^Le dessin est un sport de combat. Parlez-en à Didier Conrad, le dessinateur du prochain album d'Astérix, Astérix chez les Pictes, qui sortira en octobre. Afin de "tenir le coup physiquement", mais aussi parce qu'il était en surpoids, l'homme n'a rien trouvé de mieux que de s'infliger un régime alimentaire draconien pendant toute la durée de son labeur. Comme il vit aux Etats-Unis depuis une quinzaine d'années (il s'y est installé après avoir travaillé pour le studio DreamWorks), il s'est essayé à une "spécialité locale" appelée l'"alternate day diet" consistant à manger un jour sur deux. Le supplice a porté ses fruits. Conrad a perdu 18 kg en neuf mois. Il a également produit 44 pages dans un style d'une ressemblance saisissante avec celui de l'Albert Uderzo des grandes années.
SE FONDRE DANS LE PINCEAU D'UDERZO À LA MANIÈRE D'UN FAUSSAIRE
Le dernier mois fut particulièrement pénible. Pour tenir des délais plusieurs fois dépassés et rallongés, le dessinateur ne dormait que quatre heures par jour – "au lieu de huit à dix en temps normal". Quatre nuits blanches ont également été nécessaires dans l'ultime ligne droite. "Comme j'avais désintoxiqué mon corps, j'ai pu encaisser cela relativement facilement", raconte-t-il. Cette diète de Spartiate fit l'effet, en vérité, d'un calvaire dans le calvaire. "Cela lui a permis de faire passer Astérix comme une promenade de santé", veut croire le scénariste Jean-Yves Ferri, son partenaire d'aventure dans ce projet.
Au départ, la commande était, il est vrai, formidablement serrée : six mois. Six mois pour faire sien le style d'Uderzo, six mois pour créer de nouveaux personnages, six mois pour réaliser un découpage, six mois pour crayonner et encrer 44 pages... Sans compter les allers-retours par e-mail avec Paris et Albert Uderzo, promu superviseur en chef et censeur potentiel. La logique aurait voulu que Conrad ait le double de temps, soit un an, pour exécuter l'album. Il a finalement rendu sa dernière planche avec trois mois de retard.
Le plus ardu dans l'affaire fut, bien sûr, de se fondre dans le pinceau d'Uderzo à la manière d'un faussaire. Tout sauf une évidence. "C'est comme apprendre l'espagnol quand vous parlez italien", compare Conrad qui, comme Uderzo, présente la caractéristique d'avoir publié ses premières BD à l'âge de 14 ans. Pour bien faire, l'auteur des Innommables (avec Yann) est d'abord allé quérir conseil auprès de son grand aîné lors d'un séjour à Paris. "Je lui ai demandé comment il travaillait, détaille-t-il. Il m'a répondu quelque chose du genre : "Ben... je dessine, quoi", tout en m'expliquant des choses assez basiques en matière de dessin. Uderzo n'a jamais été un méthodique ni un théoricien de son propre travail. J'ai donc dû procéder par déduction."
Et par observation, en premier lieu. Le dessinateur s'est fait envoyer des scans couleur des originaux d'Astérix afin d'examiner à la loupe la gestuelle uderzienne – "toutes les fins de trait, toutes les finitions, tous les ratages aussi...". Il s'est ensuite attelé au dessin sur le même format de papier qu'utilisait Uderzo, soit du demi-raisin (50 × 32,5 cm) pour chaque demi-planche. Pour l'encrage enfin, il a renoncé à ses pinceaux de marque Raphaël au profit de Winsor & Newton, les mêmes que ceux utilisés par Uderzo.
Anecdote amusante qui en dit long sur le caractère improvisé de l'exercice : reclus dans son atelier de Pasadena (Californie), le dessinateur-ermite a d'abord crayonné toutes ses planches, puis les a encrées en commençant par la dernière, afin d'uniformiser son style, forcément imparfait au début.
A l'instar de Ferri, redoutant de "faire du Ferri au lieu de faire du Goscinny", Conrad a dû pareillement batailler contre sa propre nature pour éviter de "faire du Conrad". Et se répéter qu'on ne lui demandait pas une "adaptation" d'Astérix, mais un Astérix "aussi vrai que possible". Rien à voir avec, par exemple, Marsu Kids, une série dérivée du Marsupilami que Conrad a dessinée "à sauce, dans l'esprit de Franquin, sans essayer d'en faire une copie conforme". Avec le scénariste Yann, le dessinateur a également commis un Lucky Luke enfant, appelé Kid Lucky, au milieu des années 1990.
Vaste sujet : comment imiter un autre artiste sans renier ses propres pulsions artistiques ? Comment reproduire à l'identique un personnage aussi universel qu'Astérix et faire en sorte que "le trait reste vivant, expressif, jeté..." – spontané en un mot ? Hasard des commandes, les éditions Dupuis lui ont récemment proposé de reprendre une autre grande figure du 9e art : Spirou. Chance : passé de main en main depuis sa création, ce dernier s'est toujours conformé graphiquement au style des auteurs qui se sont succédé pour le dessiner (Rob-Vel, Jijé, Franquin, Fournier...). A qui le tour ensuite ?