Croaa a écrit: Mais Brassens, Brel (A part Les Marquises qui est beaucoup plus posé, normal vu son été de santé et son état psychologique qui devait aller avec), Nougaro, ils ont évolués ? Pas plus..
Brel avait connu un premier saut qualitatif entre le troisième et le quatrième album, avant sa longue période de maturité, et puis le miracle du dernier album, chef d'oeuvre inégalé.
Même Brassens a évolué vers plus de gravité dans les thèmes, et plus de diversité dans les mélodies, dans ses derniers albums.
Prenez un cercle, caressez-le, il deviendra vicieux
En toutes choses, subordonner le désir de juger au devoir de comprendre.
Olaf Le Bou a écrit: Brel avait connu un premier saut qualitatif entre le troisième et le quatrième album, avant sa longue période de maturité, et puis le miracle du dernier album, chef d'oeuvre inégalé.
Même Brassens a évolué vers plus de gravité dans les thèmes, et plus de diversité dans les mélodies, dans ses derniers albums.
Pas plus que les Têtes Raides entre "Not Dead but bien Raides" et "Lan demain". On fait souvent un procès au récent sans oser analyser pleinement l'intouchable ancien, mais Brassens ou Brel ne sont pas les artistes qui ont le plus évolués, loin de là. Ce qui n'enlève rien à leurs qualités.
S'interroger sur les bases musicales de la chanson française revient à poser le problème de la musique en France d'une manière plus générale et non seulement en rapport avec la chanson. Il faut effectivement le faire, sous peine de rater 50% du débat.
L'âme de la musique française vient d'abord de ses régions. Le centralisme francilien s'est construit artificiellement et progressivement au fil des siècles. Or, ironie de l'Histoire, la région qui a hélas réussi à s'imposer à toutes les autres pour notre plus grand malheur, la région parisienne donc, est aussi celle qui possède l'identité culturelle la plus faible, par voie de conséquence la musique la plus fade et la moins savoureuse.
Demandez vous s'il existe seulement une musique régionale typique de Paris, puis comparez-là aux folklores breton et corse. C'est assez parlant. Au bout du compte, pour le soi disant rayonnement de la France dans le monde autour du Roi Soleil, notre peuple se retrouve avec la musique classique d'un Lully empoudré qui, même avec une critique nuancée, fait pâle figure à côté d'un Bach ou même d'un Vivaldi ou d'un Sammartini.
Mais comme on parle d'une tendance dominante et non d'une réalité absolue, il y a quand même, à la base de notre tradition classique, de jolies choses. Déjà dit plus haut, les classiques restent indémodables et permettent l'actualité non seulement d'un patrimoine préservé mais aussi d'un renouvellement des interprètes. Exemple, "Forêts paisibles" de Rameau, en chanson à partir de 2:15:
La négation de l'identité musicale française ne date pas d'hier. Le très académique mais non moins talentueux Gustav Mahler allait même jusqu'à affirmer, avec le plus grand mépris, qu'il n'existait pas de compositeurs français. Le vingtième siècle, plus que les précédents, allait lui opposer un démenti qu'il n'aurait pas accepté sur toute la ligne, car provenant de brillantes initiatives individuelles qui, elles, adhéraient à l'idée de progrès musical, et dont Debussy reste l'un des meilleurs exemples. Ceux qui ne trouvent aucun charme à la désuétude n'aimeront pas "La flûte de Pan", dommage:
Mais que l'on aime ou pas, il faut se souvenir que nos compositeurs classiques ont contribué à la chanson française. Donc Boulez a eu tort d'affirmer catégoriquement qu'"il ne faut pas mélanger les serviettes de la musique classique avec les torchons du jazz et de la chanson". S'il avait lui-même appliqué ce principe à la lettre, il n'aurait pas travaillé avec Zappa et on aurait loupé quelque chose.
Cette catégorisation élitiste, d'ailleurs partagée par l'anthropologue Claude Lévi-Strauss, qui ne goûtait pas trop les mélanges de genres, a quand même affecté la chanson en l'éloignant de sa source d'inspiration savante, qui aurait pu lui donner une couleur locale. Parce que la France n'avait guère le choix: c'était soit les régions, soit la musique classique.
La chanson populaire de par chez nous a toujours existé indépendamment de la musique de conservatoire, mais en terme d'harmonie il existe une référence commune. Résultat, on n'a pas vraiment de grand chanteur qui soit en même temps un grand chercheur, un grand expérimentateur musical. Il faut remonter à la jeunesse de Brigitte Fontaine pour apprécier une curieuse et superbe alchimie entre jazz déconstruit et chanson française:
Les Américains nous ont libérés, et tant bien que mal nous avons fait nôtre leur jazz, leur soul et leur rock. A terme, un chanteur français se condamne donc à plaquer du texte de sa langue sur des sons américains, ou à se contenter de paroles plus ou moins inspirées sur des musiques sans identité forte.
