Tarkey a écrit:tzynn a écrit:Tarkey a écrit:Sujet sensible, mais les questions que je pose s'adressent à tout le monde, pas qu'à toi. Pourquoi acheter un planche, quel est l'intérêt de posséder ? En quoi un truc hors de prix (pour soi) serait-il indispensable ? Ne peut-on pas trouver des pépites à notre portée ? Et, le plus dingue, qui a bien pu te mettre dans l'idée qu'une planche de Tillieux ( remplacer Tillieux par n'importe quel autre auteur) puisse valoir plus de 1000 euros ?
Si tu regardes ta collection il y a une série de pièces qui sont bien au delà des 1000€ et qui seraient impayables par bcp de monde, voire par la grande majorité de la population mondiale. Tu dois donc déjà avoir un premier élément de réponse à ta propre question
C’est marrant, ce n’est pas la première fois que tu fais un contresens en me lisant. Ça doit être mon accent
Les 1000€ symbolisent la valeur des choses. Pourquoi 1000€, pourquoi pas 100 ou 10.000 ? J’ai essayé d’ouvrir un sujet sur ce point pour discuter de ce sur quoi nous nous basons pour estimer la valeur marchande d’une planche. Petit succès. Par contre ce qui est certain c’est que la tendance a un temps T est une bien pauvre référence. Si du Tillieux est affiché à plusieurs k€ aujourd’hui qu’en sera-t-il demain ? A t’il encore des lecteurs aujourd’hui ? Ses planches sont elles capable de séduire un non lecteur ? Tillieux sera t il vu comme un précurseur ou un auteur clefs justifiant qu’on le collectionne encore longtemps ? Si vous avez répondu non à toutes ces questions il me parait préférable de ne pas avoir dépensé plus qu’un budget plaisir accessible à votre bourse et que vous pouvez vous permettre de perdre
Pour rebondir sur ta question de fond, Tarkey (sur quoi se base-t-on pour évaluer la valeur marchande d'une planche), j'aurais un modeste avis là-dessus.
Tu parles de "valeur marchande" et pas de "valeur" tout court : la distinction est importante. Si l'on s'en tient à la "valeur marchande", la réponse est assez simple : on l'évalue sur la base des prix précédents en y ajoutant une variable à la hausse ou à la baisse. Bref, c'est juste des maths.
Par contre, si tu veux parler de la valeur en soi (esthétique, artistique), c'est évidemment plus complexe. Il y a bien sûr la réputation de l'auteur (sa consécration comme auteur, la popularité d'une de ses séries, son influence dans l'évolution du 9e art) et de l'album (certains albums sont plus marquants que d'autres et sont considérés unanimement comme les chefs d'oeuvre de l'auteur : pour reprendre mon exemple préféré, Gil Jourdan, La Voiture immergée est au sommet de la série ; ensuite viennent d'autres albums relativement un peu en-dessous, et enfin des albums franchement en-dessous du niveau graphique et narratif de l'auteur).
L'originalité du style de l'auteur compte aussi énormément. Par exemple, le dessin de Will, pour un non initié, c'est juste de la ligne Marcinelle, on pourrait le ranger dans une sorte de grand sac avec une pelletée d'auteurs ; mais ce qui est incroyable avec Will, c'est que son trait se reconnaît immédiatement ; quelque chose d'indéfinissable qui fait que son dessin respecte à la fois les codes graphiques d'une certaine école tout en s'en démarquant, ce qui le rend inimitable. On pourrait dire la même chose du Blueberry de Giraud : le genre western (classique), un graphisme réaliste (ok), et pourtant l'essentiel : on n'avait jamais vu ça dans une BD de western, tout comme on n'avait vu ça au cinéma avant Sergio Léone (sans compter les exploits graphiques hors-norme de Giraud). A contrario, le dessin de Greg est plus "passe-partout", il a du mal à se démarquer des conventions graphiques de son époque, on ne sent pas la "patte".
Sur une planche en particulier, j'aurais un critère phare : dans quelle mesure elle évoque directement l'image, l'ambiance, les thèmes de l'album ? Du coup, on va chercher le coeur de l'intrigue et la représentation des principaux personnages, mais plus encore des éléments du décor, des actiosn ou des paroles qui sont comme des métaphores de l'album. Par exemple, quand je vois ta planche de l'été indien (sur la plage, au début, la rencontre entre la nana blanche et l'indien), c'est comme un flash : elle me rappelle l'album tout entier (la plage, l'opposition entre colon et indigène, la violence et la transgression sexuelle, ici à peine suggérées, qui lancent l'intrigue). Elle contient en métaphore tous les éléments du drame.
Et puis il y a les aspects purement esthétiques : la qualité du dessin et de l'encrage, la souplesse presque "facile" du trait, la représentation quasiment naturelle du mouvement (je pense à la cette planche de Franquin où l'on voit Spirou tournoyer autour d'une échelle ; du coup, en général les scènes d'action bien faites ont toujours un petit plus), la lisibilité de la narration, la profondeur du champ dans les cases, la variation des angles. Là-dessus s'ajoutent les éventuelles prouesses graphiques ou le côté spectaculaire d'une case (sa grandeur, son angle de vue, la richesse de ses détails tout en restant très claire).
J'ai un exemple qui me vient en tête comme ça. J'ai passé de longs moments à comparer les planches de Jacques Martin et de son disciple Gilles Chaillet. J'aime beaucoup les albums de ce dernier (Certains Vasco sont vraiment excellentissimes). Mais il y a un petit truc, un je ne sais quoi qui se joue à quelques millimètres, qui rendent le trait de Jacques Martin d'une extraordinaire souplesse, une sorte d'équilibre parfait des formes et des perspectives, une justesse hors norme dans le dessin du mouvement.
Pour moi, sur cette question, la référence, c'est le livre de F. Deneyer, Petites histoires originales, particulièrement utile et intelligent dans son approche. De nombreux critères y apparaissent mais à la fin, on retient l'idée que c'est d'abord un long exercice de l'oeil qui permet de discerner la valeur des planches. Pour ma part, je n'en suis qu'à mes débuts.