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C'est la crise ? Auteurs et monde de l'édition - 2010-2021

Pour discuter de tous les sujets généraux autour de la bande dessinée, des libraires, des éditeurs et des auteurs

Re: C'est la crise ?

Messagede Xavier Guilbert » 09/06/2013 17:36

Message précédent :
Je suis d'accord avec les deux derniers points, et je suis effectivement convaincu que la bande dessinée va devoir s'orienter vers le modèle de la littérature, et que cela passe par le développement d'un discours autour de la bande dessinée (en particulier venant des éditeurs).

Par contre, pour le premier point, je pense qu'il faut pas mal nuancer, et qu'il y a certains aspects qui ont touché l'évolution de la musique qui sont aussi applicables au cas du manga.
Certes, les revenus des majors ont fortement diminué avant l'arrivée d'Apple, principalement à cause d'un changement important des comportements des acheteurs. On parle toujours beaucoup du piratage (qui est l'un de ces comportements qui ont pris de l'ampleur grâce au numérique), mais il faut aussi souligner le changement profond que représente le passage d'une société de consommation (où il est important de posséder) à une société de loisir (où il est important d'avoir l'expérience de). Le déclin de la musique enregistrée avant l'arrivée d'Apple a plusieurs facteurs: la disparition de supports obsolètes (la cassette audio), l'apparition de collections à bas prix (qui mécaniquement, génèrent moins de revenus), le transfert vers la musique live et enfin le désengagement marqué des majors du format du single qui va suivre.

L'intérêt pour les concerts est important, dans le sens où l'on retrouve deux caractéristiques essentielles de notre société de loisir: l'expérience (ici et maintenant) et l'aspect social. Dans un contexte où l'on est sans cesse plus sollicité (et portables et réseaux sociaux ne font qu'exacerber cet aspect), l'expérience, le fait de vivre quelque chose, devient le signe de quelque chose de précieux. Ensuite, l'aspect social prolonge tout cela en générant des échanges et des moments partagés.
(note que le cinéma propose quelque chose d'approchant -- après tout, on va rarement tout seul voir un film)

Le manga présente le même aspect social, avec des communautés très actives et très impliquées. L'analyse sociologique montre qu'il y a beaucoup d'échanges, de prêts, de discussions dans la cour de récréation autour des grandes séries, et on retrouve cet aspect sur Internet avec les forums dédiés (qui sont reconnus comme étant de très loin les plus actifs dans l'univers bande dessinée).
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Re: C'est la crise ?

Messagede eBry » 09/06/2013 19:08

Nuances très importantes, effectivement! Je te rejoins tout à fait là-dessus...
Monsieur Rathbone, on m'a dit le plus grand bien de vous. Seulement, chacun doit rester sur ses gardes et ne pas esquisser le moindre geste. Je vous sers un scotch ?
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Re: C'est la crise ?

Messagede eBry » 12/06/2013 15:38

http://www.bodoi.info/news/2013-06-12/b ... logy/69055
Après Delcourt/Soleil en janvier dernier, c’est donc au tour de Glénat de se laisser séduire par les services et technologies développés par ComiXology.
Monsieur Rathbone, on m'a dit le plus grand bien de vous. Seulement, chacun doit rester sur ses gardes et ne pas esquisser le moindre geste. Je vous sers un scotch ?
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Re: C'est la crise ?

Messagede Afigiboto » 12/06/2013 16:04

luc Brunschwig a écrit:L'un des problèmes dont on parle peu, c'est que la production BD est devenue une production de "commande" plus ou moins avouée. Ce sont les éditeurs qui réclament certains types de bouquins ou qui passent des commandes précises aux auteurs. [...]
Il est où l'auteur là-dedans ?


L'auteur qui refuse la commande, parfois, il s'auto-édite.
On commence à être quelques uns à prendre nos distances avec un système dans lequel on ne se reconnaît pas ... et dont vous débattez ici des méfaits.
Cette production indépendante, elle existe. On la trouve dans les festivals ou sur les sites de financement participatif.
Et cette production, elle n'attend qu'une chose : recevoir le soutien des amateurs de BD et autres qui, de plus en plus nombreux, en ont marre d'une production BD industrielle qui ne nous apporte plus le plaisir que l'on attendais de cet art.

Pour faire changer les choses, c'est simple : Soutenez la BD indépendante !

