de jolan » 01/02/2020 17:44
Shock Corridor – Samuel FULLER – 1963
Tiens, là aussi une ouverture à l'iris (qui il est vrai correspond bien à un plan sur un long couloir en perspective)
Bon, d'entrée le héros fait un test avec un psy, il se trompe bêtement, mais « il est prêt, il ne le sera jamais davantage » bah bien sûr. Le journaliste est ambitieux, il veut le Pulitzer avec cette incursion incognito en hôpital psychiatrique pour élucider un meurtre qui y a été commis, et il promet à sa compagne de ne pas devenir fou. Okay, donc il va devenir fou. Programme réjouissant. Perso je ne suis pas friand de ce genre d'histoires, j'y allais un peu à reculons. Mais s'il le souhaite vraiment plus que tout, grand bien lui fasse. Il faut être bien dérangé pour vouloir se faire interner. Il se croit à l'abri de la folie, et donc de lui-même, mais est-il à l'abri de la folie des autres, surtout si elle envenime tout le monde insidieusement ? En hôpital psy, il va vite comprendre que la folie est contagieuse. Et surtout, le film va surtout s'avérer être bien autre chose qu'un séjour en psychiatrie. Et c'est heureux.
Parce que toute l'introduction n'est vraiment pas réussie. L'entretien avec le docteur et les questions types qu'il attend en voix off à propos de son enfance et des nattes de sa soeur, puis du fétichisme, c'est débile. Puis il simule tellement bien en en faisant des tonnes qu'il est interné. Les bons gros clichés de la folie hystérique de base. On en aura tout du long, mais c'est un peu le passage obligé, je le reconnais. Encore un autre entretien avec un docteur qui selon ses plans doit lui parler des voix et lui parle des voix. Bon, c'est du scénario pour débutants en folie. La psychiatrie n'avance peut-être pas vite, mais sur le plan des films qui traitent du sujet, on a fait du chemin depuis 1963. La scène avec les nymphomanes qui se jettent sur lui comme des furies, bon bref, il y a vraiment des passages ratés. Mais à partir du moment où interviennent les confessions des trois témoins du cime, le film passe sur un autre plan bien plus intéressant.
C'est seulement là que je comprends que le film parle en fait de l'Amérique et de sa folie guerrière au tournant des années 40/50 (on n'est pas encore au Vietnam, mais ça ne saurait tarder, pour l'heure c'est la guerre au Communisme), de ses états d'âmes, de ses maux, de la société dans son ensemble, et non pas d'un couloir d'hôpital peuplé de malades. En fait, personne n'est à sa place dans ce film, pas plus la jeune femme lettrée qui gagne sa vie comme strip-teaseuse, que le journaliste dans son hôpital. Nous allons découvrir un monde qui marche sur la tête, qui dysfonctionne.
Pour ce qui est du meurtre et de l'enquête, on est bien nombreux à savoir qui est le coupable, puisque depuis le début du film on n'a eu à faire qu'à un seul « infirmier », mais cette enquête n'est qu'un prétexte. Les trois témoins vont se succéder et raconter leur vérité à John Barrett, dévoiler le secret de leur folie, la folie de l'Amérique, dans un moment de lucidité passagère, puis sombrer à nouveau dans leur délire juste au moment où ils allaient identifier le coupable du crime. Trois témoins, trois traumatismes, trois identités, trois folies, trois histoires. Un homme paumé qui n'a jamais ressenti l'amour et la fierté de son pays, et qui a été retourné par les communistes lorsqu'il était soldat, au point de ne plus savoir qui il est, puisqu'il se prend pour un général sudiste de la guerre de Sécession (c'est l'acteur qui jouait Rosco dans « Shérif fais-moi peur »). L'histoire des Etats-Unis est passée au crible avec chaque témoin du crime. Témoin surtout des crimes de son pays et des époques sombres qu'il a traversées. On croise aussi un autre symbole avec cet homme qui tend le bras et devient une Statue de la Liberté creuse, inerte, silencieuse. Un autre témoin inutile et impassible. Ce que deviendra lui aussi Barrett à la fin du film.
Après la guerre, le racisme, la ségrégation. Le deuxième témoin est un noir qui croit avoir fondé le KKK et mène un combat acharné contre les nègres. Le dernier, un scientifique, physicien atomiste qui ne veut plus vivre dans ce monde terrifiant où la menace atomique est permanente et s'est réfugié dans le monde de l'enfance faussement protectrice, finit par lui avouer qui est le coupable, un infirmier qui abusait de jeunes femmes - le loup est dans la bergerie - mais il est déjà trop tard, la confusion mentale s'est déjà emparée de Barrett (avec les signes avant-coureurs d'aphonie), qui a toutes les peines du monde à persuader le directeur qu'il dit vrai. S'ensuit la scène de bagarre obligée, puis les aveux idiots du meurtrier soutirés par la force et criés au moment même où ses collègues viennent le libérer. On a droit alors à un bref happy-end, suivi aussitôt du nouvel état cathartique de Barrett assez paradoxal. Il aura bien le prix Sulitzer, mais à quel prix...
J'ai bien aimé le moment du basculement, lorsque sa compagne Cathy perd le contrôle et autorise les électrochocs, persuadée qu'il perd la tête, qu'il la prend pour sa sœur parce qu'il refuse de l'embrasser. Les fous seraient-ils les autres, ceux qui vivent à l'extérieur ?
On l'aura compris, un film plus intéressant sur le fond et ce qu'il raconte que sur la forme et ce qu'il montre. Un film sur la folie, la folie des hommes, mais pas forcément ceux qui peuplent les asiles, plutôt ceux qui bien à l'abri dans leur pouvoir font la guerre, envoient des hommes en tuer d'autres, ou ces malades sans remèdes qui considèrent qu'un homme de par sa couleur ou sa différence (il aurait pu y avoir un volet sur les religions ou l'homosexualité) doit être enfermé, chassé ou disparaître.
La moyenne, un film qui raconte vraiment quelque chose et parle de nous, ça me plaît toujours davantage que toutes les superficialités "fantômastiques"
3/6
Jolan, le gars qui n'a le droit de ne rien dire, sinon ses posts sont supprimés illico par Nexus.