de jolan » 21/11/2020 18:41
Leave Her to Heaven (Péché mortel) – John STAHL – 1945
Encore un film intégralement raconté en flash-back après la sortie de prison de Richard. Ce sera donc son histoire. Mais qu'a-t-il fait ? Qui a-t-il tué ?
Ellen ne vit que par elle-même, sans se préoccuper du monde qui l'entoure. Elle ne voit même pas Richard au début, pourtant juste en face d'elle, et elle n'a pas reconnu l'homme sur la quatrième de couverture du livre qu'elle lit. Puis elle commence à voir en lui un double de son père décédé récemment, dont elle vient disperser les cendres. Tout le monde sait bien que Richard a succombé aux charmes d'Ellen dès la première seconde. Ils doivent être habitués de voir des prétendants lui tourner autour. Elle est fiancée, mais tous font en sorte qu'ils se "trouvent".
Ellen est le genre de fille qui obtient toujours ce qu'elle veut, avant même de l'avoir désiré, avant de s'en rendre compte, puisque tout lui est facile. Elle entretient le mystère, avec ses cils qui clignotent, sa voix suave et murmurée, elle le séduit, elle le fait attendre, il va la chercher, elle le chauffe sans en avoir l'air, elle lui dit qu'elle savait qu'il viendrait, et au moment où ça devient chaud bouillant, elle le frustre, elle coupe court et monte se coucher. Le profil parfait de la garce qui sait qu'elle n'a même plus besoin de lever le petit doigt, il est déjà à ses pieds. Et pourtant elle semble ne rien ressentir pour lui, elle semble juste jouer la séductrice.
"J'ai enlevé ma bague de fiançailles il y a une heure, pour toujours"
Elle ne l'a même pas prévenu de son idée de mariage, il est pris de court, incapable de refuser ce cadeau trop beau, elle se sert de lui, mais on ignore pourquoi.
"Je ne te laisserai jamais partir, jamais, jamais, jamais", la phrase qu'elle prononce au tout début, quand elle lui a mis le grappin dessus, et la dernière qu'elle prononcera en mourant
Est-elle manipulatrice ? Calculatrice ? On ne sait pas où va nous mener le récit, ce qu'il en est de cette femme étrange, même si on a une petite idée lorsqu'elle cherche à éloigner Danny, le petit frère handicapé de Richard. Mais il n'en est rien, il semble qu'elle veuille simplement être seule avec son amoureux
"Je t'aime tant que je ne peux te partager avec personne"
Le péché du moche titre français sera donc la jalousie. Une jalousie destructive et meurtrière.
"Elle aimait trop son père" lui dit sa belle-mère, or dès leur rencontre Ellen trouve qu'il lui ressemble, et c'est ce qui va causer son malheur. Richard a tout ce dont on peut rêver : une femme sublime qui l'adore, une maison magnifique au bord d'un lac au cœur d'une nature verdoyante, un doux métier d'écrivain, son petit frère adoré qui vit avec eux. Mais il sent qu'il se dirige vers un malheur latent, que ce temps idyllique ne va pas durer. Car, lentement, insidieusement, nous voyons Ellen se replier dans une folie possessive que rien ni personne ne pourra arrêter.
Un film qui fait plaisir à voir. Un film sans défaut notoire (hormis quelques ombres croisées dues aux différents projecteurs, mais on voit ça partout à l'époque – le pire exemple étant dans "Les Oiseaux" - ce film est hélas loin d'être le seul)
Un beau drame romantique, signé John Stahl, le chantre des mélodrames romantiques (comme les affectionnera plus tard un Douglas Sirk, qui réalisera d'ailleurs un remake de son "Imitation of Life"). Mais il y a ici une férocité et une perversion à laquelle il ne nous avait pas habitués, et qui est assez rare pour l'époque (le film je le rappelle date de 1944). On flirte ici avec des aspects psychologiques qui ne sont pas sans rappeler les films à venir de Hitchcock ou Lang (On pense également à "L'Enfer" de Clouzot/Chabrol, autres films sur la jalousie meurtrière). Donc une sorte de préambule à tous ces films, un drame terrible, au scénario impeccable. La lente progression de la romance vers le drame est bien faite, le venin s'immisce chez Ellen de manière subtile et bien décrite.
Le tout magnifié par un beau technicolor (le premier film en couleur de Stahl, qui n'y reviendra que deux fois je crois, pour une fois il me semble que le film aurait perdu de sa force, de sa véracité, et on aurait perdu en ambiguïté romance/drame en N&B) qui met en valeur la beauté des paysages et de sa comédienne principale (qui irradie chaque plan et offre ici l'une de ses meilleures incarnations – nommée aux Oscars, elle devra laisser sa place à Joan Crawford). Une actrice flamboyante de beauté et de talent (le film fait d'ailleurs étrangement écho à certains épisodes malheureux qui émailleront sa vie, ses grossesses, les troubles mentaux qui en ont résulté). Sans elle, le film perdrait énormément de sa valeur je pense.
3,5/6
(bon par contre si Danny meurt en août, elle ne peut pas décider de tomber enceinte, tomber enceinte, être "grosse" et perdre le bébé, tout cela en un mois, comme il est dit au procès)
Jolan, le gars qui n'a le droit de ne rien dire, sinon ses posts sont supprimés illico par Nexus.