Comment un nouveau post sur Tintin ? Tout n’a-t-il pas déjà été dit dans les quelques 218 posts du forum ayant pour sujet Tintin ? Eh bien je n’en ai pas l’impression car j’ai cherché et je n’ai pas trouvé de sujet sur les cases.
Dans ses entretiens avec Numa Sadoul, Hergé affirme n’être fier que de 2 cases sur l’ensemble des planches qu’il a dessinés pour les aventures de Tintin! L’auteur perfectionniste est certainement un peu dur avec lui-même (voir le passage en question à 18min30sec) :
Il aime les 2 cases en questions pour des raisons assez similaires ; elles arrivent à représenter de façon synthétique en un seul dessin la décomposition du mouvement. Elles représentent en quelque sorte la quintessence de la bande dessinée.
Il y a donc cette case dans Le crabe aux pinces d’or :
Décrire le mouvement d’un pillard devrait prendre 4 cases : le personnage est allongé puis il se lève et aperçoit le danger, il se retourne et enfin s’enfuit en courant. Ici Hergé arrive à faire tenir en une seule case les 4 postures car il dessine 4 personnages quasiment identiques.
Ci-dessous la version en couleur, où les vêtements des pillards d’un bleu intense rendent les personnages encore plus similaires:
Ensuite il y a cette case du trésor de Rackham le Rouge. Dominique Maricq en parle dans « les trésors de Tintin », ci-dessous le fac-similé donné avec l’album :
Dans cette case, en arrière-plan, on aperçoit le Sirius c’est-à-dire l’endroit d’où viennent les personnages. Au second plan, Tintin et les Dupondt viennent d’accoster et tirent le canot sur la plage. Au premier plan, Haddock n’a déjà plus les pieds dans l’eau, il tient sa carabine à la main et inspecte les environs. D’une manière moins explicite que dans la case précédente, Hergé arrive à montrer dans une seule case le mouvement global des personnages du Sirius jusqu'à la plage.
J’ai récemment relu tout Tintin, noir blanc + couleur, et je me suis demandé quelle serait ma case préférée. Avant cette relecture globale, j’aurais intuitivement pensé trouver cette case dans un de mes albums préférés (Le Lotus bleu, Objectif Lune, L’affaire Tournesol, Les Bijoux de la Castafiore, Tintin au Tibet). Et finalement, je me suis étonné moi-même avec un album que j’avais sous-estimé : Au pays de l’or noir. Je me suis surpris à adorer totalement la première partie de d’album, la partie dans le désert, et je suis resté scotché sur cette case (Désolé pour la qualité moyenne de l’image, je l’ai emprunté sur Bellier.org):
J’adore la composition de l’image, on sent que le vent se lève avec au premier plan, la posture de Tintin et Milou qui luttent contre le vent et les vêtements de Tintin dans le vent. La ligne de fuite formée par les traces de pneu de la Jeep des Dupondt conduit le regard jusqu’à l’arrière-plan et la tempête de sable qui arrive.
On sent le danger qui approche. On le sent d’autant plus que cette case arrive en bas de page et crée un effet d’attente car on doit passer à la page suivante pour savoir ce qui arrive à Tintin. On peut même symboliquement voir dans cette case : la catastrophe, l’apocalypse, le malheur qui se profile à l’horizon. Ce dessin correspond parfaitement à ce récit qu'Hergé a commencé juste avant l'invasion de la Belgique par les Nazis. Et pourtant cette case ne fait pas partie de la version dessinée en 1940 !
Et vous quelle est votre case préférée de Tintin et surtout pourquoi ?
Avec Mogwaï, arrive beaucoup de responsabilités. Je ne veux le vendre à aucun prix!
Excellent sujet et belles analyses. Il y a un travail fou d'Hergé qui ne laissait rien au hasard, ou alors ses improvisations, quand tout n'était pas calculé, laissaient entrevoir toute l'étendue de son génie créatif
N'étant pas fan de tintin, ni les avoirs d'ailleurs, je n'ai pas de case a proposé, mais j'ai trouvé le sujet et l'analyse très intéressante, merci vincecarter
Incroyable, j'ai pensé créer un sujet avec exactement le même titre il y a quelques semaines.
Du coup j'ai eu le temps d'explorer ma question.
Je crois que ma case, ou plutôt séquence préférée est celle-ci:
Je ne peux pas vraiment dire pourquoi, je trouve l'ambience incroyable, j'ai l'impression de sentir le feu et la brise, et d'entendre la musique, l'évocation de la pénombre et du clair de feu est sublime.
Sinon, j'adore celle-ci aussi (plus classique), tirée de l'Or Noir.:
On y retrouve un peu le même effet de lumière que le feu des tziganes. En terme d'ambience, elle ressemble un peu à la case tirée du Crabe qui a été reproduite sur la façade du musée Hergé. Mais celle-ci évoque beaucoup plus le sentiment d'inquiétude.
