Chers collègues
L’an passé, vous m’avez poussé, par vos votes, au pinacle angoumoisin.
Je ne vous raconte pas la fierté qui fut mienne d’être par vous retenus aux côtés de deux artistes incontestables, Cosey et Ware, pour le Grand Prix du festival d’Angoulême.
Vous m’avez honoré et je vous en remercie sincèrement.
Cependant, comme je l’écrivais ici, il y a peu, j’ai fini par craquer. J’ai accumulé trop de rancœurs et d’incompréhensions vis à vis du monde de la bande dessinée. Sans doute ma nature déséquilibrée y est-elle pour beaucoup, mais pas seulement. Avec l’âge, je perds peu à peu l’enthousiasme que j’avais à intégrer ce monde. Je n’y ai jamais vraiment trouvé ma place.
Je restai concentré sur mes livres, essayant de louvoyer pour éviter toute autre considération. En vain.
À la suite d’événements personnels et éditoriaux, j’ai dû me résoudre à regarder en arrière. J’ai alors contemplé le désastre humain de mon parcours.
Des premières années où on refusait même de me serrer la main, jusqu’à aujourd’hui, je n’ai pas réussi à tisser de liens avec « le milieu ». Souvent, je me suis senti humilié, rabaissé, traité en enfant naïf par des gens qui avaient, pour certains même, les meilleures intentions du monde. Je n’ai aucun souvenir d’une discussion artistique intense durant ces années. À part avec Jean-Yves FERRI, mon frère d’armes, évidemment. J’ai appris plus à son contact que tout autre. Confronter nos visions du travail, du métier, du microcosme, et trouver enfin un artiste pur souche avec qui partager, à été salvateur. Et avec Cabu, aussi, tiens! Deux visites à son atelier, deux journées de discussions inoubliables sur le dessin. Puis Boum! Kouachisé avec ses potes, mon vieux Maître.
Quel dommage qu’ils furent quasiment les seuls. Je prends évidemment ma part de responsabilités dans cette grande déception. Par caractère, je ne suis pas un homme liant, encore moins accommodant. Cependant, s’il ne fait aucun doute que cette attitude m’est nuisible socialement et professionnellement , en matière artistique, il me semble que c’est plutôt une bonne chose.
Je me souviens d’un mantra que répétaient à l’envie, les Bérurier Noir: le contrôle total sur ce que l’on produit. Évidemment, dans mon esprit pas tout à fait au point, je pensais pouvoir tenir cette ligne de conduite chez des éditeurs grand public. Mais je n’ai pas réussi.
Bien sûr, j’ai eu de grandes joies aussi! Par exemple, l’amour des lecteurs pour le Retour à la Terre ou, plus étonnant encore, pour BLAST! Heureusement qu’ils étaient là, les lecteurs. Vraiment.
Vous le constatez, chers collègues, je suis aigri.
Je ne lis plus de bandes dessinées, non par choix, mais parce qu’il n’y a plus rien qui m’excite quand je déambule, hagard, devant les immenses rayonnages consacrés à notre art. Terrifié par la quantité de titres et par l’apparente indigence des contenus, je finis toujours par repartir les mains vide, déboussolé. Comment se satisfaire de cette profusion où tout recommence à se ressembler, comme dans les années pré-Association. Quel dommage. Quelle tristesse, aussi.
Enfermé dans mes contradictions, j’ai de plus en plus de mal à en faire moi-même, de la bande dessinée, tiraillé que je suis entre l’amour archaïque que je voue à ce mode d’expression, et la méfiance désormais acquise envers son microcosme.
Je suis sec.
C’est pour ces raisons, pas forcément très claires, j’en suis conscient, que je vous demande de porter vos votes, si toutefois on nous demande de voter, sur des artistes qui sauront apprécier l’honneur à sa juste valeur. Le but d’un Grand Prix, me semble-t-il, est de promouvoir la bande dessinée... J’en serais bien incapable!
Je préfère pour ma part rester en dehors de l’agitation du Festival d’Angoulême, ou de tout autre, tranquille, derrière ma table, à essayer de retrouver l’envie, le lien que j’avais avec notre mode d’expression, aujourd’hui usé jusqu’à la corde, prêt à rompre.
Merci, chers collègues, pour l’année dernière. Et merci, aussi, cette année, de porter vos éventuelles voies vers des artistes qui aimeront ce métier plus que moi.
manu.