(Auto-promo ... mais pas que !!!)
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Re: C'est la crise ?

Messagede eBry » 12/06/2013 17:07

100% d'accord. Pour ça il faut un max d'accessibilité à cette production...
Monsieur Rathbone, on m'a dit le plus grand bien de vous. Seulement, chacun doit rester sur ses gardes et ne pas esquisser le moindre geste. Je vous sers un scotch ?
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Re: C'est la crise ?

Messagede thyuig » 12/06/2013 17:39

malgré tout, on ne peut pas "squizzer" l'éditeur et le libraire dans ce qui serait pour moi leur rôle premier : l’écrémage.
Le participatif c'est bien, mais comment fait-on pour faire un bon livre ? Je ne dis pas que les éditeurs de maintenant font le boulot mais je crois comprendre que le principal reproche actuel tient au fait que l'édition manque de directeur de collections investis.
Personnellement, payer un auteur via le net sans aucune garantie de qualité, je reste persuader que ce n'est pas le boulot du lecteur.Ce n'est pas à nous de faire un pari (ou alors de façon tout à fait isolée) sur un album avant même sa conception.
J'ai l'impression peut-être fausse que les auteurs qui passent par le participatif sont ceux qui n'ont pas pu publier par ailleurs. Je me trompe peut-être, ce n'est que pure supputation de ma part.
L'avenir, c'est vraiment passer sa vie sur les forums participatifs pour dénicher la perle rare dans laquelle on va claquer 5 ou 10 euro ? Vous y croyez vraiment à ça ? Il y a ici des lecteurs qui achète 20,30 ou 40 bouquins par mois, ils vont "participer" sur 40 projets mensuels ?
Comment intéresser le néophyte à un bouquin qu'il ne connaîtrait que via le participatif ? Je me suis fait la réflexion pour La Revue Dessinée dont j'avais relayé la participation ouverte sur mon FB. Parmi mes connaissances FB qui ont "liker" la page, deux travaillent comme auteur, trois sont libraires, et les 5 ou 6 autres sont des lecteurs réguliers de forum bd.... Tout les autres s'en foutaient royalement alors qu'ils seront peut-être attiré par la revue en librairie.
Ce que je veux réussir à démontrer, c'est que la bd est déjà un média fortement "ghettoïsée" sur les étals (sauf la période des fêtes...) mais revendiquer le futur de celle-ci via les médias participatifs c'est se tirer une balle dans le pied : personne ou presque ne parlait de la bd, plus personne n'en parlera. C'est un peu du même ordre lorsqu'on peut lire que le court-métrage recèle de merveilles : peut-être, mais personne n'en voit jamais.
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Re: C'est la crise ?

Messagede Afigiboto » 12/06/2013 18:10

thyuig a écrit:J'ai l'impression peut-être fausse que les auteurs qui passent par le participatif sont ceux qui n'ont pas pu publier par ailleurs. Je me trompe peut-être, ce n'est que pure supputation de ma part.


En ce qui nous concerne, c'est un choix. On avait un éditeur intéressé pour notre BD mais ses conditions ne nous convenaient pas du tout. Je ne rentrerai pas dans les détails ...

thyuig a écrit:Le participatif c'est bien, mais comment fait-on pour faire un bon livre ?


C'est très subjectif ... mais une chose est sûre, c'est que ce n'est pas la présence d'un éditeur qui garanti qu'un livre est bon et ce n'est pas son absence qui signifie qu'il est mauvais.

thyuig a écrit:L'avenir, c'est vraiment passer sa vie sur les forums participatifs pour dénicher la perle rare dans laquelle on va claquer 5 ou 10 euro ? Vous y croyez vraiment à ça ?


J'achète des produits dans des supermarchés et d'autres à des producteurs sur le marché. Et beaucoup de gens sont comme moi à avoir un mode de consommation très diversifié. L'avenir n'est pas dans le tout participatif ou le tout industriel, mais dans un juste équilibre.
Le financement participatif dans la BD est quelque chose de récent et il faut que ça prenne sa place. Si il y a deux ou trois sites qui en proposent, je pense qu'il n'est pas très difficile pour les amateurs d'aller y jeter un oeil de temps en temps et d'acheter une BD qui leur plaît en se disant en plus qu'ils contribuent à faire vivre l'auteur ...
C'est ce que soulève eBry : il faut que cette production soit accessible facilement.