C'est finalement l'école de Jean-Jacques Goldman, qui ne s'est jamais caché des clichés musicaux qui l'ont nourri ni de son admiration pour des musiciens à la fois bons et très classiques dans leur approche des sons populaires, tel Mark Knopfler. Entre parenthèses, il n'y a pas lieu d'opposer U2 et Dire Straits aux Pixies et aux Smiths, à cause de finalités trop différentes pour ne pas rendre absurde une telle comparaison.
Goldman, le meilleur du copié-collé américain en France, merci à Carole Federicks, ne pouvait s'exporter qu'à travers une variété internationale très classique elle aussi: Céline Dion ou Ray Charles à la fin de sa carrière. Globalement, c'est une variété inexportable. Sauf exceptions, il apparaît impossible que le résultat d'une importation puisse s'exporter en retour. Importez en France un produit américain, traduisez le mode d'emploi en Français et essayez de l'exporter aux Etats-Unis. Les Américains n'en voudront pas.
Heureusement, il s'agit là aussi d'une tendance. Hors de la chanson, les Français ont contribué à entretenir la créativité des musiques inspirées du jazz. Les inclassables Magma, qui ont créé leur propre langue Zeuhl, car d'une syntaxe propre au caractère inclassable du groupe avant de devenir un genre musical dont d'autres formations se sont réclamées, a quand même intégré ici et là quelque paroles en français, et magnifiquement, y compris sur leur album de 2012.
Dans le rock, nous avons eu notre lot de vrais créatifs, qui ont valorisé le texte en français par leur musique d'ailleurs partiellement teintée de jazz. Les Américains de Morphine n'ont pas à avoir honte d'une comparaison avec nos Kat Onoma, car les seconds ne sont pas une imitation des premiers. Les deux se tiennent.
Ne déduisons pas, avec hâte, de leur relative impopularité une injustice propre au système français. Les Australiens de The Apartments ont eu, eux aussi, plus de succès d'estime qu'autre chose, alors qu'ils représentent, avec d'autres, le summum de la musique pop. Pour en revenir à Kat Onoma, on peut faire de la bonne chanson rien qu'en parlant, un peu comme Gainsbourg:
Toujours dans la créativité, les Diabologum n'imitaient pas les mouvances indie et shoegaze outre-Manche ou outre-Atlantique. Ils apportaient leur pierre à l'édifice, au même titre que les Jesus & Mary Chain, My Bloody Valentine, Echobelly et autres Bang Bang Machine:
Voici venu le temps du rap. Bizarre de ne définir la musique que par la mélodie. En adoptant cette définition réductrice, un amateur de jazz passe à côté d'Art Blakey et doit s'ennuyer ferme pendant les solos de batterie. Dommage pour lui, mais c'est son choix, c'est sa liberté, comme disait Jean-Sol Partre à Saint-Germain-des-Prés. La musique combine des sons et des silences. Et, en musique, parfois on chante, parfois on parle, parfois on rappe.
Qu'est-ce qui est remarquable chez Joey Starr? Avant que le rap ne s'impose comme musique de référence dans les cités, les jeunes des HLM français écoutaient du hard-rock. Joey Starr a grandi en écoutant Trust et AC/DC. L'influence majeure de Joey Starr, outre Louis Armstrong et Big Daddy Kane, c'est Bon Scott, et ce avant même que Ja Rule et sa voix grave et rocailleuse ne se fassent connaître aux Etats-Unis. Joey Starr sait donc chanter:
Le r&b contemporain des années 1990-2000, ou hip-hop soul, est arrivé, outre l'exquise sensualité féminine de ses chanteuses, à réaliser un total paradoxe musical, qui continue encore de me fasciner aujourd'hui: donner au rythme du rap une dimension mélodique. Rarement dans l'histoire de la musique un genre vocal n'avait réussi un équilibre aussi parfait, aussi tendu, entre le rythme et la mélodie. Ce que je trouve enthousiasmant dans un titre comme "Special" sur le premier album de The Game, je le retrouve par exemple chez Wallen dans nos contrées. J'aime vraiment Wallen. Cette fille était droite.
J'aime Saya aussi:
A la manière du rap, le raï et le zouk ont permis à la francophonie musicale de se renouveler, de trouver un sang neuf. Toute identité ethnique insufle force et joie de vivre à la chanson. Le terroir hexagonal n'est pas en reste. Je laisse le dernier mot à la Bretonne Gwennyn, preuve jeune et actuelle que, avec la musique d'une région, la chanson française se porte au meilleur de sa forme:
D H T a écrit:la région parisienne donc, est aussi celle qui possède l'identité culturelle la plus faible, par voie de conséquence la musique la plus fade et la moins savoureuse.
