C'est un debat eternel qui a lieu dans beaucoup d'art tels que la litterature, le cinema, la musique, la peinture etc.
Cette question est l'objet meme du Piege Diabolique de Blake et Mortimer et de ce si joli film de Rene Clair que je vous invite a decouvrir si vous ne le connaissez pas, Les Belles de Nuit.
En ce qui me concerne, bien qu'etant 10 ans plus jeune que Morti, je me considere appartenant a cette meme generation de lecteurs de BD ayant grandi sous la tres sainte et tres bienveillante trinite constituee de Spirou/Tintin/Pilote et de tous leurs auteurs associes. En effet, je commence avec ces hebdomadaires qui furent les fondements sur lesquels le classique FB s'est erige si brillament de 1945 a 1980. Tous les baby boomers aimant la BD ont ete nourris par ces journaux. Nous savons tous ici que les albums issus de ces revues etaient moins nombreux que toutes les series qui y paraissaient. Egalement, quasiment tous les auteurs devenus stars ulterieurement ont commence par des courts recits d'apprentissages afin d'apprendre le metier, l'exemple le plus celebre etant Les Belles Histoires de l'Oncle Paul dans Spirou. Finalement et egalement cite ici plutot souvent, il ne faut pas oublier l'influence de la loi francaise de 1949 sur les publications destinees a la jeunessse, loi francaise certes mais qui influa sur le contenu des BDs qui paraissaient dans les 2 journaux belges, Spirou et Tintin, Pilote etant francais. Cette censure eut effectivement un effet indeniable sur le genre des BDs alors publiees, aventure, humour, policier, science-fiction, western etc... Le marche etait tres stable, les auteurs etant attaches a leurs editeurs et en changeant tres peu durant leur carriere (les exceptions sont rares: Macherot, Paape, Franquin, Berck, Morris, Jije), les revues publiaient des series aux qualites indiscutables, les chefs d'oeuvres sont legions durant cette periode et non seulement plusieurs par an mais emanant des memes auteurs qui les enchainaient sans meme sans rendre compte, et enfin les albums etaient la recompense supreme pour les auteurs qui etaient bien classes dans les referendums annuels organises par Spirou et Tintin. Goscinny, redacteur en chef de Pilote s'y etait toujours refuse car lui meme avait ete la malencontreuse victime de ces referendums avec sa serie Oumpah-Pah qui paraissait dans Tintin.
On avait donc ainsi de la qualite (incroyable, n'ayons pas peur des mots) mais pas vraiment de grande quantite, on peut raisonnablement estimer qu'il devait paraitre entre 300 a 400 albums par an entre les 4 grands editeurs: Lombard, Dargaud, Dupuis et Casterman. Ainsi entre les hebdomadaires et cette faible quantite d'albums paraissant annuellement qui reprenaient du materiel deja prepublie, il n'etait pas difficile de tout lire et a un cout nettement moindre si le jeune lecteur n'achetait que ces revues.
J'ai mis sciemment de cote le journal Vaillant (que je n'ai pas connu) et son sucesseur Pif Gadget (que j'ai bien connu par contre) car son editeur ne publiait pas d'albums.
Les annees 70 furent marquees par l'emergence de nouvelles revues nees des frustrations des auteurs prealablement publie ailleurs (principalement Pilote). Ainsi naquirent, L'Echo des Savanes, Fluide Glacial, Metal Hurlant, (A Suivre) et Circus). Le principe restait le meme; une revue, des auteurs et les albums reprenaient ce materiel deja prepublie, ce ne sont donc toujours pas des nouveautes mais le contenu etait radicalement different. La loi de 1949 se faisant moins sentir apres les evenements de Mai 68 en France, les auteurs etaient plus libres et pouvaient aborder plus de sujets que ce qu'ils avaient faits dans les revues qui avaient vu eclore leurs talents; par exemple Gotlib et ses Rhaa-Lovely, bien loin des Dingodossiers et de ses Rubrique-a-Brac meme si ils en sont en droite ligne.
Cette evolution se fait evidemment en parallele avec l'age des lecteurs qui suivirent donc leurs auteurs favoris apres le cap de l'enfance et de l'adolescence et continuaient a lire des BD apres leur entree dans l'age adulte. Ce fait n'est pas a negliger car cela permis a toute cette nouvelle categorie de BD de continuer a prosperer jusqu'a maintenant. Ils achetaient des BDs pour enfants lorsqu'ils etaient eux-meme enfants et continuaient a en acheter devenus adultes, la honte n'existait plus. Certains pourront en rire mais mon oncle qui a 25 ans de plus que moi achetaient ses BD dans les annees 50 et 60 en disant que c'etait pour ses enfants et je suis certain qu'il n'etait pas le seul dans ce cas.
