de luc Brunschwig » 28/04/2021 08:18
Aujourd'hui on en arrive enfin à Urban... mais ce sera un processus long pour arriver enfin à l'idée et à la possibilité d'en (re) faire une série.
"Les choses auraient pu en rester là… Mais, non, on ne se trimballe pas un sujet d’histoire pendant 30 ans, sans que ça revienne vous titiller l’âme, comme une histoire d’amour qui refuserait de mourir.
Soyons honnêtes : toutes les erreurs commises sur le tome 1 d’Urban Games (sorti en octobre 1999 aux Humanoïdes Associés), je ne les ai pas comprises à la seconde où tout s’est effondré. Il a fallu plusieurs mois, voire plusieurs années de digestion pour comprendre qu’il n’y avait pas de malédiction dans ce qui s’était passé, mais plusieurs erreurs humaines tout à fait corrigeables.
Mais bon, j’avais perdu dans l’aventure de ce premier tome Jean-Christophe Raufflet, le dessinateur, qui était à l’époque l’un de mes meilleurs amis. Il me semblait que rien ne pouvait justifier une telle perte, surtout pas un récit fictif aussi brillant soit-il (et encore, j’étais très loin d’être convaincu de mon talent dans cette affaire)…
Longtemps, j’ai traîné mon amertume. Un jour, j’ai même décidé de retrouver tous les documents en relation avec Urban Games et de les détruire pour ne plus jamais avoir à être confronté à ce projet stupide. Mais avant d’en finir, j’ai voulu relire l’histoire une dernière fois… Et, comme un andouille, je me suis laissé captiver par mon propre récit.
J’ai enfin réalisé que c’était moi qui m’étais trompé dans ma façon d’aborder le sujet, que le fond de l’intrigue, les personnages, les thèmes développés, tout cela méritait qu’on s’y arrête (c’était d’autant plus criant qu’en général, il n’y a rien de plus obsolètes que les idées d’Anticipation… Or là, près de 20 ans après avoir été conçues, ces idées restaient sinon d’actualité, du moins tout à fait pertinentes, même si elles demandaient quelques aménagements).
C’était en 2003 et j’ai imaginé Urban tel que j’aimerais le lire à ce moment-là, avec mon expérience de scénariste un peu plus chevronné. Et ce que j’ai imaginé m’a plu. Plu au point de l’écrire. Et de le re-proposer à Sébastien, qui était devenu directeur de collection chez Dupuis (surtout afin de voir ce qu’il en penserait… Avais-je véritablement amélioré l’approche de cette histoire ?).
Sébastien s’est montré enthousiaste une fois encore. D’une approche un peu vide, on était passé à quelque chose de beaucoup plus intime, en abordant le récit du point de vue d’un seul personnage, celui de Zach, le jeune fils de fermiers qui depuis son enfance veut devenir flic et qui rejoint la seule ville encore présente sur Terre pour incorporer leur académie de police.
L’apparente bonhomie de la cité s’effaçait pour une noirceur plus marquée, le regard sur notre monde en 2050 gagnait enfin en profondeur ce qu’il perdait en mouvements confus et désordonnés…
Malheureusement, deux nouveaux problèmes venaient s’opposer à la remise en œuvre d’Urban : les droits de la série étaient entre les mains des Humanoïdes Associés et la maison connaissait des difficultés de paiement chroniques vis-à-vis de ses auteurs. Travailler avec eux aurait été une galère que je ne voulais imposer à aucun dessinateur.
Et puisqu’on parle du dessinateur, avec qui aborder ce nouveau défi ? Les difficultés graphiques qui se posaient depuis le début n’avaient pas changé, tout au contraire…
J’ai tenté quelques approches : Serge Pellé (dont certaines recherches pour Urban lui ont permis de mettre en place l’univers d’Orbital qu’il signe aujourd’hui avec Sylvain Runberg chez Dupuis), David Nouhaud (dont je scénarise la série Car l'Enfer est Ici), Daniel Acuna (brillant dessinateur espagnol travaillant pour DC et Marvel) et Niko Henrichon (l’excellent dessinateur chez DC de Pride of Bagdad)…
Leur talent se heurtait à certaines difficultés du projet ou plus prosaïquement à des problèmes d’emploi du temps ou tout simplement au fait qu’on ne trouvait pas de solution pour faire sortir les droits de chez les Humanos.
