superscream a écrit:ah enfin des personnes vont pouvoir donner leurs avis
On m'appelle? (déjà?)
Tout d'abord, je dois dire que je considère
La Ligue des Gentlemen Extraordinaires comme une série appartenant à la moyenne haute des productions d'Alan Moore... bon, plutôt du côté de la lisière haute de la moyenne haute... laquelle est déjà à un niveau franchement pas mal au regard de la "norme" de ce qu'on trouve sur le marché, vu le caractère immensissîme du monsieur, d'accord ! Reste que pour moi on n'a pas là non plus un chef-d'œuvre absolu du type, (presque) au hasard,
From Hell. Le dessin de Kevin O'Neill est, à mon goût, sympa sans être renversant, et le scénario n'a tout à fait ni la même force, ni la même profondeur, que les meilleurs titres de Moore. Il me semble d'ailleurs que
La Ligue... a été conçu par lui comme une détente après
From Hell, dont on imagine bien que la gestation a dû être franchement éprouvante : une manière de réinjecter ses énormes recherches sur l'univers victorien et son imaginaire dans un cadre plus léger. Et de ce point de vue, c'est une réussite.
La Ligue réunit donc originellement Wilhelmina Murray (la "fiancée" de Dracula), un Alan Quatermain vieillissant, le Dr. Jekyll / Mr. Hyde, le Capitaine Nemo et Griffin, alias l'Homme invisible, mais loin de se réduire à ce "casting", on trouve à chaque planche tout un jeu d'allusions, essentiellement à la littérature "populaire" de cette époque (mais pas que), très ludiques, Moore étant capable de tout ... et de n'importe quoi
(du genre "croiser" les créatures du Dr. Moreau de Wells avec ... les personnages d'une émission de télé pour enfants!). Caractère ludique qui n'exclut pourtant ni la noirceur souvent présente chez Moore, ni le suspense, ni,
in fine, l'émotion.
Or donc, à la fin du second volume (je n'ai pas lu le
Black Dossier sorti entre-temps, je ne pense pas qu'il soit dispo en France pour l'instant?...)
mais il faudrait peut-être que quelqu'un s'y mette, parce qu'apparemment ça a l'air important pour bien comprendre
Century on avait laissé Mina Murray et Alan Quatermain se séparant dans un endroit destiné à bientôt s'appeler Hyde Park, en mémoire de Mr. Hyde (!
), dans une ambiance plutôt mélancolique et automnale. Cela aurait pu finir comme ça, mais une suite était annoncée, et on l'attendait donc, Moore ayant déclaré son intention de boucler les séries en cours avant de prendre sa retraite de scénariste de BD.
Or que retrouve-t-on à l'orée de ce
LXG : Century, dont on peut se demander s'il faut le considérer vraiment comme une suite ou comme une série à part ? Eh bien, pas grand chose (et ça ne va pas aller en s'arrangeant, il semblerait). Vingt ans ont passé, un nouveau roi s'apprête à monter sur le trône de la perfide Albion, Quatermain semble avoir disparu du tableau, Nemo agonise sur son Île mystérieuse. La fille de ce dernier, Janni / "Jenny", se rend en Angleterre et c'est en grande partie sur elle que l'album est centré. Autour de Mina Murray, égale à elle-même (peut-être les traits légèrement adoucis ?...), on trouve désormais un Allan Quatermain Jr. dont on ne comprend pas bien ce qu'il fait là,
...mais le texte inséré dans la partie finale apportera quelques révélations à ce sujet...
Carnacki, un medium et chasseur de fantômes, A.J. Raffles, un gentleman cambrioleur, et Orlando, qui se présente comme un être immortel au sexe changeant
et emprunte ses caractéristiques à l'
Orlando de Virginia Woolf, à celui des poèmes italiens de la Renaissance (l'Arioste, etc. -> Roland donc en v.f.), et à ... O. de l'
Histoire d'O de Pauline Réage.
Est-ce (seulement) le fait que Moore renvoie là à des personnages moins connus du public français que dans le cadre des volumes précédents ?... Bien sûr il arrive toujours à jouer avec une diversité assez réjouissante de références, littéraires (de
La Tempête de Shakespeare à ...
Harry Potter en passant par
L'Amant de lady Chatterley de D.H. Lawrence...), cinématographiques (on croise la Lulu de Louise Brooks et une savoureuse référence au film
The Ruling Class avec Peter O'Toole), ou autres, et certaines répliques sont toujours assez jubilatoires.
- Lando, c'est le truc le plus idiot que vous avez jamais dit.- Oh, je ne sais pas. Il y a eu aussi : "Oh regardez ! quel superbe cheval !" C'était à Troie. Il n'empêche qu'une bonne part du caractère ludique de
La Ligue... semble ici passée à la trappe (à commencer par les savoureux encarts au ton moralistico-viriloïde à l'adresse du "jeune lecteur" qui concluaient auparavant les chapitres
). Une case - assez belle d'ailleurs - qui montre deux des personnages face à une fresque représentant les membres de la première Ligue donne à ce volume un côté "Next Gen" franchement désenchanté, que ne fera que confirmer, plus tard, la réunion houleuse au cours de laquelle Mina note le caractère "lamentable" de sa nouvelle équipe. Symptomatiquement, il me semble que c'est directement à la suite de la présentation de la mort de Nemo que l'intrigue, après un début... intriguant, commence à paraître assez brouillonne et laborieuse. Trois fils narratifs s'entremêlent sans que l'on comprenne bien où tout cela nous mène : le destin sordide de Janni dans les bas-fonds de Londres, une enquête de la Ligue à propos des agissements supposés d'un sataniste nommé Oliver Haddo (originellement une caricature d'Aleister Crowley inventée par Somerset Maugham), et le parcours du tueur MacHeath alias "Mack the Knife", tiré de
L'Opéra de Quat'sous de Brecht et Kurt Weill.
C'est d'ailleurs un autre endroit où le bât blesse car si après un premier opus partant un peu dans tous les sens dans un joyeux délire, le second volume de
LXG réécrivait à sa façon
La Guerre des mondes d'H.G. Wells - en incorporant son histoire à une reprise étonnamment fidèle, dans le détail, au roman d'origine -, c'est ici cette œuvre de Brecht et Weill qui est convoquée comme référence principale par le biais de chansons tirées ou fortement inspirées de cet opéra, qui "commentent" l'action dans pas moins du tiers (!) des planches de ce tome. Et franchement... à mon avis, on aurait pu s'en passer (et Brecht a moins bien vieilli que Wells...).
Qu'attendre des deux prochaines parties de
Century ? L'abandon total de l'univers victorien qui était au départ sa marque, puisqu'on nous annonce que l'action prendra désormais place dans le
Swinging London des années 60 puis en notre début de XXIe siècle... Un caractère "désenchanté" encore plus marqué, d'après ce que laissent présager les dernières pages (plein texte) du volume... Et surtout, il faut l'espérer, une remise en perspective des éléments contenu dans ce tome "1910" : Carnacki a-t-il, comme on peut le soupçonner à la lecture, initié un mouvement vers la catastrophe qu'il cherchait à empêcher ? L'histoire de "Jenny Nemo" aura-t-elle elle aussi des répercutions dans l'avenir ? Les apparentes faiblesses de cet album par rapport aux volumes précédents prendront-elles alors sens ? Peut-être nous écrierons-nous, même, alors, que
Century dans son ensemble forme la meilleure part de la série, qui sait ?... Pour le moment, faisons confiance à Alan Moore... de toute façon, on n'a guère le choix...