Rattrapage de pile en retard de mon côté avec le numéro de
Marvel Classic sorti en janvier dernier par Panini, et présentant la mini-série
Mephisto vs... d'Al Milgrom et John Buscema (4 numéros originellement parus entre avril et juillet 87), précédée du #3 du
Silver Surfer (décembre 1968) de Lee et (déjà / encore / aussi) Buscema en guise de prologue. Les deux ont en effet en commun, outre leur dessinateur, le fait de présenter sa très diabolique majesté infernale Méphisto occupé à s’emparer, ou à tenter de s’emparer, de l’âme de différents héros de l’univers Marvel.
Disons-le tout de suite en ce qui concerne le titre le plus ancien de ce recueil, le Surfeur geignard de Stan Lee et sa philosophie à deux balles ont, de façon générale, très vite tendance à me donner envie de lui fracasser sa planche sur le crâne. Les deux protagonistes de notre drame simili-liturgique (j'aurais volontiers traduit ça par "La Tentation du Surfeur d'Argent", tiens, je dis ça je dis rien
) passent par ailleurs leur temps à changer de plan et d'avis toutes les deux planches, ce qui se révèle vite un chouïa pénible. Le Surfeur veut aider une jeune femme, puis, comme on est pas gentil avec lui, il cherche à détruire le monde ; Méphisto s'en offusque car il ne veut pas qu'on lui coupe comme ça sa source d'âmes corrompues, puis convoite l'âme du Surfeur qui est si pure (euhhh... je répète, le gars vient de chercher à
détruire le monde), lui annonce qu'il veut s'emparer de lui et l'anéantir et seulement
après essaie de le tenter... ce qui marche nettement moins bien dans cet ordre, à mon avis !
Mais si indigent que soit le scénario de Stan the Man, cela n'empêche en rien ce numéro d'être un
MUST READ absolu pour tout amateur de
vieilleries comics un peu anciens. Hein que quoi comment ? La réponse est très simple : le travail de Buscema transcende littéralement ce matériau et nous offre un pur et grandiose festin graphique. Pour ce qui est en fait la toute première apparition de Méphisto chez Marvel, "Big John" orchestre un crescendo visuel avec des compositions de plus en plus larges et aux effets de plus en plus marqués jusqu'à la révélation en pleine page de Sa Satanique Majesté sur son trône, nous dominant de toute sa rougeoyante maléficience (oui j'invente des mots) et de toute la force d'une impressionnante contre-plongée. L'effet est garanti, et Buscema va à partir de là s'appliquer à faire de
chaque case mettant en scène Méphisto, dans la trentaine de pages suivantes, l'équivalent visuel d'une
cover de Wagner par un groupe de hard rock. Ou en tout cas c'est la première comparaison qui m'est venue à l'esprit en découvrant ça. Notez que vous n'êtes pas obligé de me croire et que vous pouvez allez y voir par vous-même pas plus tard que tout de suite, ce numéro du Silver Surfer ayant été scanné et mis en ligne
sur le blog Mars Will Send No More.
Vingt ans après (ou presque), Méphisto a appris la subtilité -- ou alors c'est juste qu'Al Milgrom est un meilleur scénariste que Stan Lee (mais je m'en voudrais de présenter ça autrement que comme une hypothèse, hein...). La mini
Mephisto vs. the World (celle-là il fallait bien que je la fasse à un moment ou à un autre) va successivement le mettre aux prises avec les 4 Fantastiques, les X-Men et les Avengers. Orchestrant une série d'hallucinations qui créent un certain malaise pour les habitants du Baxter Building qu'il s'applique à faire tomber -- littéralement -- dans son escarcelle, le prince des enfers va ensuite passer son temps à troquer une âme captive pour une autre, dans un plan dont la finalité ne sera révélée qu'en dernière instance. Il est sans doute un peu trop patent à plusieurs moments que Milgrom invente à la volée (voire après coup) les règles du jeu pour justifier, de façon artificielle, ses différents rebondissements, mais on ne s'ennuie guère et le final s'avère surprenant, bien amené, et assez réjouissant (insérez ici un rire diabolique
). Une part de satire n'est par ailleurs peut-être pas à exclure, avec Méphisto explicitement décrit comme un "collectionneur", spéculant sur la valeur des âmes pour en acquérir une plus intéressante en "revendant" la précédente, et qu'on voit même mettre Thor sous emballage plastique protecteur !
Côté dessin, John Buscema s'est un peu assagi -- ou alors c'est juste qu'il ménage ses effets sur une histoire plus longue --, mais il sait montrer qu'il en a encore sous le capot au cas où quelqu'un en douterait (indice : non
)
(rappelons pour le contexte qu'à cette date le bonhomme dessine les Avengers sans interruption depuis une décennie, et les 4 Fantastiques et Conan depuis une demi-douzaine d'années !). J'ai trouvé les scènes infernales particulièrement réussies, mais il "fait le job" sans faiblesse pour les scènes à la surface aussi.
Au final je ne peux que vous inciter à rechercher ce petit recueil si vous étiez passé à côté (une bonne librairie l'aura peut-être encore en stock...), aussi bien pour le numéro de
Silver Surfer au scénar' naïf mais magnifié par sa mise en images baroque et opératique, que pour la mini-série
Mephisto vs... au récit plus surprenant et au dessin plus classique mais toujours efficace.
Post-scriptum : les associations d'idées dans l'abstrait c'est bien beau, mais je suis quand même allé voir sur Youtube si par hasard ça n'existait pas
vraiment, les reprises de Wagner en hard rock. Après vérification : oui, ça existe ; et non, ça ne devrait pas être autorisé à exister. Mais que ça ne vous empêche pas d’aller lire ces titres.