de D H T » 18/09/2011 16:22
Un axe de comparaison, où l'oeuvre d'Hergé se démarque des autres tout en rejoignant un peu celle de Franquin: la représentation de la folie. Que ce soit chez le prof ou l'écrivain ou ... qui perdent la raison dans "Les cigares du Pharaon" sous l'effet du poison-qui-rend-fou (idem dans "Le lotus bleu"), que ce soit dans les hallucinations et cauchemars diversement rencontrés ici et là ("Le crabe aux pinces d'or", "Le temple du soleil" et autres), il y a un regard psychotique et angoissant pratiquement absent des scénars de Goscinny qui, tout en finesse certes, privilégie la bonhommie et l'humour (voir les druides dans "Le combat des chefs" ou encore "La guérison des Dalton").
Sur ce point, Uderzo et Morris s'alignent alors que chez Hergé la rigueur, la tension et la fragilité du trait des personnages peuvent les faire basculer à tout moment dans l'abîme - cela ne se produit jamais ou presque, c'est l'épée de Damoclès. Hergé aurait pu prendre une autre direction en restant sur la première version de Tintin: celle des Soviets, celle de l'aventurier aux situations tellement improbables que sa débrouillardise (voire son opportunisme bricoleur) en fait presque un anti-héros, un Lagaffe avant l'heure.
Ce Tintin-là, qui insiste davantage sur le bagou, la nonchalance et le savoir-faire foutraque aurait pu, à la limite, devenir n'importe quoi: un enfoiré, un délinquant, ou un garçon de bureau. En le faisant évoluer vers la pureté, une pureté d'ange, Hergé introduit aussi un profond sentiment d'inquiétude face au désordre du monde. Là, implicitement, il s'éloigne du type "Gaston" (ou pré-Gaston) et s'expose aux Idées noires. Pour la vraie gaudriole, il faudra attendre l'arrivée de Lampion. Justement, c'est cette même arrivée qui finira par faire "retomber" l'oeuvre d'Hergé en cassant un horizon d'attente soigneusement construit au fil des albums.