mome a écrit:Parce que si j'ai bien compris, la plupart d'entre-nous a un budget contraint. Donc l'idée d'un support moins cher, c'est juste, pour les drogués que nous sommes, l'opportunité de lire plus : pour 150 € j'ai 10 bds, à 7.50 € j'en ai 20. Mais l'éditeur ne voit qu'un chose : je claque toujours 150 €.
Le problème est donc surtout de faire venir un nouveau public et non de satisfaire les envies de lire plus d'aficionados qui ne dépenseront pas plus. Le prix sera certainement un des leviers mais, sauf un léger phénomène de lecture jetable - c'est pas cher, je m'en prends un de tant à autre - n'aura pas d'impact seul.
Oui, la situation est beaucoup plus complexe qu'une seule question de prix.
Du côté des aficionados, on a une première situation: effectivement, les gens ont un budget, mais comme ce sont déjà des conquis, ils sont éventuellement prêts à casser la tirelire si ce qu'on leur propose en vaut la peine. D'où les tirages de tête, éditions de luxe, intégrales avec inédits, etc. De ce côté-là, en effet, pas vraiment d'intérêt à baisser le prix, puisque ce n'est pas un facteur principal dans la décision d'achat.
Qui plus est, se pose une autre limite, qui est celle de la saturation: les aficionados consomment déjà souvent au maximum de ce qu'ils seraient capables d'absorber -- au final, la diminution du prix n'occasionnerait que très peu de ventes supplémentaires.
Enfin, dernier élément: ce sont peut-être ceux qui sont les plus attachés à la forme et la fabrication des livres. Or, des prix plus bas impliquent bien souvent une qualité de fabrication moindre, et entraîner l'exact opposé de l'objectif initial, en causant une diminution des ventes...
Les choses sont plus compliquées quand on s'intéresse aux lecteurs plus occasionnels, voire aux non lecteurs. Dans ce cas, le prix peut être un frein à l'achat, et c'est pour cela que l'on a vu se multiplier les différents formats qui sont censés proposer une alternative à l'album relié et cher: versions souples, versions de poche, versions intégrales petit format, etc. Le problème, c'est qu'il semblerait (et l'étude 2011 sur la lecture de la bande dessinée le montre, en particulier sur les raisons d'abandon de la lecture) que le prix n'ait pas une importance aussi primordiale que cela.
Le cinéma fait 200 millions d'entrées annuelles en France, alors que l'on y vend moins de 40 millions de bandes dessinée; au niveau valeur, on a d'un côté 1,3 milliard d'euros pour le cinéma contre 420 millions d'euros pour la bande dessinée dans les chiffres les plus favorables. On a d'un côté un médium fortement médiatisé et valorisé, et de l'autre un médium qui sort de l'ombre une semaine par an, et qui reste bien souvent relégué au rang de simple divertissement.
Ce que je veux dire par là, c'est qu'il y a des gens qui sont prêts à dépenser entre 6 et 10 euros pour deux heures d'une expérience unique et non renouvelable, mais qui ne sont pas prêts à faire la même dépense pour acheter une bande dessinée qu'ils peuvent lire et relire et même prêter. La question n'est donc pas une question de prix, mais bien une question de valorisation de l'expérience (et de qualité également, mais le cinéma a également ses navets).
La focalisation sur la sphère uniquement économique est un travers qui révèle une profonde incompréhension de la part d'une partie des observateurs et des éditeurs. On retrouve la même erreur dans le diagnostic qui est fait des atouts d'Amazon, en se focalisant uniquement sur les 5% de réduction et les frais de port gratuit, en oubliant avant tout qu'Amazon est un service, et qu'en tant que service, il présente des avantages (réels ou perçus) que n'ont pas les libraires. (en vrac: ouverture permanente, accessible du bureau ou de la maison, offre a priori très large, option d'achat en occasion, etc.) Tant que l'on se limite à regarder le seul aspect financier en affirmant que c'est le seul qui compte, on passe complètement à côté de ce qui constitue le véritable enjeu.