à petit, dans un film finalement assez peu dense en actions, mais au rythme là-aussi très précis. En effet, ce drame nous laisse quelques indices, tôt, dissimulés ça et là. Et résolus dans le bon tempo. Le tout dans un suspense allant crescendo via les frasques de Tierney. Le jeu des autres acteurs est plutôt bon, Jeanne Crain joue sa partition avec malice, Price est parfait en amant bafoué. Les décors du Maine sont splendides, les intérieurs "bonbon" aussi, je suis définitivement amoureux du Technicolor Trichrome. Le générique est amusant mais peut-être un peu banal. La scène finale, justifiant en partie le titre du film, baigne dans une lumière divine.

16/20
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede lobo » 26/11/2020 19:00

La jalousie n'est qu'un aspect de cet exclusivisme délirant. Elle est jalouse de Ruth mais elle n'est pas jalouse de Danny, pourtant elle le tue. La soirée où Thorne joue de la guitare, ce n'est pas la jalousie qui la met hors d'elle. Elle n'est pas jalouse de l'enfant qu'elle porte pourtant elle le tue... Cet exclusivisme est bien plus fou que la banale jalousie. Si les gens parlent de jalousie c'est qu'ils n'ont que ce mot à mettre dessus.
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede Le Complot » 26/11/2020 19:04

lobo a écrit:La jalousie n'est qu'un aspect de cet exclusivisme délirant. Elle est jalouse de Ruth mais elle n'est pas jalouse de Danny, pourtant elle le tue. La soirée où Thorne joue de la guitare, ce n'est pas la jalousie qui la met hors d'elle. Elle n'est pas jalouse de l'enfant qu'elle porte pourtant elle le tue... Cet exclusivisme est bien plus fou que la banale jalousie. Si les gens parlent de jalousie c'est qu'ils n'ont que ce mot à mettre dessus.

Si. Elle dit bien que son bébé à naître ("avorton") se serait mis entre elle et son mari.
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede jolan » 26/11/2020 20:48

Par contre, j'y repense une semaine après : je ne vois pas pourquoi elle souffre de ne pas avoir son mari pour elle seule, rien ni personne ne les sépare.
Il est écrivain, ils vivent donc toute la journée ensemble, même s'il passe quelques heures sur sa machine à écrire, il y a pire comme situation. Quand Danny se noie, Richard est en train de se promener.
C'est grossi pour qu'on ait une histoire et un film, mais je trouve que cet aspect est assez bancal.

Il me semble qu'il y a comme ça arrive parfois une sorte de consensus sur ce film, certes lisse et sans grande innovation, mais réussi.

Bon, on va pouvoir enchainer avec le Preminger du coup.

Et oui, c'est cool de pouvoir admirer ces vieux films dans des belles copies restaurées.
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede euh... si vous le dites » 26/11/2020 21:21

jolan a écrit:Bon, on va pouvoir enchainer avec le Preminger du coup.


Avec le Mankiewicz.
Dragonwyck.
J'ai un fichier BluRay rip 1080p mais uniquement sous-titré en anglais.
"Ca ne résout pas vraiment l'énigme, ça y rajoute simplement un élément délirant qui ne colle pas avec le reste. On commence dans la confusion pour finir dans le mystère."
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede jolan » 26/11/2020 21:29

Ooops, confondu. Je confonds souvent les deux.

Je peux faire un transfert du film en VOST, mais si ça ne te prend que quelques minutes, chez moi ça prend des heures, donc je veux bien chercher le fichier de sous-titres adéquat
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede euh... si vous le dites » 26/11/2020 22:43

"Ca ne résout pas vraiment l'énigme, ça y rajoute simplement un élément délirant qui ne colle pas avec le reste. On commence dans la confusion pour finir dans le mystère."
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede jolan » 27/11/2020 00:10

Sous-titres français synchronisés :

[Révéler] Spoiler:
https://we.tl/t-steRx27QAq
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Re: Ciné-Club séance double Gene Tierney (née le 19.11.1920)

Messagede Olaf Le Bou » 27/11/2020 00:21

Leave her to heaven :

un bien joli film, d'une grande beauté plastique, les paysages, les décors, les acteurs, tout est agréable dans ce film. Tout ne serait que luxe, calme et volupté, sans le poison de la folie possessive qui étreint l'héroïne. Les couleurs sont effectivement superbes, mais j'ai également bien apprécié la composition des plans, les scènes à plusieurs personnages sont souvent très équilibrées, la photographie très soignée. Et mention spéciale aux deux superbes résidences, celle de Jacinto et celle du lac, madoué, quelle harmonie dans ces deux endroits. Peut-être une manière de faire ressortir plus fort la noirceur d'Ellen ?

Sinon la mise en scène est sobre et classique, sans grands mouvements de caméra, jouant seulement de la dynamique des changements de cadres et de plans pour insuffler un peu de rythme à tout ça. Un rythme un tantinet trop nonchalant à mon goût. Enfin ce qui est surtout pesant c'est le poids du code Hays, à peine si la tension sexuelle entre les époux est esquissée dans la scène du chalet, avec ces deux lits jumeaux et cette cloison trop fine. Faut dire que le héros est tout de même assez apathique et indolent, la passion qui semble couver juste sous la cendre chez Tierney me parait bien tiède chez Wilde.

Pour compenser, sans doute, on a des symboles à foison : l'amour incestueux par procuration, Ellen s'attachant l'attention exclusive de Richard tout comme elle avait vampirisé l'affection de son père (sans qu'on sache vraiment jusqu'où cet amour été allé), grosse symbolique aquatique également, avec toutes ces scènes de baignade, mais une eau dont on ne sort pas purifié, même si Ellen semble si insouciante et joyeuse en sortant de la mer après sa fausse couche.

J'ai souligné que Cornell Wilde était un brin effacé comme personnage, mais ça permet à la discrète Jeanne Crain de bien tirer son épingle du jeu et d'offrir une charmante composition en contrepoint de la présence flamboyante de Gene Tierney.

bref, un beau portrait de femme torturée porté par une image magnifique et un scénario un peu alambiqué mais élégamment distillé.

4/6
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