« Java c'est pas de la menthe à l'eau, Java c'est du rock'n roll, Java c'est le vrai son parigot, La devise : sexe, accordéon et alcool. »
Personne ne t'y oblige. Personne ne t'en empêche non plus.
D H T a écrit:S'interroger sur les bases musicales de la chanson française revient à poser le problème de la musique en France d'une manière plus générale et non seulement en rapport avec la chanson. Il faut effectivement le faire, sous peine de rater 50% du débat.
L'âme de la musique française vient d'abord de ses régions. Le centralisme francilien s'est construit artificiellement et progressivement au fil des siècles. Or, ironie de l'Histoire, la région qui a hélas réussi à s'imposer à toutes les autres pour notre plus grand malheur, la région parisienne donc, est aussi celle qui possède l'identité culturelle la plus faible, par voie de conséquence la musique la plus fade et la moins savoureuse.
Demandez vous s'il existe seulement une musique régionale typique de Paris, puis comparez-là aux folklores breton et corse. C'est assez parlant. Au bout du compte, pour le soi disant rayonnement de la France dans le monde autour du Roi Soleil, notre peuple se retrouve avec la musique classique d'un Lully empoudré qui, même avec une critique nuancée, fait pâle figure à côté d'un Bach ou même d'un Vivaldi ou d'un Sammartini.
Mais comme on parle d'une tendance dominante et non d'une réalité absolue, il y a quand même, à la base de notre tradition classique, de jolies choses. Déjà dit plus haut, les classiques restent indémodables et permettent l'actualité non seulement d'un patrimoine préservé mais aussi d'un renouvellement des interprètes. Exemple, "Forêts paisibles" de Rameau, en chanson à partir de 2:15:
La négation de l'identité musicale française ne date pas d'hier. Le très académique mais non moins talentueux Gustav Mahler allait même jusqu'à affirmer, avec le plus grand mépris, qu'il n'existait pas de compositeurs français. Le vingtième siècle, plus que les précédents, allait lui opposer un démenti qu'il n'aurait pas accepté sur toute la ligne, car provenant de brillantes initiatives individuelles qui, elles, adhéraient à l'idée de progrès musical, et dont Debussy reste l'un des meilleurs exemples. Ceux qui ne trouvent aucun charme à la désuétude n'aimeront pas "La flûte de Pan", dommage:
Mais que l'on aime ou pas, il faut se souvenir que nos compositeurs classiques ont contribué à la chanson française. Donc Boulez a eu tort d'affirmer catégoriquement qu'"il ne faut pas mélanger les serviettes de la musique classique avec les torchons du jazz et de la chanson". S'il avait lui-même appliqué ce principe à la lettre, il n'aurait pas travaillé avec Zappa et on aurait loupé quelque chose.
Cette catégorisation élitiste, d'ailleurs partagée par l'anthropologue Claude Lévi-Strauss, qui ne goûtait pas trop les mélanges de genres, a quand même affecté la chanson en l'éloignant de sa source d'inspiration savante, qui aurait pu lui donner une couleur locale. Parce que la France n'avait guère le choix: c'était soit les régions, soit la musique classique.
La chanson populaire de par chez nous a toujours existé indépendamment de la musique de conservatoire, mais en terme d'harmonie il existe une référence commune. Résultat, on n'a pas vraiment de grand chanteur qui soit en même temps un grand chercheur, un grand expérimentateur musical. Il faut remonter à la jeunesse de Brigitte Fontaine pour apprécier une curieuse et superbe alchimie entre jazz déconstruit et chanson française:
Les Américains nous ont libérés, et tant bien que mal nous avons fait nôtre leur jazz, leur soul et leur rock. A terme, un chanteur français se condamne donc à plaquer du texte de sa langue sur des sons américains, ou à se contenter de paroles plus ou moins inspirées sur des musiques sans identité forte.
C'est finalement l'école de Jean-Jacques Goldman, qui ne s'est jamais caché des clichés musicaux qui l'ont nourri ni de son admiration pour des musiciens à la fois bons et très classiques dans leur approche des sons populaires, tel Mark Knopfler. Entre parenthèses, il n'y a pas lieu d'opposer U2 et Dire Straits aux Pixies et aux Smiths, à cause de finalités trop différentes pour ne pas rendre absurde une telle comparaison.
