Extrait d'une interview de Bézian sur le rapport cinéma/bande dessinée, pour continuer dans le hors sujet :
De toute façon, ce que j’ingurgite en tant que lecteur, spectateur, auditeur, ne me sert pas directement de source d’inspiration, ou très rarement. Parfois, dans un film, une façon de s’exprimer avec la caméra, le montage, le son (ou pas), me donne envie de faire « la même chose » avec mon médium personnel, et je me pénètre profondément de l’effet produit pour tenter de parvenir à un résultat aussi affirmé avec les moyens dont je dispose en bande dessinée. Il est hors de question pour moi de faire du cinéma dessiné ou de la littérature avec des dessins. Je fais de la bande dessinée, ce qui implique une connaissance et une maîtrise de l’objet (la page, ou éventuellement deux pages en vis-à-vis), de ce qui se passe dans les cases et entre les cases, tout en n’oubliant pas le premier regard qui embrasse le tout. Les combinaisons entre tous ces éléments occasionnent une lecture qui n’a rien à voir avec celle du livre, ou un regard qui n’a rien à voir avec celui du cinéma. Ne font un travail « poétique » que ceux qui travaillent leur art, quel qu’il soit, de façon à ce que le résultat soit infaisable autrement, sans essayer de faire du cinéma sur papier ou de la littérature dessinée. Il est impossible d’adapter Jimmy Corrigan au cinéma parce que Chris Ware utilise son médium pour ce qu’il est et dans toutes ses possibilités. Pareil pour le Philémon de Fred ou le Journal de Fabrice Neaud (des exemples parmi d’autres). Jacobs, dans sa meilleure période, utilise, dans ses mises en page, des « champs/contre-champs », des symétries, des répétitions et des axes en diagonales, autour d’un noyau central qui sert de « choc » ; c’est une utilisation de la page avec les moyens spécifiques à la bande dessinée, pas autre chose. S’est-on demandé pourquoi ses albums sont si difficiles à adapter dans un autre médium sans les édulcorer, sans perdre la majeure partie de leur identité et de leur langage, sans les dénaturer ?