Dernière œuvre de jeunesse ou premier chef-d'œuvre de maturité ? Grosse claque en tout cas.
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Lorsqu'il se lance en 84 avec Ian Gibson dans
La Ballade de Halo Jones, Alan Moore a déjà entamé
V pour Vendetta, qu'il n'achèvera cependant que cinq ans plus tard et de l'autre côté de l'Atlantique.
La Ballade, elle, s'arrêtera prématurément suite à des démêlés avec l'éditeur, alors que Moore avait prévu de raconter toute la vie de son personnage, jusqu'à la vieillesse... et aux frontières mêmes de l'univers
(c'est du moins, entre autres choses, ce qu'on peut apprendre en fouillant sur le net anglophone, le point noir du volume, comme des deux autres de la même collection, étant la totale absence du début de l'ombre de l'idée d'un apparat critique). Tels quels cependant, les trois "livres" qui composent
La Ballade de Halo Jones peuvent se lire sans sentiment d'inachèvement, et surtout comme une œuvre déjà majeure dans la production du scénariste, par ailleurs admirablement secondé par Ian Gibson au dessin (malgré quelques difficultés pour identifier les personnages dans les premiers temps).
Au 50e siècle de notre ère, Halo Jones a grandi avec ses quelques amies dans l'Anneau, une sorte de ghetto pour pauvres, soigneusement cloisonné, flottant au large de Manhattan. Au programme : misère, violence, tensions raciales humains/extraterrestres, sectes, émeutes quasi-permanentes, quelques divertissements mais presque aucun espoir... Halo n'a rien d'extraordinaire, rien de particulier - hormis une chose : sa farouche volonté de s'en sortir et d'aller voir ailleurs. Ailleurs, sur un luxueux paquebot spatial où elle obtient un travail d'hôtesse. Ailleurs, surtout, dans les colonies où l'humanité mène de terrifiants conflits (rappelant directement le Vietnam et les Malouines...) au cœur desquels le "soldat Jones" va se retrouver brusquement propulsé.
Space opera féministe, épopée intimiste, variation en SF sur le
Voyage au bout de l'enfer de Cimino, "reconstitution" à la richesse et la précision sans guère de rivaux d'une société futuriste, et en même temps miroir (hélas ?) intemporel (près de 30 ans après sa publication, et 30 siècles avant l'époque où l'action est censée se situer, il ne fait aucun doute que l'on nous parle de nous, et de notre "actualité" toujours renouvelée),
La Ballade de Halo Jones c'est tout cela et bien plus encore. Assez souvent drôle, mais plus souvent encore dur et poignant, le triptyque contient également quelques-uns des personnages les plus émouvants jamais créés par Moore... et mérite, tout simplement, de compter parmi ses plus grandes œuvres. En un mot, donc : indispensable.