de jolan » 08/01/2020 21:12
Fallen Angel – Otto PREMINGER – 1945
Comme d'habitude, le titre original est bien plus juste. C'est vrai qu'à certains moments on pense aux précédents films du ciné-club, aux anges déchus de « The Tarnished Angels », à la scène d'introduction de « Kiss me Deadly », à « Letters to Three Wives » pour les personnages de femmes provinciales et en particulier celui de Linda Darnell dont elle est une très proche sœur. Ou à d'autres films noirs de l'époque, comme « The Killers ».
Premièrement, sur le plan formel, le film est d'une esthétique très plaisante, nocturne, en clair-obscur, très travaillée (le même chef op que pour « Laura » tourné peu avant), qui lui donne un cachet supplémentaire. Il y a tout le long du film de jolis mouvements de caméra, de jolis plans ambitieux, et même des plans-séquences très intéressants, qui lui confèrent une certaine modernité (comme ce plan pendant qu'ils dansent séparément et qu'il lui demande de plaquer son danseur, ou celui dans la chambre d'hôtel avec le jour qui se lève dans le reflet de la fenêtre – fabuleuse scène en deux plans-séquences). Noté uniquement deux erreurs de réalisation : lorsqu'on voit madame Mills parler et que sur deux changements de position de la caméra en suivant Stanton on voit derrière elle le même fond, avec la pendule. Puis, juste après, quand sa soeur June se sert du thé, on voit son ombre bouger derrière elle avec le mouvement de caméra (et du réflecteur qui l'accompagne)
Puis, l'atmosphère de film noir qui est plantée en quelques plans en ouverture, avec ce bar près de la plage, puis plus tard sur la plage près du Pier, on se croirait en Angleterre. Il y a un goût de départ, de ponton vers un ailleurs qui nous appelle de ses rafales de vent et son fracas des vagues comme une berceuse, à deux pas, mais on reste finalement au chaud pour boire un café en rêvant d'une vie meilleure.
Bon, l'histoire. Et le cœur du film, Stella - la sublime Linda Darnell, parfaite dans ce rôle, avec sa beauté sidérante et sa voix grave - la petite serveuse dont tout le village est amoureux, et qui se moque bien d'eux. Stella, l'étoile de leurs nuits. Totalement blasée par cette vie monotone dans cette petite ville, elle a cherché à fuir, et elle les regarde à peine, en levant son beau regard sur cet inconnu, qui finalement va la lasser très vite, comme tous les autres. Elle aimerait connaître son avenir. Elle veut surtout que sa vie commence, n'importe où, mais ailleurs. Il lui dit que son avenir se fera avec lui. Elle se laisse bien vite séduire. « I like the way you talk ». C'est sa seule chance de partir de ce « bouge ». C'est vrai que c'est un beau parleur. Tout le long du film il a un discours intelligent et imagé, ironique et sensé, à double-sens. Mais elle résiste. Paroles, paroles, paroles, belles promesses. Elle prend un malin plaisir à se laisser séduire puis à éconduire les hommes qui passent sur sa route. Elle ne se laisse embrasser que si on lui promet de l'argent et une vie rangée de ménagère comme les riches, vie qu'elle ne supporterait pas plus de deux jours. Elle préfère les laisser mariner longuement et les rendre tous accrocs et jaloux.
Je ne vois pas trop pourquoi Stanton s'acharne à satisfaire à ses désirs de richesse – en fait, même si on est charmé nous aussi par cette femme on n'épouse jamais vraiment les motivations de ce « héros », qui par bien des aspects est vraiment trop égoïste, manipulateur, un pauvre petit truand paumé même s'il pourrait être davantage et se croit bien davantage. Elle n'a absolument aucun intérêt au-delà de sa beauté, elle semble ne rien ressentir pour personne, pas plus que pour elle-même. Sa beauté lui a déjà permis de voir de quoi sont faits les hommes, elle est déjà au bout de sa vie, déjà morte, abîmée par l'illusion de bonheur qu'elle semble leur proposer, mais qui ne lui apporte que des déceptions. Elle a un caractère bien trempé, comme les femmes du film noir naissant en auront toutes, ces femmes fatales, bien loin du stéréotype de la petite ménagère docile, esclave consentante. Elle fume, elle boit, elle drague, elle se joue des hommes, elle ne se laisse pas faire. Et c'est sans doute cette liberté qui fascine et les attire tous comme des mouches. Une femme qui quelque part serait leur égal, mais en bien plus attirant. Et pourtant lorsqu'elle lui montre sa chambre vide pour prouver qu'elle n'est pas avec un homme, on voit que la belle brune tant convoitée ne passe ses nuits qu'avec sa panoplie d'ours en peluche. Mais elle lui résiste et il veut la posséder, l'obtenir, même si pour cela il doit user d'un subterfuge ignoble.
Au final, lui et elle sont semblables. Flirter pour de l'argent. L'amour n'a pas sa place, et pourtant il est amoureux d'elle, et June Mills est amoureuse de lui. Le drame n'est pas loin. Le film est intelligent parce qu'il monte progressivement. On sait qu'il va advenir un crime, c'est le titre français. Mais on ne sait pas quand, qui, par qui, ni pourquoi. Et c'est à partir du moment où Stella disparaît que le film perd en intérêt d'ailleurs. Dès lors que le meurtre est commis, il n'y a plus aucune tension. La fuite de Stanton et de sa toute nouvelle épouse est bien terne - outre la scène en deux plans dans l'hôtel. La faute à un scénario qui au lieu de se tendre et de se complexifier retombe dans le simpliste et le conventionnel. L'intrigue s'est installée, le crime est commis, mais la seule chose qui reste réside dans la découverte du meurtrier, qui se fait au dernier moment, de manière surprenante, mais guère emballante. Fortement déçu par la seconde partie, qui fait volte face par rapport à la première.
J'ai noté la présence de l'église, qui sonne les heures : il est 2h quand Mrs Ellis rentre dans sa chambre d'hôtel. L'horloge chez la pieuse Clara Mills. Le dimanche matin, lorsqu'ils doivent partir, on entend les cloches après la messe. Puis la rencontre lorsqu'elle y travaille son orgue. L'église de la foi contre les superstitions et le charlatanisme, c'est pourtant exactement la même chose.
« Quand j'aide quelqu'un, quelqu'un d'autre trinque » dit-il à celle qui va trinquer. La blonde et innocente June Mills, pure et naïve. Qui ne vit que par les livres et les partitions de musique classique. Sans doute le rôle le plus intéressant après Stella, le jeu de la comédienne est très bien. Mais on ne peut qu'avoir pitié d'elle et de ses sentiments envers un homme qui la considère comme un moyen d'arriver à une autre. Le plan final se fera sur une hypocrisie du même ordre.
Même chef op et compositeur que pour « Laura » (la chanson qui plaît tant à Stella), tourné quelques mois plus tôt, mais pas du tout la même magie. Belle réalisation, beaux cadres, belles lumières, mais un bel écrin ne fait pas un grand film. Rien d'extraordinaire, mais un bon petit film noir propret. C'est dommage, il était possible de faire bien mieux. C'est d'ailleurs ce que Preminger fera.
3/6
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