Réaction à chaud, je viens de finir ma lecture. Je n'irais pas jusqu'à parler comme Coltrane d'une de mes plus grosses déceptions de l'année, mais de fait je ne suis pas enthousiaste.
A mon avis, il y a deux très mauvaises idées dans cet album.
- La première, c'est d'en avoir fait un album de
Pin-up.
Oui, je sais, c'est un gros problème. Mais franchement je suis convaincu que ça aurait aussi bien voire mieux marché en en faisant un one-shot indépendant "par les auteurs de
Pin-up" et en changeant le nom du personnage principal. Parce que de toute façon, je n'y retrouve pas Dottie. Physiquement, d'abord (ou si on préfère : graphiquement). Après avoir terminé ce T.10 j'ai rouvert et feuilleté les précédents et non, je n'avais pas la berlue, le personnage n'a jamais ressemblé à ça. Plus problématique encore, psychologiquement, je ne la retrouve pas non plus. Dottie est un personnage qui a une évolution assez intéressante et, me semble-t-il, rare dans la BD franco-belge. - A ma connaissance en tout cas, je ne vois pas d'autre héros ou héroïne de série qui commence altruiste et généreux (bon, même un peu oie blanche) pour finir complètement cynique et quasi amoral, se foutant à peu près de tout à part sa pomme.
- Or, avec cette histoire de remontée dans le temps vers les années 40, je ne vois pas où placer le caractère de la Dottie de ce T.10 dans cette évolution. Un peu comme si les auteurs étaient revenus en arrière pour le cadre de l'histoire mais pas pour le personnage lui-même, qui "conserve" beaucoup de traits qu'il aura... une trentaine d'années plus tard (c'est finalement de la Dottie du cycle Las Vegas que celle-ci est la plus proche). De façon générale, on ne retrouve presque aucun élément de l'univers de la série.
- L'autre mauvaise idée, c'est Alfred Hitchcock. Difficile de ne pas penser au rôle que les auteurs faisaient jouer à un autre réalisateur, Howard Hawks, dans le 2e cycle de la série ; et le parallèle n'est pas flatteur. J'ai retrouvé une interview dont je me souvenais, donnée à la sortie du T.9, je la cite :
- Dans la série, vous faites vraiment un gros effort de réalisme : on rencontre des personnages réels, on revit des événements passés. Vous faites tout pour nous faire croire que Dottie a existé...
- Yann : Bien sûr. Quand on veut crédibiliser un personnage de fiction, le meilleur moyen pour le scénariste c'est de l'insérer dans une réalité. Plus on l'insère dans cette réalité plus le lecteur y croit.
- C'est tout de même rare. Habituellement, la bande dessinée se retient toujours d'être parfaitement réaliste. On aurait plutôt croisé un Franck Sinatro que le vrai Franck Sinatra.
- Berthet : Oui, surtout dans la BD "gros nez", comme on dit. C'est assez curieux d'ailleurs. Je me souviens qu'en tant que lecteur, quand je lisais un 'Spirou', et que les héros, dans 'Le Prisonnier du Bouddha', allaient dans la ville de Hoïnk-Oïnk, je trouvais ça grotesque. Pourquoi ne pas mettre Hong-Kong, puisqu'on reconnaît l'endroit ?
- Yann : Nous on a vraiment voulu ancrer ce personnage dans la véritable histoire.
Sauf que. Le Hitchcock de ce
Dossier Alfred H. n'a rien de crédible. Le fait d'avoir dû inventer un film pour les besoins de l'album,
Schizo (référence à
Psycho bien sûr), montre d'ailleurs bien les limites de l'exercice cette fois. La "scène manquante" autour de laquelle tourne l'intrigue est tout simplement inimaginable dans le cinéma d'Hitchcock (en tout cas avant
Frenzy : dans les années 70 donc, là encore), sans même parler des réactions prévisibles de la censure de l'époque (qui en était encore à chronométrer les baisers). L'idée d'un Hitchcock en difficulté après deux "fours" ne correspond elle non plus à rien, quant à son attitude envers les interprètes de ses films, même les versions les plus noires de sa légende ne sont pas aussi caricaturales que ce que l'album nous présente et ce sur quoi il fonde son intrigue. Bref, loin de présenter une réalité destinée à crédibiliser l'histoire, cette représentation du réalisateur (présent dans la moitié des planches, quand même !) provoque la sortie de route.
En soi, l'album n'est pas mauvais (pas génial non plus, certes, mais pas mauvais). Mais je crois que j'aurais plus accroché si les deux personnages principaux ne s'étaient pas appelés Dottie et Alfred Hitchcock, alors qu'ils n'ont, à mon sens, pas grand chose à voir, l'une, avec le personnage de la série tel qu'il apparaît dans les 9 tomes précédemment parus, l'autre, avec la réalité. Si l'album, avec la même intrigue, avait été un one-shot dont l'héroïne aurait porté un nom différent (pas besoin d'en changer plus, en l'espèce
) et se serait retrouvée face à un réalisateur pleinement imaginaire (même si on aurait pu deviner un hommage, ou une caricature...), il me semble que la déception aurait été moindre et que sans qu'il y ait matière à y voir l'album de l'année il n'y aurait pas eu à se plaindre du résultat, pour peu qu'on soit amateur du genre. Mais les deux mauvaises idées de l'album inscrites toutes les deux en haut de la couverture, ça fait beaucoup.