yannzeman a écrit:Il existe des BD, ne répondant peut-être pas à la demande franco-belge, mais qui feraient très "françaises" à l'international, et pourraient y trouver un public, même de niche.
Les films français arrivent bien à s'exporter là-bas, et parfois des films n'ayant pas trouvé leur public en France, ou qu'on ne soupçonnerait pas de trouver un public aux USA.
JC Menu faisait ce constat dans son
Plates-Bandes, soulignant combien les formes "habituelles" du mainstream d'une culture étaient tellement codifiées qu'elles en devenaient paradoxalement difficiles à exporter, alors que les approches d'auteurs, touchant plus à une forme d'universalité, étaient finalement mieux armées.
Un élément qu'il omettait alors de mentionner, c'est que les attentes en terme de ventes des structures publiant l'une ou l'autre étaient également très différentes -- le petit éditeur considérant comme satisfaisant (voire miraculeux) d'atteindre des chiffres comparables à ce qu'il peut avoir en France, le gros, bien sûr, espérant un succès populaire.
Ce qui me renvoie à
ce très vieil entretien qu'on avait fait avec La Comédie Illustrée, en 1998:
Gregg: À partir de quand avez-vous commencé à traduire en anglais ?
Jean-Philippe Peyraud: Il se trouve qu’on avait croisé pas mal d’étrangers intéressés et pour qui c’était plus facile d’avoir un produit anglais. On s’est dit pourquoi pas, et on s’est lancé comme ça..
Christopher: C’était un désir que nous avions depuis assez longtemps. Le potentiel du marché français étant restreint, nous nous sommes dit que, pour essayer de faire vivre la comédie illustrée, pourquoi ne pas essayer de pousser jusqu’au marché américain. Ça a commencé quand nous sommes allé au festival d’Angoulême 1996 où j’ai pris les premiers contacts avec Capital. On avait fait un prototype pour savoir s’ils étaient intéressés, soit par le format album français, soit par le format comic. Ils ont dit « on vous prend tout de suite les formats comic » et donc c’est ce qu’on a fait. Avec le principe de distribution aux États-Unis par catalogue de Diamond, de Last gasp, c’est beaucoup plus simple et agréable pour nous de pouvoir prévoir les tirages. À partir de là, il faudra essuyer les plâtres avec les premiers numéros pour se faire connaître et puis on va essayer d’évoluer. Puisqu’on a la possibilité de traduire les bouquins en anglais, autant jouer cette carte-là à fond.
Gregg: Mais ça continue en anglais ?
Christopher: Oui, bien sûr. Il y a Arthur Van Kroening qui, très gentiment et bénévolement, nous traduit les Pleasantly Disturbed et Jean-Paul Jennequin qui relit et retraduit derrière. Moi, je fais ça avec ma mère, et on passe des heures pour essayer de trouver les jeux de mots, pour avoir un équivalent en anglais.
Gregg: Il y a eu trois numéros de chaque ?
Christopher: Pour l’instant. On va essayer de sortir les prochains, peut-être, pour Angoulême, parce que d’ici là on est débordé.
Gregg: Vous avez tout de suite pensé à le faire vous-même, au lieu de passer par un autre éditeur ?
Christopher: En fait, c’était un peu le grand dilemme. Depuis le départ, nos planches on aurait très bien pu les présenter chez un éditeur, mais on ne l’a pas fait. Après, pour les comics, je crois que ça nous est pas tellement venu à l’idée d’aller les présenter chez les autres.
Jean-Philippe Peyraud: On avait pris l’habitude de tout faire nous même, donc on s’est dit autant garder la main-mise sur les éditions étrangères.
Gregg: C’est surprenant qu’il n’y ait pas eu plus de Français qui vous aient suivi dans cette voie.
Christopher: Ça m’a toujours un peu étonné, car il y a quand même un potentiel assez énorme comparé au marché franco-belge. Mais il faut trouver quelqu’un pour pouvoir les traduire, et je crois que c’est ça qui arrête le plus. Nous, on a vraiment des problèmes de traduction, arriver à trouver les personnes bénévoles pour traduire, relire, re-relire, recorriger, il se passe bien 3 mois entre la première traduction et la dernière, c’est vraiment très long. Après, il faut présenter tout ça, c’est un sacré travail, et d’ailleurs nous on pêche un peu sur la communication aux États-Unis de nos produits. On a eu des articles dans le Comics Journal et autres, mais ça ne suffit pas. Il faudrait qu’on fasse des démarches avec les représentants là-bas, mais on n’a ni les moyens, ni le temps.
Gregg: Ça m’étonne quand tu dis qu’il y a un potentiel énorme aux États-Unis. Au début, c’est ce que je croyais, je me disais qu’en France on a un tirage indépendant qui pouvait monter jusqu’à 5000 …
Christopher: Tu es optimiste.
Gregg: Oui, disons avec une vision optimiste qu’on pourrait monter jusqu’à 5000 en France, et proportionnellement j’imaginais que cela atteignait 15000 aux États-Unis, mais je me suis rendu compte que des éditeurs comme Drawn and Quarterly ou Black Eye Books sortent des albums à 3000 exemplaires et ça s’arrête là.
Christopher: Oui, mais c’est 3000 exemplaires, et pour nous il y a tout un gain de temps puisque le produit est déjà fait, il y a juste à le traduire, à le relettrer et le maquetter. On se dit que si on arrive à faire d’un côté 2000 en France et si on arrive à pousser jusqu’au 3-4000 aux États-Unis, on arrivera à 6-7000, ça serait assez génial. Mais pour l’instant, on n’y est pas, on va essayer avant tout de continuer et de faire en sorte qu’on ne nous oublie pas.
Jean-Philippe Peyraud: Ce qui est assez curieux, c’est qu’involontairement il y a eu une espèce d’effet marketing rigolo, car des Français, qui doivent traîner dans les librairies de comic, nous ont découverts à travers les comics américains et doivent nous prendre pour des Québecois ou je ne sais quoi, alors qu’en fait, c’est 100 % français.