Les annees 80 furent marquees par de profonds bouleversements dont les effets continuent a se faire sentir aujourd'hui: simultanement, le marche des albums explosa alors que les revues qui servaient de support disparurent les unes apres les autres. Ne subsiste de nos jours que Spirou. Il faut egalement remarque que les grands auteurs classiques commencaient a disparaitre les uns apres les autres et a une cadence rapide; le petit monde de la BD FB ressemblait de plus en plus a un roman d'Agatha Christie, pour reprendre un mot de Greg. A cela, s'ajouta la multiplication des nouveaux loisirs audio-visuels; magnetoscopes et cassette de films et les tous premiers jeux video.
Il etait devenu evident que les nouveaux lecteurs de BD nes apres 1968 (la fameuse Generation X) etaient devenus retifs aux magazines; le raisonnement ne manquait pas de sens, pourquoi acheter une revue toutes les semaines ou tous les mois pendant 6 mois pour lire les aventures de mon heros prefere lorsque je sais que 6 mois a 1 an plus tard, je pourrai lire toute cette histoire d'une traite en moins d'une heure sans attendre lorsque l'album sortira? Surtout qu'en plus, conscients de cette nouvelle donne, les editeurs raccourcirent la periode de temps passee entre la prepublication dans la revue et l'edition de l'album. Je me souviens ainsi que l'album Tintin et les Picaros est sorti le meme jour que le dernier numero de Tintin dans lequel cette aventure fut prepubliee.
Enfin, de nombreux petits baby-boomers ainsi abreuves aux FB deciderent de devenir auteur de BD, on ne peut leur en vouloir mais la concurrence etait devenu de plus en rude a cause de la rarefaction des hebdomadaires et mensuels qui on le sait maintenant etaient de veritables laboratoires de recherche, c'etait les departement Recherche et Developpement des maisons d'edition. Celles-ci les ont ferme car ils n'etaient rentables. Avec l'inflation de parution d'albums, on etait passse ainsi de la qualite a la quantite. Je ne pense pas etre contredit en affirmant que la moyenne generale des albums de BD a baisse du fait que cette qualite s'est trouvee diluee dans cet ocean d'albums paraissant annuellement; plus de 5000 par an et cela fait plus de 10 ans que cela dure.
Face a de tels chiffres, il est evident qu'il est devenu impossible a un amateur de BD de tout suivre et surtout de tout connaitre. Les albums sont devenus tellement chers ( ils l'ont toujours ete cependant) et il y a tellement d'offre que beaucoup deviennent mefiants et n'achetent plus aveuglement. En meme temps, il faut se poser la question de savoir si la multilplication des albums a ete suivis par une multiplication des acheteurs telle une fonction lineaire ou est-ce que le meme nombre d'acheteurs acquiert plus de BD qu'avant du fait que cette offre a augmente dramatiquement.
Pour conclure, je ne pense pas que c'etait mieux avant du fait de l'offre moindre; je suis tres content de voir autant de nouveux titres paraitre annuellement meme si j'en achete moins qu'avant, la BD est un medium que j'adore et j'aime savoir qu'il continue a prosperer. Mon probleme est que du fait de la disparition des revues, je ne peux plus decouvrir aussi aisement mes prochains auteurs favoris. Il y a bien Internet et un forum tel celui-ci m'est tres utile mais la quantite de nouveaux albums est devenue telle que je ne peux acheter tout ce qui me tente car une fois acquis, il m'est difficile de m'en debarrasser. Je precise qu'il m'est impossible de jeter un livre, quel qu'il soit. J'ai ete trop decu par certaines series a concept tels Destins.
Ma deuxieme conclusion est en rapport avec le fait que les nouveaux lecteurs d'aujourd'hui ne veulent/peuvent plus lire les classiques du FB a part certains tels qu'Asterix, meme en 2014, difficile d'y echapper apres le succes du dernier opus et pour ceux qui ont decouvert la serie avec Les Pictes et se disent que ce n'est pas terrible, comment les convaincre apres-cela que cela n'a strictement rien a voir avec ceux ecrits pas Goscinny?
Je les comprends tres bien meme si je ne partage pas cette opinion bien sur. En effet, ces jeunes consommateurs sont tellement sollicites qu'on leur demande en meme temps de lire les nouveautes, les classiques, sans compter tout ce qui fait la vie d'un adolescent d'aujourd'hui. On ne peut pas trop leur demander non plus. Par contre, ce qu'il faut faire, c'est les inciter a etre curieux et a leur dire que les nouvelles BD qu'ils lisent aujourd'hui ne viennent pas de nulle part. Esperons qu'ils iront vers la decouverte des glorieux classiques du FB.
Je vais vraiment finir cette (tres, trop?) longue intervention sur cette citation de Francois Truffaut: "
Cela s'applique tres bien a ce que nous vivons actuellement si on remplace ces 2 grands cineastes du muet par Herge et Franquin.il va falloir s'habituer a etre juge par des gens qui n'auront jamais vu un film de Murnau ou de Griffiths"