En attendant, je suis super fier de sortir ma seconde BD via le financement participatif (http://fr.ulule.com/cayenne/). Je ne pense pas faire de la sous-BD via ce biais. J'y ai mis le même coeur à l'ouvrage que lors de ma première BD publiée chez un éditeur. Je dirai même que j'y mets plus de coeur à l'ouvrage puisque je suis éditeur de fait.
Cette seconde BD est notre création à nous, auteurs. Nous n'avons pas eu à suivre les diktats éditoriaux que nous avons dû subir pour notre premier ouvrage et que nous regrettons. Si ce ne sera certainement pas la meilleure BD de l'année, ce sera certainement pas la pire non-plus ... Il y aura un paquet de daubes qui auront été éditées par des grands éditeurs pour satisfaire la consommation de masse.
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Re: C'est la crise ?

Messagede toine74 » 12/06/2013 18:48

Afigiboto a écrit:...
Le financement participatif dans la BD est quelque chose de récent et il faut que ça prenne sa place.
...


Je tique toujours quand le lis que le financement participatif est quelque chose de nouveau... Le principe est très vieux, avant on appelait ça une souscription ! Certes la technologie (internet, média sociaux, etc.) donne un nouvel éclat à cette façon de faire, mais au final, rien de très nouveau.

Le fait qu'un album sort chez un éditeur ne garanti absolument pas son succès. Par contre, pour ce qui est de sa "qualité", je persiste à penser qu'un éditeur/directeur de collection qui fait son boulot correctement est le mieux placé pour juger de l'intérêt d'un titre. Il y a et aura toujours des exceptions. mais un individu qui connait les courants et l'évolution de son média, qui a une vision globale de ce qui sort, aura finalement plus souvent raison qu'une quantité d'amateurs prêts à mettre dix sous dans la machine après avoir été convaincu par une bonne campagne facebook (OK j'exagère et je caricature ;) ). Les quelques titres issus de l'édition participative que j'ai pu lire ou feuilleter ne m'ont, jusqu'à maintenant, jamais vraiment convaincus.

Le corollaire à tout ça, restent-ils des éditeurs dans le métier où ont-ils tous été remplacés par des diplômés bardés de MBA ?
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Re: C'est la crise ?

Messagede Afigiboto » 12/06/2013 19:12

Je n'ai pas dit que c'était quelque chose de nouveau dans l'absolu, mais précisément dans la BD.

D'une part les souscriptions se faisait avant l'existence d'internet et donc avec un rayonnement moindre. Je me souviens de souscriptions pour des bouquins régionaux ou photo ... mais pas de BD. Mais peut-être y en avait-il ?

D'autre part, il n'y a qu'à comparer le nombre de projet BD et musique pour se rendre compte que le financement participatif de BD n'est pas très développé. Chez Kisskissbankbank, la catégorie BD n'existe même pas ...
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Re: C'est la crise ?

Messagede johnstuart » 12/06/2013 19:28

thyuig a écrit:malgré tout, on ne peut pas "squizzer" l'éditeur et le libraire dans ce qui serait pour moi leur rôle premier : l’écrémage.
Le participatif c'est bien, mais comment fait-on pour faire un bon livre ? Je ne dis pas que les éditeurs de maintenant font le boulot mais je crois comprendre que le principal reproche actuel tient au fait que l'édition manque de directeur de collections investis.
Personnellement, payer un auteur via le net sans aucune garantie de qualité, je reste persuader que ce n'est pas le boulot du lecteur.Ce n'est pas à nous de faire un pari (ou alors de façon tout à fait isolée) sur un album avant même sa conception.


Il y a toujours une frange de lecteurs prêts à prendre des risques pour un album d'un auteur ou d'un domaine qui les motivent vraiment: en marketing, on les appelle les consommateurs pionniers. Il est toujours possible de faire le "buzz" si l'oeuvre le mérite. D 'une manière générale, même avec un directeur de collection avec du pif, on peut se dire qu'il saura éviter des oeuvres à absolument de ne pas publier, mais quoi qu'il arrive, des oeuvres infâmes sont quand même publiées, ou ne sachant pas trouver un suffisamment large public. C'est toujours le lectorat qui fait le tri. Les éditeurs n'aiment pas prendre des risques, et aiment bien les franchises.
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Re: C'est la crise ?

