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Antoine Gallimard : « Joann Sfar est l’un des auteurs de BD les plus littéraires »
11 juin 2008
Adapter « Le Petit Prince » en bande dessinée ! Quel défi ! Un univers déjà conçu à la base en dessins par Saint-Exupéry, devenu un phénomène d’édition au niveau mondial avec 600 éditions distinctes, en 230 langues et 80 millions d’exemplaires vendus. Qui pouvait s’attaquer à cela ? Antoine Gallimard avance la réponse : Joann Sfar.
"Le Petit Prince" dans Télérama à partir du 25 juin
D’un point de vue patrimonial, confier, ainsi que vous le faites, un personnage aussi considérable que « Le Petit Prince » à un autre dessinateur, est-ce que cela ne vous a pas fait peur ?
Pas du tout, au contraire. Il faut faire des paris pour que les personnages qui appartiennent à notre patrimoine puissent continuer forcément sous d’autres formes. Sinon, on ne les voit plus, on ne les regarde plus, on n’en parle plus.
Pourtant, avec « Le Petit Prince », vous avez mis pas mal de temps à accepter que l’on puisse en faire des produits dérivés. Qu’est-ce qui vous a décidé à passer ce cap ?
J’ai commencé à m’intéresser à la bande dessinée avec Etienne Robial en reprenant Futuropolis, il y a une quinzaine d’années. J’avais ensuite souhaité que l’on ouvre un petit secteur de bande dessinée dans notre production de livres pour la jeunesse. C’est la rencontre entre notre intérêt pour la BD au travers de Futuropolis, le fait que le travail de Joann Sfar est épatant, et le fait que l’on ait édité la collection Bayou. Le projet vient de l’addition des étapes précédentes. Joann Sfar est l’un des auteurs de BD les plus littéraires et celui qui a le plus de sensibilité pour la scénarisation. Il y a à la fois une histoire, du rythme, une musique… Non pas dans l’illustration même, mais vraiment dans la conception des séquences et des plans. Ce n’est pas un hasard s’il a des projets dans le cinéma. L’idée qu’il aurait eu à copier des scènes qui existaient déjà ne m’aurait pas intéressé. Il est arrivé à retrouver un rythme premier avec un regard d’enfant, avec beaucoup de poésie. C’est ce qui nous a plu en regardant ses planches. On connaissait Joann Sfar grâce à Bayou, ça nous a mis en confiance.
Il a fallu néanmoins convaincre les ayant-droits. Cela s’est passé comment ?
On s’est très bien entendu avec Olivier Dagay [1] et on s’est mis d’accord pour que la famille n’intervienne pas dans le processus créatif.
Ils connaissaient Joann Sfar ?
Cela ne leur disait pas grand chose. C’est un vrai pari. Il y a deux ans, nous avons publié un album de dessins de Saint-Exupéry qui était un travail d’archivage. Ici, il s’agit d’une re-création. La famille découvrira le livre quand il sortira. Si elle le déteste, ce qui est possible, ils diront : vous ne le réimprimerez pas.
Antoine Gallimard, Joann Sfar et Olivier Dagay
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
La BD est un passage de relais vers le futur ?
Je pense que la BD de qualité fait partie vraiment aujourd’hui des nouvelles étapes éditoriales. Quand on voit la force qu’il y a chez les illustrateurs de BD, on se dit qu’il est normal que l’on en publie dans notre maison.
"Le Petit Prince" dessiné par Joann Sfar
Est-ce qu’il n’y a pas derrière ce projet l’idée que les gens vont lire de moins en moins de littérature et de plus en plus de bandes dessinées ?
On espère toujours que les gens qui aiment la littérature aillent vers la BD et que les lecteurs de bande dessinée aillent vers la littérature. Vous avez le choix entre avoir un livre en mains ou faire du jeu vidéo. C’est la même démarche.
La BD ne tuera donc pas la littérature ?
Non, il n’y a aucun risque. Pour que le littérature meure, il faudrait qu’il n’y ait plus de créateur et plus de lecteur. Il y a des créateurs en littérature comme en BD. Tant qu’il y aura des créateurs, cela ira.
Propos recueillis par Didier Pasamonik
Retrouvez les premières pages du « Petit Prince » dans Télérama à partir du 25 juin 2008.
Illustrations : Joann Sfar d’après Antoine de Saint-Exupéry © Gallimard Jeunesse
[1] Petit-neveu de Saint-Exupéry et responsable de la succession de l’écrivain.