de zemartinus » 17/09/2009 19:03
Ce manga est du grand art, un chef-d'oeuvre d'onirisme, d'émotions fortes, d'images boulversantes, de construction scénaristique et de maîtrise des articulations de la bande dessinée... il pourra en rebuter certains par son côté dérangeant et déprimant et le flou final qui s'en dégage, mais il reste indéniablement une oeuvre incroyable.
L'action prend place dans une petite ville du Japon, et se fixe sur une classe de l'école du coin, alternant le récit entre deux époques (les élèves âgés d'une dizaine d'années/ce qu'ils sont devenus 11 ans plus tard). On suit ainsi la vie d'une poignée d'élèves et de quelques adultes qui les entoure, et tout particulièrement du jeune Suzuki, simple et banal en apparence mais en vérité très complexe, Komatsuzaki le "méchant" de la classe à la personnalité troublée, et la mignone Arakawa pas aussi "nette" que ce qu'il y paraît. Sans oublier l'institutrice Sakaki, le souffre-douleur Takahama, le petit bad boy Hayato, la rejetée Higuré, son grand frère aux agissements étranges... et bien sûr la mystérieuse Arié, plongée dans le coma après être tombée dans un puit à cause de ses camarades et qui semble avoir beaucoup d'importance ici. Tous ces personnages sont extrêmement bien caractérisés et les psychologies très bien traitées, Asano préférant la carte d'une introspection proche de la réalité plutôt que l'extraversion abusive que choisissent en général les auteurs de fiction.
L'histoire se divise en douze chapitres, chacun consacré tour à tour à l'époque "écolière" et à l'époque "jeune adulte". On suit ainsi avec attention à la fois le destin d'une classe d'élèves qui commencent à sortir de l'enfance et ce qu'ils sont devenus 11 ans plus tard, les évènements des deux périodes étant habilement liés par l'auteur, qui nous offre une lecture envoûtante et onirique. Et pourtant, on ne peut pas vraiment dire que ce soit trè gai.
En effet, on a d'un bout à l'autre du manga un aspect très sombre qui englobe l'ensemble, un exposé de troubles psychologiques, de traumatismes, de petites violences du quotidien, d'autres bien plus graves... le rendu est très glauque, avec un côté assez déprimant et malsain, vraiment dérangeant et déstabilisant de réalisme et de banalité, ça m'a pris aux tripes comme rarement une BD avait réussit à le faire. Moi qui ait tendance à rigoler devant l'exagération de la violence dans certains albums (ou films), là ça fait vraiment quelquechose. Il y a sûrement une part d'autobiographie dans cette oeuvre, on sent que d'un certain côté Asano a fouillé dans les pores les plus sombres de sa psyché et du coup ça nous touche également beaucoup, comme si cette oeuvre faisait remonter une part de nous-même ignorée.
Au niveau de la forme, c'est incroyable de maîtrise : l'enchaînement des cases, le rythme des dialogues, le découpage des planches, la composition des dessins, les jeux de lumière, jusqu'à l'emplacement des bulles, tout est magistralement pensé par l'auteur qui fait ce qu'il veut de nos émotions : mélancolie, horreur, joie, angoisse, tristesse... les planches d'Asano dégagent une force incroyable, c'est véritablement saisissant, il a su apprivoiser le medium BD comme peu d'auteurs ont réussit à aussi bien le faire. Les planches sont en plus relevées par un dessin très élégant, beau, avec un trait fin et soigné, des ombres et des éclairages agréables, des décors réussits, et des visages pleins d'humanité.
La construction scénaristique de l'album est également très bien faite, le tout formant un grand puzzle où tout s'emboîte parfaitement, où tel évènement énigmatique est éclairé 100 pages plus loin, où telle situation étrange trouve en fait sa source plus en amont. On a ainsi un grand plaisir à lire l'ensemble, il y a comme une forme d'envoûtement, un petit quelquechose qui nous pousse à nous accrocher, une construction intelligente qui nous agrippe. On se rend d'ailleurs vraiment compte de cette richesse dans les derniers chapitres du volume lorsque tout se boulverse, que rêve et réalité, présent et passé se mélangent, si bien qu'on en vient à douter de tout ce que l'on vient de lire. On a quelques pistes mais on ne comprend pas vraiment tout, et pourtant on n'en est nullement frustré, ça s'inscrit parfaitement dans l'ensemble de l'album, l'impression que dégagent les planches des derniers chapitres est tellement incroyable qu'au final on s'en fout de vraiment tout saisir ou non.
Boulversant, touchant, envoûtant, déstabilisant... cet album nous fait resentir une palette d'émotion assez incroyable, et explore de nombreuses thématiques : le traumatisme, les mécanismes sociaux de l'enfance, le destin, les violences (physiques et verbales) du quotidien et leurs répercussion, la solitude, le rejet, la brutalité du monde... le tout est entouré d'une enveloppe onirique et douce-amère qui fait toute la saveur de ce chef-d'oeuvre.