Et puis Roberto Ricci m’a envoyé un message en novembre 2008 pour me demander si je n’avais rien à lui proposer ; au moment où Robert Laffont était sur le point de fermer son pôle bande dessinée, où il réalisait Moksha, sa seule série en cours.
Je me dois, une fois encore, d’être honnête. Je connaissais bien le travail de Roberto et une seule chose me laissait penser qu’Urban pouvait être un projet pour lui : sa façon organique et très sombre de dessiner les villes… Pour le reste, je nourrissais pas mal d’incertitude sur sa façon de représenter les personnages, qui me paraissait parfois trop inconstante, mais bon…
Urban était le seul projet que j’avais sous la main qui aurait pu lui correspondre. Au pire, il allait dire « non » alors pourquoi ne pas tenter une fois encore ma chance ?
On n’est jamais à l’abri d’une heureuse surprise, même si honnêtement, ça faisait belle lurette que je n’attendais plus d’heureuse surprise du côté d’Urban…
Roberto a lu le projet dans l’heure qui a suivi. Il m’a tout de suite dit « oui »… Il était d’autant plus surpris de dire « oui » qu’après les Âmes d’Hélios qu’il avait réalisé quelques années plus tôt chez Delcourt, il s’était juré de ne plus refaire un projet de SF… Mais pour Roberto, ce n’était pas un projet de SF comme les autres, ce qui déjà me rassurait sur la pertinence de relancer Urban… Pour lui, c’était du Brunschwig en SF, mais c’était avant tout du Brunschwig !!!
Restait encore l’essentiel : voir ce qu’il allait faire graphiquement de ces personnages et de cet univers.
Le premier personnage auquel il a voulu s’attaquer était le personnage principal, Zach. Qu’en gros, je lui définissais psychologiquement comme une espèce de grand enfant naïf, élevé loin du monde, épris de justice, mais d’une idée de justice simplissime, issue de sa vision d’un dessin animé intitulé Overtime, dont le héros remontait le temps pour punir les criminels qui n’avaient pas été condamnés de leur vivant. Physiquement, je le voyais comme un garçon de ferme irlandais, grand, un corps puissant et une espèce de candeur dans le regard… Zach était défini ainsi depuis le début. Mais personne n’avait jamais vraiment su m’en montrer un vraiment convaincant. Même celui de Jean-Christophe, dans la première version éditée, semblait trop sûr de lui, trop baroudeur, pour vraiment bien jouer ce rôle.
Roberto m’a prévenu qu’il allait tenter quelque chose d’un peu hors des codes réalistes, quelque chose de culotté… Je ne savais pas à quoi m’attendre, mais je ne m’attendais vraiment pas à être aussi « bluffé » en ouvrant le mail qu’il m’a envoyé.
Zach était là, enfin… Vous comprendrez aisément pourquoi en découvrant la première planche de l’album. Roberto a su lui donner avec une parfaite justesse, le côté profondément terrien, paysan et candide que personne n’avait su lui donner jusque-là.
Les jours suivants, nous avons continué d’arpenter ensemble les rues de Monplaisir, définissant chacun des personnages principaux, à commencer par la ville elle-même. Chaque recherche venait confirmer l’enthousiasmante accaparation que Roberto avait réussi à faire avec cet univers.
Entre ses mains, tous les éléments qui avaient posé tant de problème durant toutes ces années devenaient pure évidence. Un monde riche, réaliste et cohérent était en train de naître sous mes yeux. Vous allez trouver ça idiot ou un peu prétentieux, mais durant toutes ces années à chercher le bon dessinateur, je n’ai jamais vraiment senti quiconque à la hauteur du sujet… Avec Roberto, c’est moi, qui aujourd’hui et depuis 10 ans aie peur de ne pas assez bien servir ce faramineux talent dont il fait bénéficier Urban."