Messagede Afigiboto » 12/06/2013 20:00

Il y a une demi-heure, alors que j'exposais ici mon point de vue sur le financement participatif, voici un commentaire qui est tombé sur mon espace Ulule :

"Félicitations ! l'objectif de 400 préventes est accessible :)
En espérant que ce type d'échange entre les auteurs et le public se généralise et facilite ainsi l'explosion des talents. Ça marche très très bien dans d'autres domaines, même de niche, c'est souvent anglo-saxon, mais c'est bien une preuve de la viabilité de ce mode de financement."
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Re: C'est la crise ?

Messagede Croaa » 13/06/2013 09:11

Pour faire un parallèle avec le Cinéma, Michel Hazanavicius avait signé un article paru dans le monde du 3 mai dernier où il évoquait le mode de production des films et les problèmes que cela posait en terme de qualité et de rémunération des différents acteurs du secteur.
J'ai trouvé beaucoup de similitude avec ce qui peut se passer dans la BD.

http://assomadcinema.wordpress.com/2013 ... -3mai2013/
"Cinéma : jusqu’ici tout va bien" – Michel Hazanavicius – Le Monde
Publié le 6 mai 2013 par madasso Article de Michel Hazanavicius paru dans Le Monde du 3 mai 2013 :

"A propos du cinéma, ces derniers mois ont résonné des discussions chaotiques sur l’indécence de certains salaires, sur les errements de quelques productions pharaoniques, ainsi que sur la vacuité d’un cinéma français autant subventionné que déconnecté de la réalité. Les chroniqueurs s’en sont donné à coeur joie, et ces discussions ont pris beaucoup de place dans les journaux, les radios, les bistrots, et sans doute parfois au coin du feu dans quelque datcha russe. Si tout n’était pas toujours de la plus grande pertinence, cela ne doit pas pour autant nous amener à nous tromper de combat et nous masquer la crise profonde que connaît le cinéma français.
Pourtant, sur le papier, tout va bien. Avec plus de 200 films français par an et plus de 200 millions d’entrées en 2012, le cinéma a atteint des résultats jamais égalés depuis les années 1960. Quelques films hexagonaux s’exportent à nouveau et certains sont dignement reconnus internationalement.

Cette singularité du cinéma français s’explique moins par la supériorité de ses talents que par la subtilité de son mode de financement. Nos voisinseuropéens nous l’envient depuis bien longtemps. Il repose sur un principe simple : ceux qui diffusent les films doivent participer à leur financement en amont de la fabrication. Ce qui permet de réguler et donc de diversifier la production et donne la possibilité à des films différents de se faire, dans des économies variées.

Traditionnellement, le cinéma français – bien structuré – a toujours défendu ce modèle économique. En l’adaptant, en l’améliorant, il a réussi crise après crise à préserver la diversité et la richesse des films. C’est dans cet esprit qu’il nous revient aujourd’hui la responsabilité de dénoncer une dérive de ce système si vertueux qui est train de se gangrener.

Car à force de dire que tout va bien, on ressemble de plus en plus à ce type qui saute du douzième étage, et qu’on entend dire à chaque étage : "Jusqu’ici tout va bien. Jusqu’ici tout va bien. Jusqu’ici tout va bien."

En effet, aujourd’hui, notre système de financement connaît une "bulle" inflationniste particulièrement dangereuse en période de crise économique. Cette inflation est notamment due à un non-partage des recettes. Le fait que les gens qui fabriquent les films – réalisateurs, auteurs, acteurs, techniciens, et producteurs dans certains cas – ne soient plus intéressés financièrement au succès des films provoque des comportements qui pervertissent le système.

LA BULLE ENFLE

Tous préfèrent gagner de l’argent en amont de la sortie, sur le financement et la fabrication même du film, puisque l’espoir d’en gagner dans la phase d’exploitation est quasi nul dans l’immense majorité des cas. Le jeu, pour certaines productions, devient d’une part de gonfler les devis pour récupérer le maximum d’argent pendant le financement, d’autre part de dépenser le minimum de cet argent pendant la fabrication – entraînant ainsi le sous-paiement des techniciens, la délocalisation, la fabrication au rabais, etc. –, et enfin de produire un maximum de films, quelle que soit la qualité des scénarios en cours… La qualité des films en fait souvent les frais.

Nous sommes dans une industrie où le succès public n’étant plus une condition pour gagner de l’argent, on n’hésite pas à sacrifier certains films, créant ainsi une bulle qui est en train d’enfler et qui ne devrait pas tarder à exploser. Jusqu’ici tout va bien.

