zemartinus a écrit:j'ai profité du confinement pour découvrir Jeux Pour Mourir, un excellent album de Tardi dont on parle pas beaucoup pourtant. Les couleurs y sont superbes, et l'ambiance triste et morbide de cette banlieue perdue des années 50 hyper bien rendue. Et les trognes inégalables, bien évidemment
Quelqu'un sait de quelle ville s'est inspiré Tardi pour les décors ? parce que c'est censé se passer au Troncy en Seine et Oise, mais après recherche, bah ça existe pas
En tout cas c'est fou comme Tardi a su transformer ses lacunes graphiques en force, faisant de ses BD comme des petits théâtres de papier où les personnages posent face caméra et sûr-jouent toutes leurs réactions, dans des cadrages fixes et hyper simples, quasiment toujours pris à la même hauteur, comme si nous étions des spectateurs de théâtre face à une scène immobile.
Ca donne un côté unique à son oeuvre, et tout son charme un peu suranné
J'ai découvert cet album qui n'est pas le plus connu de l'auteur, cette année, et quelle réjouissance!
Polar poissard, Tardi a réussi le pari si souvent déjoué de planter le roman noir en France, ici en banlieue parisienne. N'ayant pas lu le roman de Véran, je ne sais pas si cela revient au seul génie de Tardi. Toujours est-il qu'il a parfait ce qu'il faisait sur Nestor Burma: le décor de banlieue avec ses lieux phares et typiques (le train aérien, le café, les rues, immeubles et maisons) est très bien rendu. Les personnages, totalement aliénés, englués dans leurs désirs, leur naïveté et leur avarice, leur soif de biens matériels, le destin des ces prolos prêts par tous les moyens nécessaires à fuir cette ville minable, morne et moche, phagocytée par la capitale qu'ils ne voient jamais.
Au niveau des couleurs, criardes si décriées, pour mon oeil Tardi a réussi à rendre la luminosité si particulière à l'Île-de-France au mois d'août par une solution assez audacieuse : la couleur orange inonde les pages. Le rouge et le brun sont orangés, la carnation est orangée, les façades sont oranges, la lumière d'août (qui pourrait être un titre bis) et sa chaleur inonde chaque page, chaque case, et les scènes nocturnes sont physiquement rafraîchissantes.
Et toujours quelques visions de cauchemar comme Tardi les aime tant.
Le résultat final (et là à mon avis c'est du fait de Tardi) est une sorte de Jim Thompson franchouillard - Thompson qui avait si bien réussi la ruralisation du polar noir habituellement urbain - bien plus réussi que les adaptations cinoche qui ont pu être commises ici ou là.
Et niveau topographie, les plans du train aérien m'ont tout de suite fait penser à Arcueil/Cachan et son viaduc - que j'ai fréquenté durant 1 ou 2 ans - (mais je peux me tromper)...