de luc Brunschwig » 09/12/2016 09:08
Puisque la Mémoire dans les Poches est finie d'écrire... je vais en profiter pour vous raconter son histoire. Les histoires de nos albums devraient être simples, un long fleuve tranquille, mais cette fois encore, ça n'aura pas été le cas...
La Mémoire est née en 1994 (et oui), de la demande de Gilles Frély, un ami dessinateur qui veut (enfin) se lancer dans la BD. Il m'a demandé un récit drôle, une comédie (oui, je sais, au vue de ma bibliographie, on peut se demander ce qui lui est passé par l'esprit, mais si on me connait un peu, on sait que je suis aussi drôle dans la vie que je peux être sombre dans mes scénarios). Donc voila. Gilles me connaît, très bien et il me tend cette perche-là. Je lui dis que je vais essayer. Je me réunis avec moi-même... me demande bien ce qui sincèrement me fait rire et je trouve assez vite une chose, une seule, qui m'amuse au plus haut point : mes parents et la relation que j'entretiens avec eux.
Ce ne sera donc pas une pure comédie, mais j'ai envie de raconter l'histoire d'un garçon coincé à la maison entre ses deux parents juifs, une mère aimante et écrasante et un père discret, qui n'en pense pas moins et remplit ses poches de petits bouts de papiers sur lesquels il note tout ce qui traverse sa vie (c'était ce que faisait mon père).
La construction de l'intrigue est malheureusement (mais comme toujours) un peu longue. Avec Gilles, on se perd de vue... mais, ça continue de se construire tout doucement dans ma tête.
Le point central du récit sera une histoire d'amour du fils avec une fille maghrébine enceinte et la difficulté pour la mère à accepter le fait que son fils va devenir le père d'un enfant qu'il n'a pas conçu (c'est une des choses qui rendaient ma mère complètement folle, l'idée que j'élève des enfants qui ne seraient pas de moi, aussi géniaux soient-ils). Le gamin naît et son géniteur veut le récupérer et finit par l'enlever. C'est là que le père intervient avec l'ancien réseau de résistants qui lui a permis de traverser la guerre sous une fausse identité le protégeant des nazis.
Tout est déjà plus ou moins là donc mais s'inscrit dans une tonalité légère, entre comédie Lautner-Audiard des années 50 et tentative de faire du Will Eisner à la française.
Et puis, en 1999, mon papa décède.
L'histoire de la Mémoire qui lui rend une forme d'hommage me semble de plus en plus urgente à raconter. C'est l'occasion de passer encore un peu de temps avec lui, de finalement tenter par le biais de la fiction de répondre aux interrogations laissées en suspens par la vie (et dieu sait qu'elles étaient nombreuses car mon père était bien un taiseux)... c'était, comme je l'ai dit à l'époque, une façon de continuer (ou plutôt de commencer) à dialoguer avec mon père par dessus le fleuve de la mort.
Mais il n'y a plus du tout l'envie d'être léger. Je suis écrasé par le poids de son absence. Ce sera donc un récit réaliste, sinon sombre, du moins ancré dans une réalité qui n'a pas grand chose de souriante. Seuls les personnages semblent vouloir apporter un peu de positif au milieu de tout ça, mais ce positivisme va s'effondrer lui aussi au fur et à mesure où la famille va se décomposer autour de cette histoire de jeune maghrébine enceinte.
Curieusement, je voulais un récit entièrement centré sur les personnages, sans forcément chercher à défendre un point de vue sociétal comme je le fais d'habitude. Ce point de vue s'est pourtant installé naturellement dans l'histoire (l'histoire des migrants, des sans papiers), presque sans que j'y prête attention.
Il est là et il est devenu dans notre pays un débat central de notre société alors que ce n'était pas du tout le cas quand l'histoire a germé. Et finalement, le fait de ne pas vouloir traiter le sujet de façon frontal, rend sa présence encore plus pertinente.
(à suivre...)