Oncle Hermès écrit :
P.S. : bon, pour être tout à fait honnête, je dois aussi dire que présentant un peu Morrison, sa vie, son œuvre, à un ami qui bosse en psychiatrie, celui-ci m'a répondu que d'un point de vue professionnel le bonhomme avait un profil assez clairement identifiable – je cite : "schizoïde, schizotypique, schizophrène, voire les trois à la fois..."
Cela est vraisemblable, mais la dinguerie n'est-elle pas un trait commun aux artistes et penseurs de talents ? En y repensant, P. K. Dick, Mozart, Nietzsche, Van Gogh, Antonin Artaud, Einstein, Orson Welles, Diogène et tant d'autres, ne sont pas vraiment des modèles de santé mentale.
Je me méfie, par principe, de cette mode de la "psychiatrisation des individus". La psychiatrie est certes une science, mais dresser le portrait psychologique d'une personne en observant ses œuvres, et non pas en s'entretenant avec lui longuement, et en l'observant, n'est-ce pas hatif ? N'est-ce pas un peu péremptoire ? Morisson est "particulier", de là à dire qu'il serait aliéné...
Si l'on me permet un léger hors-sujet, l'inflation récente du nombre et des noms de "pathologies psychologiques nouvelles" comme la Perversion Narcissique, la schizoïdie, les troubles bipolaires et/ou schizotypiques, les personnalités borderline, le syndrome de l'aliénation parentale, ne cacherait-elle pas le désarroi de la jeune science psychiatrique qui, ne parvenant pas à dire ce qui serait normal de ce qui ne le serait pas, "invente" des maladies comme les médecins de Molière ?
Mais passons.
Je ne vais pas revenir, pour l'heure sur son run sur X-Men, ni sur All Star Superman.
Je préfère aborder une œuvre plus ancienne et moins connue, qu'est son run, de 1988 à 1990, consacré à Animal Man, chez Vertigo (à l'époque le label adulte de la DC).
La DC a sorti récemment un omnibus de grande qualité qui fera joli dans les bibliothèques !
Animal Man, Buddy Baker dans le civil, est un héros, un peu tombé dans l'oubli à l'époque, qui a la pouvoir d'utiliser la puissance et les capacités des animaux existants ou ayant existé, on le voit courrir comme un jaguar, nager comme un dauphin, voler comme un aigle, avoir la force d'un gorille, etc. Il est marié et père de deux jeunes enfants, et il exerce la profession d'acteur de cinéma. Il vit dans l'univers DC post Crise des Terres Infinies. Il est membre de la JL.
Dans ses premiers numéros, Morrison s'accapare Buddy et en fait, en un premier temps son porte parole : Buddy devient un végétarien militant et un écologiste activiste, comme lui-même.
Cependant, Animal Man ne franchit pas le cap de l'éco terrorisme et stoppe ceux-ci. S'il n'hésite pas à délivrer de malheureux singes d'un laboratoire où on expérimente des cosmétiques en mettant son poing sur la figure à des chercheurs, il ne tue pas les tueurs d'animaux.
Mais, les choses vont changer à la fin du second arc. Animal Man va vite devenir une œuvre plus qu'à part, et dépasser le déjà courageux plaidoyer écologique (pour l'époque).
Morrison va littéralement faire de la vie de Buddy un enfer absolu.
Buddy se bat contre le Mirror Master et des éco-terroristes. Après avoir été tué, il revient à la vie, plus fort que jamais et en profite pour avoir un trip, grace à du Peyotl, en Afrique.
Peu de temps après, sa famille est sauvagement massacrée. Il se lance à la poursuite des commanditaires...
Toujours sous le choc, il parvient à éviter que le Psycho-pirate (le seul être qui se souvienne du Multivers) ne redonne vie à celui-ci par la force de sa pensée. Dans l'asile d'Arkham, où il est retenu, on revoit surgir la CSA de la Terre 3 (Ultraman que Morrison réutilisera dans son JLA earth-2), des versions alternatives de la JLA et Overman, Superman d'une terre alternative, crée par le gouvernement qui, devenu fou, aspire à tout détruire, Buddy aura à faire pour le maitriser, lui et le Psycho-pirate... (Morrison réutilisera Overman dans run sur Action Comics).
Inconsolable après la perte de ses proches, il tente vainement de remonter le temps et cherche de l'aide auprès des sorciers de la DC, comme Jason Blood ou Phantom Stranger.
Il rejoint les limbes où il rencontre des personnages de comics DC oubliés et/ou jamais crées (pas par Morrison qui les réutilisera par la suite dans All Star Superman et Final Crisis Superman Beyond)
Buddy découvre le responsable de ses malheurs. C'est Grant Morrison lui-même.
Animal Man apprend qu'il n'est qu'un personnage de fiction, qu'il n'existe pas vraiment, mais, n'ayant plus rien à perdre, il veut demander des comptes à son créateur, lui demander pourquoi il lui inflige tant de souffrances.
Morrison est le véritable héros de l'histoire. Dans la saga, nous voyions des brefs caméos mettant en scène un homme en train d'écrire sur sa machine à écrire le script de l'histoire d'Animal Man.
Dans le 26ème et dernier numéro du run, nous assistons à la confrontation entre l'artiste et son œuvre.
Là où le personnage demande des comptes, Morrison se pose comme un démiurge omnipotent et fort arrogant. En tant qu'artiste, il déclare faire ce qu'il veut, il dit à Buddy et lui montre qu'il peut le tuer ou être tué par lui, selon son bon vouloir. Il introduit dans ses BD qui bon lui semble, tue de la même manière ; après tout, ce ne sont que des personnages de fiction. A quoi bon râler ? Buddy proteste en répliquant ressentir des choses, mais ces choses ne sont-elles pas créées par Morrison ?
Ce Morrison qui rencontre Animal Man sur le pas de sa porte, devient la création artistique du vrai Grant Morrison, de quoi faire douter de la véracité de sa propre existence, non ?
Bref, c'est très très gonflé. Morrison a joué avec le lecteur comme il a joué avec Buddy. Si un écrivain manipule le lecteur et ses héros, c'est qu'il le peut, voire c'est qu'il le doit.
De quoi, également, se faire interroger les lecteurs sur leur perversité et leur voyeurisme qui les a conduits à suivre Buddy sur le chemin de la folie, de la perte et de la douleur, ne serions-nous pas tous des pervers en puissance, attendant la ruine de notre héros ?
L'auteur s'interroge également sur son propre pouvoir : peut-il vraiment tout faire comme un Dieu sans n'avoir de comptes à rendre à personne, ou bien le personnage de fiction qu'il mêt en scène n'existe-t-il pas, quand même, d'une certaine façon et ne peut donc pas être traité n'importe comment ?
Morrison dit d'ailleurs à Buddy que certaines choses ne sont pas "réalistes", même dans un comic de super-héros...
Œuvre complexe, quoique totalement lisible et limpide, Animal Man annonce les plus délirants "Invisibles" et "Doom Patrol", Il porte en lui de nombreux germes et idées que Morrison réutilisera dans son œuvre jusque dans son récent run sur Action Comics. Qui plus-est, Animal Man a très bien supporté l'usure du temps, alors lisez-le !