Last but not least, ce n'est pas une case officielle, mais cette carte de Noël, je la trouve sublime.
Quand je regarde cette image. J’ai l’impression de fermer la marche. D’être là, derrière eux. D’entendre leur pas dans la neige. De sentir le froid, et de me réjouir d’arriver dans la chaleur du village. De voir le ciel, de sentir l’air et d’entendre le faible vent dans ces arbres
Au final, si les cases préférées d'Hergé impliquent toute une dynamique de mouvement, ce qui n'est pas étonnant car ce qui fait son génie est vraiment l'évocation du mouvement, je constate que mes cases préférées à moi le sont plutôt en raison des ambiences évoquées. Dans les deux cas, on se rend compte que la magie du dessin d''Hergé réside à mon sens dans sa capacité à susciter ce que les chercheur-e-s en art appelle l'empathie kinésique.
J'aime bien l'expression "empathie kinésique" qui s'applique avec justesse. Je crois que beaucoup de scènes sont imprimées dans notre mémoire et font partie d'une sorte d'inconscient collectif. Il est frappant de constater chez Hergé d'un sens inné de l'équilibre des cases.
Je reviens sur la case du Crabe. Ce peut être les 7 personnages qui décomposent le mouvement. En faisant, dans une certaine mesure, abstraction du sens de lecture gauche droite.
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Dernière édition par Alexander le 25/02/2015 22:49, édité 1 fois.
Pacome a écrit:Avec l'âge, je préfère de plus en plus les premières versions noir et blancs de Tintin avec des cases d'une épure parfaite, less is more
Tout à fait d'accord et on pourrait trouver vingt cases parfaites dans le seul "Lotus Bleu" noir et blanc.
Mais je vais répondre à la question initiale du topic par deux cases muettes, que l'on peut passer un peu vite à la lecture, d'autant qu'elles sont très petites de format dans les albums. Chacun, je pense, les "situera".
Pour continuer sur les scènes de nuit. La case de l'Etoile mystérieuse ci-dessous est remarquable car Hergé dessine l'ombre portée de Tintin sur le mur, chose qu'il ne fait quasiment jamais (probablement pour des raison de lisibilité):
Cette ombre renforce le sentiment de fin du monde, car même si l’action a lieu la nuit, l’étoile mystérieuse est suffisamment étincelante pour créer une lumière crépusculaire. L’atmosphère de la scène est totalement surnaturelle. Un album unique et magnifique qui, je pense, est un peu sous-estimé.
Dernière édition par vincecarter le 26/02/2015 11:37, édité 1 fois.
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la case utilisé sur l'album Tintinolatrie - où il est seul sous la lune dans les montagnes Syldavo-Borduriens... En fait toute cette scène (jusqu'au vol d'avion chasseur) est d’anthologie
Dernière édition par Cooltrane le 27/02/2015 08:49, édité 1 fois.
Mieux vaut tapis Persan volé que tapis volant percé (Uderzo.... et oui, pas Goscinny)
Hallucinant ce sujet ! En voyant le titre je me suis dit que c'était encore de la branlette intello mais en fait non c'est super passionnant ! Pas mal !
Il serait difficile de faire le tri. Mais des titres comme "l'île noire", "les 7 boules de cristal" ou " le lotus bleu" en fournissent un Max. Chez Hergé, on pourrait évoquer 3 éléments essentiels: Le mouvement, le cadrage, la profondeur de champ. Je rajouterais une maîtrise totale des couleurs sombres dans le rendu des atmosphères .
icecool a écrit:Sur ce sujet (une case, une analyse), je conseille plus que vivement les deux ouvrages suivants :
Merci, pour ces 2 références que je ne connaissais pas. Je pense que, contrairement à des auteurs plus récents, pour Hergé, l’unité d’analyse graphique n’est pas la planche mais la case. En effet, il travaille essentiellement pour la presse et les cases qu’on retrouve en albums sont redessinées, recadrés, voire supprimées. Du coup, la planche est en quelque sorte un « agrégats » de cases retravaillées pour essayer de donner une unité mais parfois ça ne fonctionne pas parfaitement.
Là où c’est le plus frappant c’est pour les albums initialement parus en strips dans le soir volé. Si on prend le trésor de Rackham le rouge par exemple, Hergé arrive à créer un effet d’attente, un suspens, à chaque fin de strip. Du coup, le lecteur à envie de connaître la suite de l’histoire. Il arrive à faire preuve d’une créativité hallucinante juste pour tenir au jour le jour son lecteur en haleine. Même si parfois, la résolution de l’effet d’attente dans le journal du lendemain est pour le moins légère. Un exemple sur cette séquence :
Pour les albums il élargie et recadre certaines cases pour créer des dynamiques graphiques de planche mais globalement on reste assez proche du gaufrier même pour les albums conçus pour le journal de Tintin. C’est pour cela que je pense que pour Hergé analyser la case est plus intéressant et pertinent qu’analyser la planche.
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