Je ne sais pas si Kris et Davodeau fréquentent BDParadisio, mais il y a un commentaire intéressant à leur intention :
"N.B. Je ne souhaite pas critiquer l'excellent travail que constitue, dans sa forme, cet album, mais, ayant vécu cette époque, je voudrais que les auteurs lisent ce qui suive : A propos des grèves et manifestations d’avril 1950, et du décès d’Edouard Mazé. Je crois que la façon la plus précise de se faire une idée de la réalité de cette tragédie, est de lire tout simplement les nombreux articles de presse, et notamment ceux du « Télégramme » du lendemain, relatant cette journée sanglante, et ainsi de constater la violence inouïe de la manifestation, (qui n’avait rien de romanesque), et de vérifier également une certaine vérité, qui pourrait amener les auteurs de la bande dessinée, à modifier leur titre pour « deux hommes sont morts », en sachant que le deuxième décès concernait un père de famille anonyme, oublié au panthéon inexistant de la martyrologie des serviteurs de l’ordre républicain, tombé sur le pavé de la rue Karabécam, sous la grêle des projectiles lancés par les manifestants, amnistiés à jamais par l’effet « Marabounta* » (un film très en vogue à cette époque), où on ignore la responsabilité individuelle, et où l’on hurle ou bien danse avec les loups, selon la tournure des évènements. Si la « Marabounta » tue, la terminologie est « voies de fait », alors que les forces de l’ordre, en état de légitime défense « assassinent »… au bilan, il y a deux morts, deux morts qui à mes yeux ont la même valeur, et pour lesquels deux familles ont pleuré… Parler en termes romanesques de ce drame, avec en support un film oublié, commandité à l’époque par la CGT, avec pour témoignage actuel celui d’un des protagonistes de ce chausse-trappe, député communiste et conseiller municipal, humaniste à ses heures sauf pour voter un don de la ville de Brest aux réfugiés hongrois victimes des chars soviétiques en novembre 1956, m’apparaît comme déni de vérité, d’autant que je ressens une très grande compassion pour le sort d’Edouard Mazé, (il méritait mieux qu’une bande dessinée, même très bien faite), et que je reconnais la légitimité des revendications des salariés de ces dures années. On ne parlait d’ailleurs guère à l’époque de manifestations, mais de « luttes ouvrières », et même de «bagarres» : c’est par ce terme que fut qualifié le violent affrontement qui opposa les grévistes aux forces de l’ordre, dans le quartier de Coat-ar-Guéven, le jour fatidique où le jeune manifestant (26 ans) trouva la mort : alors qu’une pluie de projectiles divers (boulons, pierres, morceaux de ferraille) tombaient sur les gendarmes, et que 49 d’entre eux étaient déjà blessés, dont certains grièvement atteints, des coups de feu éclatèrent venant, dit-on, des forces républicaines, sans que l’ordre de tir ne fut donné. Instinct de conservation, réflexe d’auto ou de légitime défense de ces gendarmes coincés dans le piège de la venelle de Kérabécam, face à des manifestants déchaînés, ou résultat d’un tir provenant d’éléments incontrôlés ? : le drame brestois jeta la consternation sur la ville et même sur l’ensemble de la nation. Malheureusement, le jeune ouvrier reçut une balle dans la tête, et décéda à son arrivée à l’hôpital Ponchelet. L’autopsie du défunt révéla que cette balle aurait pu être tirée d’une fenêtre du futur hôpital Morvan, encore en travaux à cette date, et situé à quelques dizaines de mètres du lieu du drame, mais l’affaire ne semble pas avoir été totalement élucidée. Cette version, bien que plausible, ne peut convenir à la martyrologie ni du PCF, ni de la CGT, aussi, par soucis d’apaisement, les autorités et la presse oublièrent cette éventualité, déjà dans le souci du politiquement correct. Grièvement blessé à la suite de ces affrontements, le gendarme Gourvès, de Plougastel Daoulas, devait également mourir, ce qui confirme, si besoin était, qu’il s’agissait en l’occurrence d’une véritable émeute urbaine, et non pas d un simple défilé revendicatif « pour obtenir une distribution de lait destinée aux nourrissons », comme certains voudraient nous l’enseigner aujourd’hui. Pour preuve, il s’en suivi 4 arrestations spectaculaires : celles de deux syndicalistes CGT, et surtout celles de 2 députés communistes du Finistère : Marie Lambert et Alain Signor, qui écopèrent respectivement de 5 et 6 mois de prison avec sursis, pour voies de fait, et ceci en dépit de leur immunité parlementaire. Leur procès avait fait grand bruit : encadré par la « nomenklatura » politique et syndicale, une masse impressionnante de sympathisants, pesa de tout son poids sur le jugement, ce fut, je le pense, la plus grosse affluence que connut le petit «Palais de Justice » provisoire de la place de l’Harteloire ! Comme toujours, en pareilles circonstances, les véritables responsables des évènements manquent totalement de courage, s’en tirent à très bon compte, et osent, plusieurs années après, tirer gloire de ces épisodes douloureux. Dans cette affaire, il conviendrait de dire : deux hommes sont morts : il n’y a pas de vie d’homme qui vaille plus que celle d’un autre. * « Marabounta » : énorme colonie de fourmis d’Amérique du Sud, qui dévaste tout sur son passage, et qui fait preuve d’une incroyable intelligence collective pour survivre. Michel CORRE"
(
http://www.bdparadisio.com/scripts/LastCriticPortal.cfm