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Masques: histoire cachée d’une pénurie
Jean-Dominique Merchet Nathalie Segaunes
20 Mars 2020 à 06h00
Face au manque de masques dénoncé par le personnel hospitalier, le gouvernement réagit enfin. Mais les pouvoirs publics sont responsables. Révélations sur les dessous d’un dysfonctionnement majeur
Masques: histoire cachée d’une pénurie
La France a annoncé jeudi un réinvestissement de 5 milliards d’euros sur dix ans dans la recherche en général, dont un milliard dans le domaine de la santé afin de préparer le pays à de potentielles futures épidémies. A cet effort qualifié de « massif » par la ministre de la Recherche Frédérique Vidal, s’ajoutera un fonds d’urgence de 50 millions d’euros spécifiquement consacré à l’épidémie de coronavirus qui a contaminé à ce jour 9 134 personnes et fait 264 morts en France. L’enquête de l’Opinion sur le manque de masque en France révèle un incroyable état d’impréparation.
Depuis la détection du premier cas de coronavirus en France, le 24 janvier, les personnels de santé ne cessent de le répéter : ils manquent de masques. « Les laboratoires de ville font des prélèvements hautement contagieux sans protection, témoigne Philippe Juvin, patron du service des urgences de l’hôpital parisien Georges-Pompidou. Et je ne parle pas de tous les gens qui vont aider les personnes âgées à domicile pour des soins, des toilettes, etc. et qui n’ont strictement rien. Honnêtement, nous sommes dans une situation digne d’un pays impécunieux et sous-développé. C’est une faillite. »
Tout un symbole : la France doit bénéficier de l’aide humanitaire chinoise… Pékin a en effet livré jeudi, et pour la deuxième fois en vingt-quatre heures, un lot de fournitures médicales. Dont ces fameux masques qui manquent tant.
Dans la journée de jeudi, les milieux étatiques promettaient enfin de communiquer rapidement sur les stocks de masques. « On fait l’état des lieux », assurait un interlocuteur proche du dossier. Au vu de l’enquête menée par l’Opinion, il apparaît qu’en réalité, personne au sein de l’Etat n’a d’idée précise sur le volume, la localisation et la date de péremption de ce stock.
La ministre des armées Florence Parly annonçait, jeudi matin, dans Le Parisien, avoir « identifié dans nos stocks » 5 millions de masques, désormais « mis à la disposition» du ministère de la Santé. Ils sont à la direction des approvisionnements en produits de santé des armées (Dapsa), à côté d’Orléans.
Stock national. Comment en est-on arrivé là ? Comment le ministre de la Santé Olivier Véran peut-il affirmer, le 3 mars, qu’il n’y a pas de « stock d’Etat de masques FFP2 », alors que l’Etat en détenait quelque 600 millions en 2012 ? « Le stock national, en janvier, était nul en masques FFP2 et comptait 150 millions de masques chirurgicaux », confie-t-on avenue de Ségur.
Il existe deux types principaux de masques. Les premiers, FFP2 pour Filtering Face Piece de 2e niveau, protègent efficacement (92 %) ceux qui les portent. Inconfortables, ils sont destinés au personnel médical en priorité. Les masques dits « chirurgicaux» sont des dispositifs « antiprojection », plus légers et confortables. Ils protègent l’entourage des personnes qui les portent et qui pourrait être contaminé. Ces deux types de masques sont un moyen éprouvé de limiter l’expansion d’une pandémie… contrairement à ce qu’ont pu dire les pouvoirs publics depuis plusieurs semaines.
Ce manque de masques pose deux grandes questions : quels sont les stocks immédiatement disponibles ? Et quelles sont les capacités industrielles pour en produire en France et en Europe ? Tenter de répondre à la première question, c’est pénétrer dans une boîte noire. Il est probable qu’il faudra des commissions d’enquête parlementaires, après la crise, pour apporter des éclairages.
C’était initialement au ministre chargé de la Santé de décider des stocks chaque année. « La France dispose actuellement, parmi les grands pays, par nombre d’habitants, des stocks les plus importants de masques et de médicaments antiviraux », écrivent en 2009 Jean-Philippe Derenne et Bruno Housset dans Grippe A (H1NI), tout savoir, comment s’en prémunir (Fayard).
Il faut se souvenir du contexte, après la crise du H1N1 de 2009. Roselyne Bachelot a été accusée d’en avoir trop fait, en passant commande de 95 millions de vaccins et de trop nombreux masques. «On nous disait que nous étions de mauvais gestionnaires!»
De fait, jusqu’en 2011/2013, le stock national est volumineux. Une note de la Direction générale de la Santé du 27 juillet 2011 précise qu’il s’élève à 600 millions de masques FFP2 et à 800 millions de masques chirurgicaux, soit 100 % de l’objectif pour les premiers et 80 % pour les seconds. Mais les masques se périment au bout de quelques années et doivent être régulièrement renouvelés.
Le 27 juillet 2011, dans une note au ministre de la Santé « relative au statut des stocks stratégiques de l’Etat », que l’Opinion a pu consulter, la Direction générale de la Santé considère que « pour l’année 2012, le renouvellement d’une partie du stock de masques chirurgicaux et FFP2 ne semble pas justifié ». Les « enjeux financiers » de la stratégie de renouvellement des stocks sont soulignés à plusieurs reprises dans la note.