Mais cette tendance inflationniste n’est pas notre seul souci. Les obligations des chaînes de télévision vis-à-vis de la création, sans doute obsolètes, ont été avec le temps détournées et ne répondent plus à l’objectif recherché. La prise de risque a laissé place au préfinancement assuré et encadré.

Paradoxalement, dans le même temps, ces mêmes chaînes historiques connaissent une concurrence de plus en plus dure avec la multiplicité des canaux de diffusion, bien qu’elles soient les seules à porter le fardeau des obligations. On assiste donc, depuis ces dernières années, à une concentration de plus en plus importante des financements, créant une radicalisation du marché, et par là même participant à l’inflation des budgets.

L’esprit de mutualisation qui a toujours prévalu disparaît ainsi progressivement, entraînant dans son mouvement les films appelés "du milieu", ceux-là même faits dans des économies plus légères. Cette disparition, c’est celle du ciment de notre diversité, du terreau dans lequel s’est toujours réinventé notre cinéma.

Dans le même temps, nous sommes pour l’instant incapables de repenser le lien de la création avec les chaînes historiques, et tétanisés à l’idée d’imaginer un rapport avec les nouveaux entrants que sont les diffuseurs d’Internet. Jusqu’ici tout va bien.

Plus durs sont les rapports avec la Commission européenne. A l’heure où le président Barroso n’a pas peur de demander à faire entrer la culture dans le champ des négociations des accords commerciaux entre les Etats-Unis et l’Europe, bafouant ainsi ce qui est l’essence même de l’exception culturelle – la souveraineté des Etats en matière de politique culturelle –, la France n’arrive pas à imposer à Bruxelles l’amendement d’un texte de loi français, pourtant notifié en 2007, qui oblige les fournisseurs d’accès Internet (FAI) à participer financièrement à la création, en leur qualité de diffuseurs. L’hyperbienveillance fiscale dont bénéficient les géants du numérique n’engage pas en la matière à un optimisme démesuré.

Le chantier qui nous attend risque d’être costaud. C’est la raison pour laquelle nous avons besoin plus que jamais d’une autorité politique forte qui nous accompagne pour nous aider à franchir plusieurs étapes. Il faut, dans un premier temps, que nous – les acteurs du secteur – réglions tous ensemble cette situation kafkaïenne autour de la convention collective du cinéma. Il faut bien sûr cadrer la profession et protéger les techniciens, et dans le même temps imaginer un système dérogatoire viable pour les films ayant des difficultés à se financer. C’est le premier pas qui nous permettra de nous remettre en marche. Mais il faut surtout trouver d’urgence un moyen pour que tous les films soient plus intelligemment financés, et l’argent mieux réparti. Il faut sans doute renégocier avec les chaînes de télévision et repenser ce contrat moral de la création avec les diffuseurs. Accepter de se dire qu’Internet c’est de la télévision, et que la télévision c’est de l’Internet, et tirer les conséquences de ces nouvelles définitions, notamment pour le financement de nos oeuvres. Faire ce travail

sémantique de redéfinir les acteurs du Net par leurs fonctions. Un fournisseur d’accès est aussi un diffuseur, une plateforme de vidéo en ligne est aussi une chaîne, et que sont les tablettes, sinon des écrans qui ne disent pas leur nom ?

Il est nécessaire de préserver notre service public de l’audiovisuel, garantir ses ressources, pour le laisser entrer dans l’ère numérique. France Télévisions ne peut pas être autant sacrifiée sur l’autel de la crise, au regard de son rôle unique dans la vitalité du cinéma français. Il faut aussi ouvrir la réflexion sur la chronologie des médias, ce système de périodes d’exclusivité de diffusion pour chacun des financiers du cinéma. Nous devrions réfléchir à y intégrer sereinement les nouveaux acteurs de la vidéo à la demande. En tout état de cause, pouvoir y réfléchir sans prendre le risque d’être jugés comme pyromanes ou apprentis sorciers. Il faut enfin se remettre d’urgence autour de la table pour aborder le sujet si dérangeant de la remontée des recettes.

