18/20 pour ce "Voleurs du Marsupilami" qui doit figurer dans le trio de tête de mon top 5.
Ce doit être le premier, sinon le deuxième, Spirou et Fantasio que j'ai lu dans mon enfance (j'hésite avec "La mauvaise tête"). Les deux m'avaient été offerts par mes grands parents, sans doute très bien conseillés par un libraire à la fin des années 60.
Dans ce récit, Franquin continue de progresser dans la continuité du précédent album et son talent s'affirme encore davantage. Le dessin y est d'une limpidité confondante.
Les séquences d'anthologie y sont nombreuses et ont déjà été mentionnées : pour rappel, je citerais la poursuite dans le zoo, la tentative de fuite du désopilant et opportuniste jeune varan (Franquin regrettera de ne pas l'avoir conservé jusqu'à la fin, sous forme de running gag, ayant initialement envisagé de montrer la bestiole rejoindre le Nil), la bagarre avec les douaniers, le match de football (avec une dynamique dans les dribbles, passes, centre, tir et des attitudes et placements de joueurs remarquables), divers numéros de cirque et pugilats avec toujours en amont un travail poussé sur la gestuelle, etc...
Quand j'étais môme, je jubilais de voir s'achever la bagarre finale, à laquelle le marsu et l'écureuil prenaient part, sur un joli petit coup de théâtre : Spip acculant l'ô combien détestable chef du personnel et l'enfermant dans une cage aux dimensions réduites mais parfaitement adaptées à l'irascible nabot.
Petite remarque : Franquin jouit d'une grande liberté pour développer son histoire. Jo Almo, un ami de Franquin, lui aurait seulement fourni l'idée du base, à savoir celle du vol. Selon Franquin, l'intervention de Jo Almo se limiterait à quelques phrases, Almo n'étant pas scénariste. Aussi Franquin a-t-il développé son intrigue, en naviguant à vue et à l'estime, de semaine en semaine, sans trop savoir où il allait. Mettant à profit cette liberté si précieuse qui convenait à sa fantaisie et lui permettait de mettre en scène des personnages au comportement cohérent.
J'aime lorsque Franquin a les coudées franches, comme dans Gaston. Ainsi maîtrise-t-il davantage la psychologie des personnages que lorsqu'il travaille avec un scénariste. Bien sûr, l'improvisation amène son lot de petites situations téléphonées comme Champignac en villégiature à Magnana, mais ça passe assez bien dans cette aventure humoristique qui ne se prend pas au sérieux (mais elle fut réalisée néanmoins avec le plus grand sérieux, Franquin étant un auteur consciencieux).
Franquin s'attachait à raconter une histoire qui aurait été susceptible de le charmer, personnellement, enfant comme aussi bien à l'âge adulte. Franquin prenait du plaisir à se surprendre tout en progressant dans son récit. Et ce plaisir, il le communique au lecteur qui tourne les pages avec une certaine avidité.
Franquin ne voulait pas s'adresser à une tranche d'âge trop ciblée. Aussi ne faut-il pas être surpris de trouver dans cet album sans bandit une certaine vision de la société. Cela suppose de camper des personnages au caractère assez finement esquissé et au comportement crédible (le directeur du zoo, le gardien, Mollet et sa famille, les douaniers, les motards, Zabaglione, David et Goliath). De tels personnages, nous en avons tous croisés un jour ou l'autre.
J'apprécie tout particulièrement Valentin Mollet, second rôle absolument pas manichéen, qui apporte une dimension sociale au récit. Père de famille en indélicatesse avec la loi, risquant la prison pour nourrir les siens, mais dont le sentiment de culpabilité s'affiche très tôt, dès la séquence dans le zoo, lorsqu'il s'excuse de provoquer la chute de Spirou.
Cependant, malgré les difficultés matérielles auxquelles il est confronté, cet avant centre talentueux sera incapable de commettre certaines saloperies pour le compte de Zabaglione. Tout gamin, j'aimais cette vision des hommes où personne n'est totalement bon ni méchant. Si le vol est répréhensible, le plus blâmable ne sera-t-il pas le plus souvent le commanditaire du vol, lorsqu'il y en a un ? Quant au voleur, peut être saura-t-il racheter sa faute si on lui donne une chance ?
Cette aventure n'est pas seulement une suite de péripéties et de gags qui s'enchaînent les uns aux autres. Il y a un suspense autre que ceux de la seule recherche et de la récupération du Marsupilami.
Il s'agit de savoir si le comportement de Valentin Mollet lui permettra de rentrer dans le droit chemin et d'éviter un séjour derrière les barreaux. Le lecteur, même enfant, qui a un coeur et de l'empathie, est soucieux de savoir que Madame Mollet et sa fille ne seront pas privées de l'époux et père.
Il existe un autre élément de suspense, qui renvoie directement à la fin de Spirou et les héritiers et au début de ces voleurs. C'est la question de savoir ce qu'il adviendra du marsupilami une fois celui-ci récupéré ? Va-t-il retourner au zoo ? Ce sont par conséquent les questions de la privation de liberté des humains et des animaux et des conditions carcérales qui sont ainsi soulevées et auxquelles Franquin proposait aux enfants de 1953 de réfléchir.
On le sait, Mollet fera preuve de panache, non seulement sur la pelouse du stade de Magnana, mais aussi en affrontant courageusement le sanguin Zabaglione, aux côtés de Spirou et Fantasio.
Franquin, seul aux commandes, ne s'adresse pas aux enfants comme s'ils étaient incapables de comprendre et d'appréhender toutes les nuances et la complexité de l'âme humaine et les problèmes du quotidien qui tiraillent ses semblables.
En cela, il se rapproche d'Hergé avec ses Haddock, Szut, Wolf, Ivan Ivanovitch Sakharine, Alcazar, et autres, dont les défauts et faiblesses (alcool, colère facile, mercenariat, jeu et trahison sous la menace du chantage, "collectionnite aiguë", pouvoir et virilité combinée à la lâcheté devant un cerbère féminin, etc...) les rendent justement proches du lecteur. Le lecteur voudrait ressembler à Tintin, mais s'il a un minimum d'objectivité, il se rend compte qu'il correspond davantage aux autres personnages de cette comédie humaine.
Dernière observation : à partir de "Spirou et les héritiers" on voit apparaître dans certaines cases dessinées par Franquin des personnages silhouettés. Cette technique fascine tellement l'auteur qu'il la poussera à son paroxisme 25 ans plus tard dans ses "Idées Noires".
Mais c'est précisément dans "Les voleurs du Marsupilami" (sur la couverture même, puis la première vignette horizontale et enfin lors du rapt dans le zoo et de la poursuite nocturne) que s'étalent une première grande brochette de silhouettes sur une huitaine de pages et environ une quarantaine de vignettes. Franquin s'en donne véritablement à coeur joie avec cette technique qui nécessite une étude poussée de la gestuelle pour que la lisibilité et la compréhension du récit n'en soient pas affectées.
Je crois pouvoir affirmer qu'au moment où paraissent ces Voleurs du Marsupilami, aucun dessinateur de bande dessinée n'était capable de rivaliser avec Franquin dans le domaine du mouvement. Uderzo parviendra à se hisser parmi les plus talentueux du genre, mais seulement une douzaine d'années plus tard et sans que Franquin ne soit pour autant surclassé. Si je devais en citer un troisième en lice, ce ne pourrait être qu'Hergé, du temps où il dessinait encore tous les personnages.
http://www.bellier.org/secret%20de%20la%20licorne%201942/vue1.htmAu fait, vous le situeriez où, Magnana, sur une carte ?