Doctrine. Le sénateur Francis Delattre souligne « une forte diminution des stocks depuis 2010», dans un rapport de juillet 2015. « Cette évolution s’explique par une inflexion de la politique de constitution et de renouvellement des stocks mise en œuvre par le ministre chargé de la Santé, sur le fondement de la doctrine développée par le Secrétariat général de la Défense et de la Sécurité nationale (SGDSN) et les avis du Haut Conseil de Santé Publique », écrit le sénateur.
Il faut se souvenir du contexte d’alors. Nous sommes après la crise du H1N1 de 2009. La ministre de la Santé Roselyne Bachelot a été accusée d’en avoir trop fait, en passant commande de 95 millions de vaccins et de trop nombreux masques. Une commission d’enquête parlementaire, présidée par le centriste Jean-Christophe Lagarde, a jugé très sévèrement la gestion de la crise, se souvient un acteur de l’époque : « On nous disait que nous étions de mauvais gestionnaires ! »
Deux organismes publics sont concernés : le SGDSN, dépendant du Premier ministre, et la direction générale de la santé, rattachée au ministère de la Santé. Le SGDSN est responsable de tous les plans d’urgence étatique, par exemple en cas d’attentats terroristes, d’accidents nucléaires, de cyberattaques, mais aussi de pandémies.
« En 2011, le SGDSN a changé de doctrine sur la façon de gérer les stocks, confie l’un des responsables politiques de l’époque. Il a considéré qu’il était préférable de s’appuyer sur la capacité de production chinoise ». De fait, ce sont 50 millions de masques FFP2 qui seraient « consommés » chaque semaine en période de crise sanitaire.
Un document du SGDSN, daté du 16 mai 2013, définit bel et bien une nouvelle « doctrine de protection des travailleurs face aux maladies hautement pathogènes à transmission respiratoire ». Elle se base sur les recommandations d’un rapport du Haut Comité de la santé publique du 1er juillet 2011. L’idée générale était que « la protection des travailleurs relève de la responsabilité des seuls employeurs», à charge pour eux d’évaluer les mesures les plus adaptées pour chaque poste».
Cette « doctrine » vaut aussi bien pour le privé que pour le public, y compris donc les hôpitaux. A charge pour eux, mais aussi aux médecins de ville, si l’on comprend bien, d’assurer leurs stocks de masques FFP2. Des entreprises, ne relevant pas forcément des opérateurs d’importance vitale (OIV) soumis à des règles particulières, l’ont fait. Un grand groupe d’édition, par exemple.
Il s’agit clairement à l’époque de « décentraliser » la commande et la gestion des masques. Interrogés, certains acteurs de l’époque « ne se souviennent pas » d’une décision de réduire le stock national, et il sera nécessaire d’ouvrir les archives.
Si l’on ignore toujours l’état des stocks début 2020, les milieux spécialisés reconnaissent aujourd’hui que « l’épidémie dépasse le plan, elle défie tous les abaques», les graphiques permettant de donner la solution d’un calcul. En décembre, un exercice interministériel imaginait une épidémie de variole et le scénario, basé sur des expertises médicales, ne prévoyait que 500 morts.
Plan pandémie grippal. Face à une telle épidémie, le gouvernement dispose d’un « plan pandémie grippal» (PPG), le terme « grippal » étant générique et pouvant s’appliquer aussi bien à Ebola qu’au coronavirus. Ce document est partiellement public et il est régulièrement mis à jour par le SGDSN, en lien avec le ministère de la Santé. C’est une démarche interministérielle car les Transports, l’Economie ou l’Intérieur sont également concernés.
Certains proches du dossier estiment qu’il y a eu un retard dans la mise en œuvre de ce PPG. L’Obs a fait état de propos dans ce sens de la part de Louis Gautier, ancien SGDSN (2014-2018). « En l’activant dès l’émergence de la crise à Wuhan et le premier cas en France (le 24 janvier), on aurait pu voir où en étaient les stocks et relancer la production », avance un interlocuteur tenu à l’anonymat. Un autre se défend en expliquant qu’il n’y avait alors « que trois Chinois malades en France… »
Après avoir décentralisé les commandes de masques en 2013, l’Etat, dans la panique, a donc recentralisé la commande et le stock de masques… afin de les redistribuer
En réalité, il semblerait que ce plan n’a pas été activé parce qu’il n’était pas adapté au coronavirus : il ne prévoit pas le confinement. Contrairement au « plan de protection contre les risques biologiques émergents » qui a été mis en œuvre et prévoit l’isolement et la détection des porteurs du virus.
Au ministère de la Santé, le centre de crise a été activé le 27 janvier et la première commande de masques passée dans la foulée.
Jérôme Salomon, le directeur général de la Santé, explique le cruel manque de masques FFP2, deux mois plus tard, par la « réquisition » de la production décidée par le chef de l’Etat la semaine dernière. « On a bloqué les commandes faites par les hôpitaux », explique-t-il dans Le Monde, évitant ainsi « la raptation par des pays étrangers ».
Après avoir décentralisé les commandes de masques en 2013, l’Etat, dans la panique, a donc recentralisé la commande et le stock de masques… afin de les redistribuer. Des commandes publiques ont été passées, la production sur le territoire français a été réquisitionnée et les masques sont peu à peu acheminés vers les établissements de santé, Ehpad, transports sanitaires et officines.
Au total, le stock national comprend aujourd’hui 80 millions de masques, indique le ministère de la Santé, qui évalue à 24 millions par semaine la quantité nécessaire.