Autant j'espère bien être aussi conquis par les épisodes d'Englehart, que je n'ai pas encore lus, autant -- une fois n'est pas coutume, mais à la 100e on peut commencer à parler d'habitude
-- je suis en complet désaccord (
once again) avec le Dada sur la série d'Aaron et Bachalo. Je m'empresse donc de vous recommander celle-ci chaudement, de mon côté, dans la mesure où il s'agit pour moi d'une des meilleures séries du moment.
Écartons d'abord l'argument le plus faiblard de ma némésis fumeuse*
(* je fais ici bien entendu référence à la tabagie de son avatar ) :
artemus dada a écrit:En outre, le scénariste ajoute au folklore qui entoure le personnage deux nouveaux éléments tellement originaux et incontournables que n’importe qui, connaissant un tant soit peu le personnage, se demande comment il a pu ne pas les connaître jusqu’à maintenant. Cherchez l'erreur !
L'erreur serait de s'interdire de bonnes idées sous prétexte que d'autres ne les ont pas eu avant.
S'appuyer sur la continuité, c'est bien. Mais dans l'absolu, ça n'a rien d'un carcan inflexible : ce n'est pas la première fois qu'un auteur "retouche un personnage"... et puisqu'on en parle, je trouve un peu fort de café que le même forumeur qui s'enthousiasmait naguère à l'idée de redéfinir Captain America comme un agent de l'Hydra sous couverture, vienne quelques mois plus tard faire un crime à Aaron de changer le régime alimentaire du Docteur Strange.
(Au demeurant, l'univers Marvel vient d'être rebooté à la fin de
Secret Wars, donc, s'il y en a à qui il faut absolument une explication, il y a toujours ça.)
Maintenant, passons à des choses plus générales.
Le problème du personnage (Nikolavitch expliquerait ça mieux que moi, pour les détails érudits je vous renvoie à son
Mythe et super-héros pour la version longue ou à cet article sur
Comics Sanctuary pour une version condensée
mais qui demande d'un peu s'accrocher par moments, du coup), le problème du personnage, disais-je, c'est qu'on le retrouve vite confronté à deux options : soit on le réduit à des activités de super-héros lambda qui utilise la magie pour taper des méchants, et c'est quand même un peu du gâchis, soit on assume de le faire partir à fond dans des problématiques mystiques ultra-cosmiques, et on se retrouve vite avec un Doc qui prend le thé avec l'incarnation de l'âme de l'univers et allez donc nous faire une série régulière avec ça. À quoi s'ajoute, entre le récit d'origine, le statut de "Sorcier Suprême", et l'intérêt pour des menaces qui dépassent largement le commun des mortels et même des super-mortels, la tentation de jouer d'un petit côté hautain / élitiste voire, de là, manipulateur, veine notamment exacerbée ces dernières années par Hickman dans ses
New Avengers et
Secret Wars.
Reboot aidant, Aaron et Bachalo viennent faire souffler un air assez frais sur tout ça.
Dans une approche très "nouveau lecteur
friendly", l'allure du personnage est rajeunie (sans que j'aie pour autant, pour ma part, l'impression d'un bambin à moustache, non mais...
) en même temps que son background est épuré, tandis qu'un personnage de "relai" découvrant Strange et son monde (et chargés, donc, de les faire découvrir au besoin) sont introduits au 2e épisode en la personne de Zelma Stanton, une jeune bibliothécaire du Bronx qui vient consulter le Doc et va se retrouver en charge de ses livres forcément quelque peu hors normes...
Loin de la tendance dominante dans les dernières incarnations du personnage, Aaron ancre son Docteur Strange, d'une part, dans le cadre new-yorkais -- son Sanctum Sanctorum de Greenwich Village et ses abords (il est "le dernier docteur de New York à se déplacer pour des consultations à domicile", quand votre fille se met à jurer en latin en marchant au mur comme une araignée) --, et d'autre part, dans la communauté des personnages "magiques" de la Maison des Idées. Aaron et Bachalo alignent alors un casting varié où se croisent des personnages de premier et de second plan (la Sorcière Rouge bien sûr, le Docteur Voodoo qui avait un temps remplacé Strange en tant que Sorcier Suprême sous la plume de Bendis, Shaman et sa fille Talisman...) voire franchement obscurs (citons Monako, le prince de la magie, éphémère héros de quatre numéros de
Daring Mystery Comics en 1940, qui réapparaît en vieux vétéran ressassant ses souvenirs de guerre contre les nazis).
Introduisant pas mal d'idées -- comme celle, génialement servie par Bachalo, de représenter la coexistence du monde magique avec le monde "tel que tout le monde le voit" sous la forme d'une sorte d'écosystème microbien --, le duo sait donc (à mon avis) quand payer un hommage respectueux et quand innover ; offre une vision résolument cool du personnage tout en laissant deviner la présence de zones d'ombre qui lui sauteront à la gueule (littéralement s'il le faut) un jour ou l'autre ; et navigue avec brio entre les deux écueils mentionnés plus haut, en gardant la montée en puissance la
méga-menace-interdimensionnelle-ultime présente mais à l'arrière-plan, tandis que la série prend le temps d'installer sa vision du personnage et de son univers, plutôt que de partir tout de suite sur le gros affrontement (qui occupera le volume suivant, qu'on se rassure).
Seul bémol à apporter à la sortie française de cette série, la couverture assez moche, et à côté de la plaque dans son hiératisme massif, signée Joe Quesada, que Panini a cru bon de substituer à la couv' originale. (Mais bon, moi j'ai les TPB v.o., donc après tout "cela ne me regarde pas", comme dirait l'autre
).