Goldman, le meilleur du copié-collé américain en France, merci à Carole Federicks, ne pouvait s'exporter qu'à travers une variété internationale très classique elle aussi: Céline Dion ou Ray Charles à la fin de sa carrière. Globalement, c'est une variété inexportable. Sauf exceptions, il apparaît impossible que le résultat d'une importation puisse s'exporter en retour. Importez en France un produit américain, traduisez le mode d'emploi en Français et essayez de l'exporter aux Etats-Unis. Les Américains n'en voudront pas.
Heureusement, il s'agit là aussi d'une tendance. Hors de la chanson, les Français ont contribué à entretenir la créativité des musiques inspirées du jazz. Les inclassables Magma, qui ont créé leur propre langue Zeuhl, car d'une syntaxe propre au caractère inclassable du groupe avant de devenir un genre musical dont d'autres formations se sont réclamées, a quand même intégré ici et là quelque paroles en français, et magnifiquement, y compris sur leur album de 2012.
Dans le rock, nous avons eu notre lot de vrais créatifs, qui ont valorisé le texte en français par leur musique d'ailleurs partiellement teintée de jazz. Les Américains de Morphine n'ont pas à avoir honte d'une comparaison avec nos Kat Onoma, car les seconds ne sont pas une imitation des premiers. Les deux se tiennent.
Ne déduisons pas, avec hâte, de leur relative impopularité une injustice propre au système français. Les Australiens de The Apartments ont eu, eux aussi, plus de succès d'estime qu'autre chose, alors qu'ils représentent, avec d'autres, le summum de la musique pop. Pour en revenir à Kat Onoma, on peut faire de la bonne chanson rien qu'en parlant, un peu comme Gainsbourg:
Toujours dans la créativité, les Diabologum n'imitaient pas les mouvances indie et shoegaze outre-Manche ou outre-Atlantique. Ils apportaient leur pierre à l'édifice, au même titre que les Jesus & Mary Chain, My Bloody Valentine, Echobelly et autres Bang Bang Machine:
Voici venu le temps du rap. Bizarre de ne définir la musique que par la mélodie. En adoptant cette définition réductrice, un amateur de jazz passe à côté d'Art Blakey et doit s'ennuyer ferme pendant les solos de batterie. Dommage pour lui, mais c'est son choix, c'est sa liberté, comme disait Jean-Sol Partre à Saint-Germain-des-Prés. La musique combine des sons et des silences. Et, en musique, parfois on chante, parfois on parle, parfois on rappe.
Qu'est-ce qui est remarquable chez Joey Starr? Avant que le rap ne s'impose comme musique de référence dans les cités, les jeunes des HLM français écoutaient du hard-rock. Joey Starr a grandi en écoutant Trust et AC/DC. L'influence majeure de Joey Starr, outre Louis Armstrong et Big Daddy Kane, c'est Bon Scott, et ce avant même que Ja Rule et sa voix grave et rocailleuse ne se fassent connaître aux Etats-Unis. Joey Starr sait donc chanter:
Le r&b contemporain des années 1990-2000, ou hip-hop soul, est arrivé, outre l'exquise sensualité féminine de ses chanteuses, à réaliser un total paradoxe musical, qui continue encore de me fasciner aujourd'hui: donner au rythme du rap une dimension mélodique. Rarement dans l'histoire de la musique un genre vocal n'avait réussi un équilibre aussi parfait, aussi tendu, entre le rythme et la mélodie. Ce que je trouve enthousiasmant dans un titre comme "Special" sur le premier album de The Game, je le retrouve par exemple chez Wallen dans nos contrées. J'aime vraiment Wallen. Cette fille était droite.
J'aime Saya aussi:
A la manière du rap, le raï et le zouk ont permis à la francophonie musicale de se renouveler, de trouver un sang neuf. Toute identité ethnique insufle force et joie de vivre à la chanson. Le terroir hexagonal n'est pas en reste. Je laisse le dernier mot à la Bretonne Gwennyn, preuve jeune et actuelle que, avec la musique d'une région, la chanson française se porte au meilleur de sa forme:
sinon, pour revenir au texte, comme pour les BD qui peuvent faire pleurer, des chansons peuvent avoir le même effet. Le top pour moi, et c'est indétronable, c'est Orly de Jacques Brel. A chaque fois que je l'entends, j'y suis et mes yeux s'embrument tellement c'est beau et tellement on visualise la scène. C'est la force d'un texte parfait.
Et, sans atteindre le sommet de Brel, la chanson "Je suis une feuiile" de Renan Luce est dans son genre un bel exercice et une belle réussite.
Pas très actuelle cette liste, mais il n'y a pas grand chose à jeter tout de même, voire rien. Pour Souchon, je n'aurais pas mis celle-là (plutôt "S'assoir par terre") et puis Renaud, même si elle est très jolie, il y a d'autres indispensables d'autres auteurs avant. Mais l'ensemble se tient tout même très bien.