Pardeilhan a écrit:La plupart des couvertures de l'âge d'or de Lucky Luke, étaient formidablement étudiées tant sur les plans psychologique que graphique : violence, agressivité et humour décalé y étaient habilement mélangés...
En effet, Morris a utilisé son talent de "cartoonist" (éprouvé très tôt avec ses dessins de couverture pour l'hebdomadaire "Le Moustique") dès le cinquième opus.
Les premiers plats des albums 1 à 4 (le troisième mettant davantage en scène un exploit du cow-boy et de sa monture qu'un gag) sont particulièrement en décalage avec l'ensemble des couvertures qui suivront car les compositions de Morris ne visent pas spécialement à amuser le lecteur, même si l'humour commence à poindre à partir du tome 4 (désinvolture extrême du héros).
Sans l'as de pique (symbole de la poisse) s'échappant du chapeau de Pat Poker, la vive surprise du méchant ne constituerait qu'une scène montrant la supériorité de Lucky Luke dans l'action. Le décor étant celui d'un western crépusculaire (la façade dans l'ombre avec fenêtre éclairée est typique du film noir).
Le fameux tricheur, occupant le premier plan, est habilement ridiculisé par deux détails graphiques fort jubilatoires : ce fameux as de pique (si cher à Lemmy [*], fondateur du groupe Motorhead, qui l'avait reproduit sur la table de sa Rickenbacker bass avant de le choisir comme titre d'un 33 tours et d'un morceau) qui dégringole et le fer à cheval (des superstitieux) fixé sur la "cravetouse" du joueur professionnel ! Le lecteur attentif de 1953, même s'il ne connaît pas encore la série, ne pouvait s'y tromper : il est en présence d'une parodie du genre, qui lui offrira simultanément de l'action et de l'humour.
[*]
Morris a ici recours aux fondamentaux du gag purement graphique (les couvertures du Moustique étaient quant à elles accompagnées d'un texte bref sans lequel le gag pouvait demeurer hermétique ou tomber à plat).
Morris va s'imposer désormais en maître incontesté du dessin d'humour.
Dès le sixième album, mettant pourtant en scène les Dalton "historiques", Morris récidive et le ton est donné pour plusieurs décennies. Le dessin de couverture sera quasi-systématiquement (
exception pour que la règle soit valide : "Calamity Jane") un gag (ici, la situation comique est en défaveur du héros, ce qu'on reverra assez rarement avec "En remontant le Mississipi" ou "La ville fantôme", par exemple) ; de surcroît, on ne trouvera jamais ce gag tel quel dans l'album, et pourtant il en sera à jamais indissociable dans l'esprit du lecteur (les couvertures de Lucky Luke n'ont jamais été redessinées, simplement traficotées au niveau des maquettes successives).
Pardeilhan a écrit:Ci-après, un superbe exemple de l'
immense talent d'illustrateur de
Morris qui, en une seule image - graphiquement superbe -, résume les temps forts de l'histoire, sous-entend la violence et le sadisme complice et potache et rigolard des apaches (et du vautour)...
Il y aurait une analyse passionnante à faire de ces premiers plats iconiques...
Assurément. On en trouve déjà, dispersées dans des ouvrages ou sur le web.
Lorsque la série passe chez Dargaud, Morris et Goscinny sont en pleine maîtrise de leurs moyens, la série atteint des sommets. Les premiers plats des albums en sont le reflet, comme Pardeilhan nous le rappelle avec cette couverture de "Canyon apache". Le contenu et le contenant sont alors en parfaite adéquation, il n'y a pas tromperie sur la marchandise, le lecteur en aura vraiment pour ses sous.
Epoque révolue depuis longtemps concernant cette série.