de jolan » 03/10/2022 02:59
Rashōmon – Akira KUROSAWA – 1950
Rashōmon, la "porte des démons". Où trois personnages viennent s'abriter de la pluie, une belle pluie en N&B.
Où va se raconter une étrange histoire de meurtre à plusieurs facettes.
Comme lors de ma première vision, j'ai trouvé que l'intrigue en elle-même n'a absolument rien d'intéressant. C'est même plus que risible après ce qu'on entend dire dans l'introduction, où aurait été perpétré "le plus horrible de tous les crimes". Comme dans son film précédent "Scandale" où il s'agissait d'un petit fait divers anodin dont on se fichait éperdument, nous avons là un banal petit meurtre sans rien d'affreux ni d'extraordinaire, qui sert de noeud aux divers évocations des faits.
Ce qui importe, finalement, c'est la façon de conter l'histoire, par mises en abîme successives, et la façon dont la trame se divise et se complexifie selon les narrations, jusqu'à en perdre toute réalité. Parce qu'entre la version d'un bandit à moitié timbré (heureusement que j'ai vu Mifune jouer dans les films précédents de Kurosawa, je peux constater que c'est un bon comédien et qu'il livre ici une prestation proche de la farce mais qui ne constitue pas son jeu principal - avant de voir des films plus modernes j'en avais un peu ras la casquette du jeu outrancier et grossier "à l'asiatique"), celle de la femme hystérique qui ne sait plus si elle a tué son mari puisqu'elle s'est évanouie, et celle du mort suicidé par le biais d'un chaman, c'est un peu ardu de dénicher la vérité. Versions elles-mêmes narrées par le bûcheron et le bonze à un passant, ce qui peut déjà altérer les versions.
Mais même ce procédé en flash backs et en narrations à trois niveaux temporels finit par lasser. Le film devenait intéressant à mesure que la trame narrative s'étoffait, puis à un moment l'histoire m'a semblé passer au second plan et m'a totalement échappé. Sauf qu'il n'y a rien d'autre. La dernière évocation étant d'ailleurs la plus morne et le duel final d'un total ridicule. On sent aussi, comme le passant, que le bûcheron dissimule quelque chose dans ses évocations, et il finit par se trahir. Bon, donc "tous les hommes mentent", et les femmes aussi. Comment peut-il subsister une vérité objective dans ce cas ? Le message des hommes cupides et menteurs est bien passé (j'aurais plutôt tué la femme perso : moche, hystérique, pleureuse, hautaine, calculatrice, qui en plus tombe dans les bras du premier venu... une véritable plaie... smiley je plaisante), mais au final je ne perçois plus ce que peut signifier le récit - même si le thème est intéressant - ni la scène finale avec le bébé abandonné. Le fait qu'il n'y ait pas de véritable fin est perturbant aussi, on reste dans un flou novateur, mais étrange. Pour ce qui est de la construction du récit et de l'intérêt du film d'accord, j'entends bien la démarche, mais des faits moins anodins et un récit plus complexe auraient peut-être donné plus de corps à l'ensemble.
Au niveau de la réalisation, j'ai noté une nette amélioration par rapport aux films précédents. C'est audacieux, il y a un beau travail sur le cadre, la lumière, des mouvements de caméra un peu hésitants parfois, mais c'est assez plaisant plastiquement. La façon dont est filmé le procès est originale, où le spectateur fait office de juge, observateur, silencieux.
J'aime bien l'idée de la situation présente, avec le temple sous la pluie battante et les faits relatés sous une chaleur accablante, à trois jours de différence. Même si le procès qui a eu lieu juste avant les scènes au Rashōmon sont elles aussi sous le soleil. J'aime bien aussi l'idée que chacune des versions est illustrée par une musique de style différent (on est d'abord un peu dans une sorte de Prokofiev balbutiant, puis très clairement dans une référence au "Boléro" de Ravel revisité façon nipponne)
Pas totalement convaincu, donc, mais un film plaisant à revoir, par son ambition et sa qualité esthétique.
3/6
A voir maintenant si le remake de Ritt a gagné en complexité dans le scénario, ou s'il me fera mieux apprécier ce film original, à rebours.
Jolan, le gars qui n'a le droit de ne rien dire, sinon ses posts sont supprimés illico par Nexus.