Les noces rouges - C. Chabrol (France) 1973
Un film que je ne pensais ne pas avoir vu, mais si fait, et d'ailleurs j'ai eu l'impression lors du visionnage de prévisualiser la suite en ne sachant plus trop si cela venait effectivement du souvenir du film ou de réellement deviner la suite (lorsque Mme Delamare découvre la voiture de son mari en rentrant de sa virée charnelle nocturne).
Alors, c'est du Chabrol pur jus de l'époque, une ville de province, des notables sérieux et rigides et, sous le vernis de la respectabilité, un monde impitoyable de vice, de corruption et de perversité. La recette préférée de notre Claude national.
L'histoire est basée sur un fait divers authentique du début des années 70 qui a agité la Creuse, les amants diaboliques d'une petite ville tranquille du centre de la France, le département le moins connu
. Chabrol n'a eu qu'à dérouler l'histoire, en apportant une composante politique qui n'existe pas dans l'histoire originelle, ce qui permet de donner du volume au mari, M.Delamare, incarné par un Claude Pieplu, antipathique à souhait, loin des rôles sympathiques qu'il peut avoir plus habituellement, mais cet acteur sait tout faire.
Alors, cette histoire de liaison sexuelle entre Pierre (Maury, Michel Piccoli) et Lucienne (Delamara, Stéphane Audran) dans une société qui s'est émancipée dans les années 70, mais plus sur le papier que dans la réalité dans la France profonde, près de Chateauroux et Vatan (Indre) va amener au drame les des deux jeunes tourtereaux. Ces amants n'en peuvent plus de se retrouver de 5 à 7 pour leurs ébats, en cachette de leurs conjoints respectifs, une femme triste et malade toujours coincée entre les quatre murs de sa chambre au papier peint hideux typique de 1973 et un homme politique qui ne bande plus que pour les opérations de partis et les discours paternalistes. A le voir dans son château en bon père député-maire avec le rosette au revers, j'ai pensé, pure coïncidence, à certains de nos hommes politiques, imbus, pontifiants, persuadés d'être les pères nourriciers des idées et guides des valeurs de la France éternelle.
Le contraste est voulu entre ces demeures anciennes, froides et sans âmes bien que chargées de portraits d'ancêtres, figées dans le temps et les parties de galipettes dans la nature, au plein air avec des vêtements éparpillés ou dans des draps historiques du château pour faire la nique aux institutions établies en giclant le champagne comme des sagouins (faits attribués automatiquement par les institutions à des "jeunes")
Contraste encore entre les élans bestiaux et poilus d'un Piccoli priapique emmêlé avec une Audran mordante et délurée et les rencontres formelles et presque codifiées entre la même Audran et un Pieplu psycho-rigide dans sa demeure.
C'est d'ailleurs Pieplu que je trouve très bon, parfois un peu dans l'excès du politique paternaliste (mais si vous assistez à ces scènes dans des mairies, monuments aux morts, fêtes communales, ça n'est pas si exagéré que ça au fond) qui se révèle plutôt manipulateur et cynique, sacrifiant sa vie privée et sa femme pour ses intérêts électoraux et la politique, l'important étant de sauver les apparences. Fortuitement, je pense à un homme politique de premier plan de la Sarthe, mais ce n'est que pure coïncidence.
Lucienne et Pierre s'en donne à coeur joie, comme des jeunes ados qui découvre les jeux qu'on peut faire à deux.
On ne sait pas trop ce qui motive Pierre à faire le premier pas et à empoisonner son épouse (ce médicament est de plus en plus amer?). Je n'ai pas trop bien saisi non plus si flash-black il y avait lors de la première rencontre de
Pierre et Lucienne au domicile Delamare. Et l'élaboration du plan pour assassiner le mari arrive en toute fin sans que l'on sache comment exactement. Bref, ça finit dans le sang et dans le sordide, la ligne jaune (rouge?) franchie.
Le rôle de la fille (un fils dans le fait divers) est assez curieux, le son du doublage pas terrible, d'ailleurs,
je n'ai pas aimé certaines prises de sons au début notamment. La jeune actrice est elle italienne ? imposée par la production (film franco italien) ? Bref, cette fille, qui a une relation fusionnelle avec sa mère (on apprend qu'elle l'a eue jeune d'une type de passage, qu'elle l'aurait fait avorté si elle avait pu etc.) va se douter des secrets de sa mère et ne supporte pas d'en être écartée comme le mari de sa mère (que visiblement elle ne considérera jamais comme son père).
Le doute sur les morts et la fascination répulsion pour ce qui touche aux morts (elle veut voir le cadavre de Mme Maury ) la pousse à vouloir blanchir sa mère à tout prix, sûre qu'elle est innocente.
J'ai apprécié le moment où la police vient arrêter Lucienne et que cette dernière découvre que sa propre fille a écrit une lettre, dans une bonne intention certes, qui détruit toute sa vie. La caméra tourne autour d'elle et le vertige la prend, c'est bien réalisé. Et la conclusion du flic, qui leur dit simplement et qui montre la stupidité de leurs comportements: Bah, vous pouviez pas partir ailleurs ensemble ?
Donc bourgeoisie et ses notables en province + fait divers sordide = un Chabrol typique, pas le meilleur mais dans la veine.
Ces composantes d'histoire privée, de secrets de famille et de bourgeoisie de province me rappellent les livres de l'écrivain Hervé Bazin. Pour la petite histoire, j'ai vu un Chabrol le mois dernier, jours tranquilles à Clichy adapté de Henry Miller, que je n'ai pas spécialement apprécié, trop long avec des personnages improbables et des reconstitutions historiques moyennes.
Pour dire que personnellement, les Chabrol me semblent très inégaux.
Ma note 3/6