arcarum a écrit:Godzilla – 1954
Dans le japon de l’après-guerre un monstre attaque le Japon.
Sous ce pitch ultra-simpliste se cache un film d’une bonne tenue et d’une bonne facture et particulièrement moderne.
La réalisation est nerveuse, intelligente et alterne de manière claire et compréhensible les évènements, qu’ils soient dramatiques comme heureux. L’usage de la musique est efficace, lourde et empesée lorsque nous assistons aux scènes de destruction ou de deuil, vive et mobilisatrice lorsque qu’il s’agit de montrer l’intervention des secours ou la mobilisation du pays pour tenter vainement de contrer le monstre.
Les scènes montrant la société tentant d’imaginer des plans ou des solutions est aussi très solide, avec cette adversité des tenant d’une protection des populations pour la santé de l’économique, comme les partisans de l’information. Le scénario n’est pas manichéen, les choix qui seront faits aurons autant d’importances que de conséquences.
Le jeu des acteurs est un peu en dessous de la technique. Un peu trop en retenu ou trop dans le sur-jeux, ce qui le rend peu, voire pas crédible. De même le film à beaucoup vieilli par l’image de la société qu’il présente et parfois la place de la femme (même s’il a peu évolué) ne sert ici que de faire valoir.
Je n’évoquerai bien sûr pas les effets spéciaux parce que la moindre série télé est aujourd’hui capable de faire bien mieux avec beaucoup moins de moyens.
Bien que le film soit connu pour sa critique de la bombe et de ses conséquences sur l’humain, il m’a semblé qu’en fait le film est surtout une charge contre la bêtise de l’humain qui, au nom de la modernité ou de sa domination de la planète détruit tout.
5/6
J'aime bien ta chronique.
Elle résume bien les qualités et les enjeux du film.
Je rajoute quelques commentaires et perspectives :
De même le film à beaucoup vieilli par l’image de la société qu’il présente et parfois la place de la femme (même s’il a peu évolué) ne sert ici que de faire valoir.
Il y a un très beau plan (vers le milieu du film, je crois) d'un intérieur où on voit l'action se dérouler sur trois plans : en avant-plan, le jeune homme assis sur une chaise de type occidental, juste derrière le père assis par terre sur un tatami devant une table basse traditionnelle et venant de l'arrière la jeune femme qui traverse l'espace en venant apporter des rafraîchissements depuis l'espace privé de la maison.
Tout est dans ce plan, qui dure juste quelques secondes.
Bien que le film soit connu pour sa critique de la bombe et de ses conséquences sur l’humain, il m’a semblé qu’en fait le film est surtout une charge contre la bêtise de l’humain qui, au nom de la modernité ou de sa domination de la planète détruit tout.
Le film joue sur les deux tableaux sans, à mon sens, minorer l'un par rapport à l'autre.
Godzilla sort en 1954 quelques mois après l'incident du Daigo Fukuryu Maru, où des marins japonais furent gravement irradiés par les retombées d'un essai nucléaire américain.
Le début du film y fait d'ailleurs directement et frontalement référence.
Le film entend donc s'inscrire à la fois dans l'actualité directe et dans le même temps faire figure de parabole intemporelle.
Mais personnellement, c'est un troisième aspect du film qui m'a le plus marqué : la manière dont le film revisite le traumatisme non seulement de la bombe mais surtout de la destruction de Tokyo en 1945.
Les images de Godzilla se découpant sur un Tokyo dévoré par les flammes, avec le commentaire journalistique qui énumère les noms des quartiers en feu, c'est une image qui reste encore extrêmement forte aujourd'hui mais qui à l'époque ne pouvait manquer de rappeler aux Japonais la destruction partielle de Tokyo sous les bombes incendiaires américaines en mars 1945.
L'oncle de mon épouse m'a un jour raconté la manière dont il a vécu cet évènement alors qu'il était enfant (contrairement à sa sœur, ma belle-mère, il n'avait pas été évacué à la campagne), c'était absolument terrifiant et profondément traumatisant.
Même si les effets spéciaux pourront paraître aujourd'hui plutôt "rustiques" (même si moi, je suis super fan du travail d'Eiji Tsuburaya - le pendant japonais du génial Harry Harryhausen), ils ne gâchent pas l'âpreté des conséquences des destructions causées par Godzilla.
Godzilla sème la mort et la terreur et ça n'est en aucun cas édulcoré (ce en quoi ce film se démarque très largement de la vague de films de monstres qu'il va lancer).
Plusieurs autres scènes, des inserts qui peuvent paraitre anecdotiques (mais qui furent tous soigneusement expurgés de la version internationale) ramènent également au traumatisme de la guerre : la femme dans le train qui dit avoir survécu à Nagasaki, la scène terrible de la femme qui avant de mourir en compagnie de ses enfants leur annonce qu'ils vont rejoindre leur père, toutes les scènes d'évacuation,...
Toutes ces scènes étaient nouvelles dans le cinéma japonais de l'époque, pour la bonne et simple raison qu'elles auraient auparavant été interdites.
En effet, le cinéma japonais a subi jusqu'en 1952 la censure de l'administration américaine, empêchant notamment les cinéastes japonais de s'attaquer à certains sujets.
Un film tel que Godzilla n'aurait pas été possible sous la censure américaine.
Dernier point, le début du film dans le village de pêcheurs, traité sur un mode "ethnologique" avec la cérémonie rituelle et l'évocation d'un Gojira de légende permet de lancer une dernière piste de réflexion, celle d'un Japon de tout temps ravagé par les catastrophes naturelles, typhons, tremblements de terre, tsunamis, éruptions volcaniques.
Le film Godzilla fait aussi appel à des peurs séculaires profondément enracinées dans l'âme des Japonais (j'ai mentionné plus haut l'incendie de Tokyo de 1945 mais ici je pourrais évoquer le terrible tremblement de terre de Tokyo de 1923).
Sous son aspect de film de genre, Godzilla est en fait un film qui raconte énormément de choses (pour qui se donne un tant soit peu la peine d'essayer de les voir).
Un film qui replace de manière traumatique et populaire le peuple japonais à la fois dans son passé séculaire, dans son passé récent et qui lui cherche une place apaisée pour le futur (belle mise en miroir de la décision de sacrifice de Serizawa et du chant des jeunes filles pour la paix).
En tant que film de genre, il est aussi évidemment le film fondateur du kaiju eiga.
Le film crée tous les codes et passages obligés qui régissent le genre depuis lors, même s'ils seront utilisés dans des contextes beaucoup plus légers, pour le meilleur (surtout les films pop de Honda dans les 60's) et souvent pour le pire (les ridicules films de Jun Fukuda par exemple).
Ma note : 4.5/6
"Ca ne résout pas vraiment l'énigme, ça y rajoute simplement un élément délirant qui ne colle pas avec le reste. On commence dans la confusion pour finir dans le mystère."
Denis Johnson - "Arbre de fumée"