Il est temps d’imposer l’idée que nous aurions tous intérêt à ce que les ayants droit soient intéressés sur la recette brute. Partager équitablement la recette, c’est le seul moyen de rétablir la confiance, et ainsi de refaire baisser le coût des films. Il faut évidemment que nous soyons, nous fabricants, intéressés au succès de nos films. Nous aurons d’autant plus intérêt à en faire de bons, et pour moins cher s’ils peuvent rapporter de l’argent. C’est le seul moyen de réoxygéner le secteur, il est grand temps de s’en rendre compte.

Au niveau européen, il faut enfin réinventer une forme de régulation qui corresponde à l’ère économique et technologique que nous vivons. Et surtout l’imposer aux autorités bruxelloises. Le mot "régulation" est devenu une forme d’obscénité depuis que Google, Apple et Amazon ont décidé ensemble de le rayer du dictionnaire international et qu’ils le prononcent avec un léger accent luxembourgeois. Réhabilitons-le.

HUIT MILLIONS DE PERSONNES EN EUROPE

Que Bruxelles réfléchisse enfin à une fiscalité de ces acteurs voraces qui s’épanouissent entre autres sur le lit de notre culture. Qu’elle favorise enfin ceux qui sont à l’origine des oeuvres, les créateurs. Que l’Europe décide enfin de protéger sa culture et qu’elle comprenne que celle-ci, en plus d’être une industrie qui emploie huit millions de personnes en Europe, a une influence positive sur bon nombre d’autres industries, de la gastronomie au tourisme, en passant par la mode, le design, l’urbanisme ou encore la presse.

Bientôt arriveront les conclusions de la mission Lescure. Nous en attendons tous beaucoup. Elles devront poser les jalons des nouvelles règles

nécessaires pour entourer le monde de la création. Mais ce rapport n’aura aucun sens si ses conclusions ne sont pas portées avec le plus grand courage et la plus grande conviction face à une Europe sceptique de son cinéma et indifférente à sa culture.

Il est donc vital que le président de la République ainsi que le gouvernement continuent à affirmer avec force notre vision si l’on veut éviter que notre cinéma s’effondre comme quelques-uns de ses cousins européens. Quelles que soient les crises que notre gouvernement traverse, qu’il ne rajoute pas de la faiblesse à l’adversité. Au contraire. La complexité de la période lui impose de préserver cette culture qui nous donne un peu d’espoir. Le cinéma est un art amical qui nous rend heureux, nous fait rire, nous émeut, nous divertit, mais nous rend aussi conscients, et nous rappelle que nous avons un destin commun. Ce n’est pas le cas de toutes les industries. Le gouvernement se doit de ne pas l’oublier. A l’intérieur de nos frontières en nous aidant à nous réformer, mais aussi à l’extérieur, en nous aidant à sauver les principes qui font que nous sommes toujours debout. Jusqu’ici."

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Re: C'est la crise ?

Messagede Afigiboto » 13/06/2013 11:39

eBry a écrit:100% d'accord. Pour ça il faut un max d'accessibilité à cette production...


Un petit truc qui ne coûte rien : il y a un sujet de discussion dans ce forum où les différents projets indépendants proposés en financement participatif sont exposés. Si cette discussion était épinglée en haut de forum, les projets n'en seraient que plus visible. D'autant qu'une collecte se fait sur un temps réduit ...
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Re: C'est la crise ?

Messagede johnstuart » 13/06/2013 12:37

Attention dans la comparaison entre films et Bd.

Dans le premier cas, la surproduction est due au mode de financement qui induit une déconnexion entre l'aval et l'amont. Il n'y a plus de "pilotage par l'aval".

Dans le second cas, ce pilotage existe, mais c'est le jeu des stratégies déployées par les producteurs/éditeurs qui serait plutôt à l'origine de la surproduction (ticket d'entrée qui se réduit pour les nouveaux entrants, volonté d'occupper l'espace pour étouffer la concurrence ou éviter de se faire étouffer : une escalade, quoi), mais cette stratégie commence à s'essouffler et se rationnaliser.

Dans le cas du cinéma, quoi qu'il arrive la rationnalisation par l'aval est bloquée par le mode de financement.
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Re: C'est la crise ?

Messagede Croaa » 13/06/2013 14:30

Les causes peuvent ne pas être les mêmes mais certains effets identiques. Le sous paiement de certains acteurs par exemple (techniciens pour le cinema et auteurs pour la BD).
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Re: C'est la crise ?

