P. Saint Loup a écrit:C'est malheureux à dire, mais .. oui! Bcp de séries n'ont rien à faire sur le marché, qualitativement.Je rejoins celui qui évoquait la malbouffe plus haut.Le tout publiable actuel n'est qu'une stratégie gangrène de ce que je nomme " les petits ruisseaux qui font la grande rivière " . Les éditeurs additionnent pleins de séries et de sorties et même si elles vivotent très chichement, ils s'en sortiront toujours financièrement, mais auront inondés de daube tout un marché.
En fait, nous les auteurs, nous sommes embarqués dans le même tourbillon que les éditeurs. Pour exister et durer, il faut être vus. Donc moins de ventes = moins de visibilité, plus de sorties = plus de visibilité.
Il est évident que si les ventes augmentent, les auteurs vont produire moins.
Pour mon expérience personnelle, je dirais que j'ai réalisé environ un album par an de 1995 à 2005. Puis j'ai pris 2 ans pour réaliser Apocalypse tome 1 (refusant toutes les propositions qui m'ont été faites pendant cette période par d'importants éditeurs sur des projets plus... commerciaux). L'échec commercial de l'album (tout est relatif, en regard des ventes de la période, mais bon... Comme le Disait Luc, en regard du travail réalisé, c'est ridicule... Une de mes plus mauvaises ventes je crois, alors que c'est mon plus gros travail) m'a conduit à me poser la question suivante : "Est-ce que je suis totalement libre quand je fais des albums aussi lourds, ou alors est-ce que je cherche à épater la galerie dans la forme ?" La réponse fut évidente, je n'était pas libre, et je faisais un numéro de virtuosité (tant que faire ce peut) avec une certaine recherche de gloire pour la bravoure de l'acte, recherche qui contrarie mon envie initiale. Hors une gloire sans véritable public est bien amère... Voire ridicule.
Donc j'ai compris qu'il fallait que je dissocie ma recherche personnelle d'auteur et que, tant qu'à ne pas être libre, je réponde à la demande des éditeurs sur un registre classique.
Je me suis donc associé avec des scénaristes de talent tels que Valérie Mangin et Damien Marie (et d'autres non moins talentueux à venir), et j'ai mis mon travail à la disposition de ces plumes plus adaptées au marché que la mienne, et qui me plaisaient beaucoup. J'ai fait 5 albums en 1 an en 2010. Ce rythme est dû au fait que je me suis libéré de mon conflit interne entre mes aspirations d'auteur et mon besoin absolu et financier de reconnaissance. Je ne me suis pas trahi puisque je me suis associé avec des gens que j'estime.
Je m'offre une belle visibilité avec des sorties rapprochées et ça me laisse le loisir que peaufiner ma "patte" d'auteur. Je vais sortir en 2012 chez Glénat, deux albums (one shot) issus d'un travail d'auteur sans concessions. Je me suis organisé en studio, et mes productions plus "grand public" continueront de sortir avec un rythme soutenu.
Bref, tout ça pour dire que la période oblige l'auteur à s'adapter. Dans mon cas, c'est pour le mieux, car le marché m'a obligé à faire le point sur les objectifs de mes différentes démarches, et ça m'a soulagé !
Mais il est évident que si les ventes revenaient à celles des années 90 (voire fin 80), je lâcherais mon studio, et je ferais tout, tout seul, en prenant mon temps. Mais ça serait une autre vie.
Je suis un professionnel, je suis obligé de m'adapter au marché. Par ailleurs, je peux regretter cette "surproduction" tout en y contribuant modestement. Je crois surtout qu'il vaut mieux qu'un auteur produise plus pour finir par fédérer un public autours de son nom, plutôt que de publier plusieurs auteurs qui produisent moins, parce que c'est absurde. Un nouvel auteur n'a pas de public, et il a plus de chances de se planter. Mais si l'éditeur croit en un nouvel auteur, alors il faut qu'il le porte au succès avec obstination. Il n'y a plus (ou beaucoup moins) d'attachement au nom de l'auteur, alors que c'est la base d'un succès pérenne. Les éditeurs n'investissent plus dans des auteurs, mais dans des projets, des concepts et des collections. C'est ça l'erreur, parce que c'est de l'argent foutu en l'air, le lecteur est plus "volage" s'il n'est pas attaché à l'auteur.
Je ne pense pas qu'on va en sortir en publiant moins, mais en trouvant des solutions pour vendre plus sur le nom des auteurs... Et le tri se fera naturellement et sans violence. Il faut rétablir le partenariat éditeur/auteur.
A+
Loïc Malnati.