Messagede pabelbaba » 13/06/2013 16:32

Les causes sont un peu les mêmes, notamment la déconnexion entre le succès et le bénéfice. Dans le cinéma, certains touchent un max avec le système de financement, même en se plantant, dans la BD c'est pareil avec les éditeurs-distributeurs qui rentabilisent et gagnent de l'argent même avec des BD qui vendent à peine grâce à la marge distributeur.
Mais à devoir choisir entre la peur du vide et la nausée des trottoirs... j'aurais sans doute fait comme eux.

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Re: C'est la crise ?

Messagede Croaa » 13/06/2013 19:17

c'est plus ce que j'appelle les effets que les causes, mais c'est en effet le parallèle que je fais. L'impression de produire non pas pour sortir un film mais pour faire fonctionner le système. Comme pour une BD, surporduire pour occuper l'espace, faire du chiffre.
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Re: C'est la crise ?

Messagede Gorkh » 14/06/2013 02:22

Croaa a écrit:c'est plus ce que j'appelle les effets que les causes, mais c'est en effet le parallèle que je fais. L'impression de produire non pas pour sortir un film mais pour faire fonctionner le système. Comme pour une BD, surporduire pour occuper l'espace, faire du chiffre.

Bah, pour être allé au salon du livre, ça ressemblait plus a un concours de qui a la plus grosse. Bon la, c'était le plus gros stand dans cette fnac géante et payante. Sans invitation, je n'y aurait pas mis les pieds et même avec j'ai presque regretté d'y être alle.:-P
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Re: C'est la crise ?

Messagede johnstuart » 14/06/2013 07:46

Croaa a écrit:c'est plus ce que j'appelle les effets que les causes, mais c'est en effet le parallèle que je fais. L'impression de produire non pas pour sortir un film mais pour faire fonctionner le système. Comme pour une BD, surporduire pour occuper l'espace, faire du chiffre.


Oui, effectivement. Mais c'est de manière générale quelques acteurs qui disposant d'un pouvoir de marché très important imposent leurs conditions aux autres acteurs plus petits, et réussissent à capter une part plus importante de la valeur (fournisseurs, prestataires de services, clients quand les dépenses sont contraintes)
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Re: C'est la crise ?

Messagede johnstuart » 14/06/2013 07:54

pabelbaba a écrit:Les causes sont un peu les mêmes, notamment la déconnexion entre le succès et le bénéfice. Dans le cinéma, certains touchent un max avec le système de financement, même en se plantant, dans la BD c'est pareil avec les éditeurs-distributeurs qui rentabilisent et gagnent de l'argent même avec des BD qui vendent à peine grâce à la marge distributeur.


Oui il y a un peu de çà.

Dans la BD, les éditeurs maîtrisent une grande part de la valeur et peuvent donc se permettre d'ignorer en partie des signes de dégradation de leur situation, jusqu'à finalement devoir réagir, car même leur marge de manoeuvre (provenant tout de même du marché lui-même) commence à sérieusement s'éroder.

Dans le cinéma, une large partie de l'investissement (valeur) provient de l'extérieur, sans avoir à obéir à des critères de rentabilité quoi qu'il arrive et même après un temps très long. Hors, un investissement doit quand même être couvert par le cash produit en aval (recettes, etc). Ici, même avec peu de recettes, les subventions tombent quand même en abondance. Et la correction ne peut venir du marché lui-même, mais des services publics.
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Re: C'est la crise ?

Messagede johnstuart » 14/06/2013 08:06

Gorkh a écrit:
Croaa a écrit:c'est plus ce que j'appelle les effets que les causes, mais c'est en effet le parallèle que je fais. L'impression de produire non pas pour sortir un film mais pour faire fonctionner le système. Comme pour une BD, surporduire pour occuper l'espace, faire du chiffre.

Bah, pour être allé au salon du livre, ça ressemblait plus a un concours de qui a la plus grosse. Bon la, c'était le plus gros stand dans cette fnac géante et payante. Sans invitation, je n'y aurait pas mis les pieds et même avec j'ai presque regretté d'y être alle.:-P


Oui, çà, c'est très vrai, et universel :D Qui aura la plus grosse. Même des dirigeants dont la motivation devrait être de faire d'abord de la marge remontent leur crête et veulent d'abord devenir les number one (Jean Marie Messier, moi-même, maître du monde). Au bout d'un moment, cela a ses limites, mais cela fait souvent partie aussi des motivations des dirigeants.
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