de Remember » 30/05/2023 23:32
LE COMMUNIQUE DE PRESSE ( des avocats d'Isabelle Franquin: Claude Katz et Martine Berwette )
ARBITRAGE GASTON LAGAFFE : le principe d’une résurrection de Gaston est licite mais Dupuis et Dargaud-Lombard n’ont pas respecté le processus contractuel d’approbation et Isabelle Franquin a toujours le droit de faire valoir ses observations.
La sentence arbitrale prononcée à Bruxelles ce 30 mai 2023 par l’arbitre (l’avocat Jean-Ferdinand Puyraimond) autorise le principe d’une résurrection de Gaston mais pas sans limites et à condition de solliciter l’approbation préalable d’Isabelle Franquin (fille d’André Franquin et détentrice du droit moral) selon les formes prévues dans un contrat conclu entre parties en 2016.
Pour rappel, Dupuis et Dargaud-Lombard avaient annoncé le 17 mars 2022 à Angoulême, la résurrection de Gaston sous le crayon de Marc Delafontaine, alias Delaf, en prétendant y être autorisées et pouvoir avancer sans l’accord d’Isabelle Franquin.
Isabelle Franquin s’y était opposée relayant la volonté exprimée par son père, de son vivant, que Gaston ne lui survive pas sous le crayon d’un tiers.
Après un référé visant à interdire les prépublications des planches du Gaston par Delaf dans le Journal Spirou, la procédure d’arbitrage a été introduite en avril 2022 afin de trancher les questions suivantes :
- les sociétés Dupuis et Dargaud-Lombard ont-elles le droit de faire revivre Gaston Lagaffe sous le crayon d’un autre dessinateur?
- Dans l’affirmative, sont-elles libres d’imposer n’importe quel auteur/dessinateur de leur choix ?
- Les procédures contractuelles d’information d’Isabelle Franquin de tous les projets en cours et de validation des projets ont-elles été respectées par Dupuis et Dargaud-Lombard ?
- Isabelle Franquin a-t-elle exercé de manière abusive le droit moral ?
- Dupuis et Dargaud-Lombard sont-elles fondées à réclamer une indemnisation à charge d’Isabelle Franquin ?
L’arbitrage a été plaidé le 26 août 2022. La sentence a enfin été prononcée ce 30 mai 2023.
Se fondant sur le contrat conclu en 1992 par la SA Franquin qui autorise « toute nouvelle utilisation » de Gaston et son environnement, l’arbitre décide que Dupuis et Dargaud-Lombard sont autorisées à faire de nouveaux albums de Gaston. Il estime qu’André Franquin n’a pas été univoque dans ses déclarations quant au fait que Gaston ne puisse lui survivre sous le crayon d’un autre dessinateur après sa mort, de sorte que l’écrit (le contrat de 1992) doit prévaloir.
L’arbitre pose toutefois des limites à cette autorisation de « principe ».
Primo, Dupuis et Dargaud-Lombard n’ont pas le droit de faire réaliser ces nouvelles aventures par « n’importe quel » dessinateur/auteur de leur choix. Isabelle Franquin dispose du droit d’émettre des objections quant à ce choix pour des motifs éthiques ou artistiques. Idem quant au contenu de ces nouvelles BD.
Secundo, Dupuis et Dargaud-Lombard doivent respecter le processus d’approbation fixé par une convention conclue avec Isabelle Franquin en 2016.
L’arbitre constate que ce processus n’a pas été respecté pour le projet de Gaston par Delaf dès lors que Dupuis et Dargaud-Lombard:
- ont caché à Isabelle Franquin, pendant 5 ans, ce projet de nouvelle BD alors que la convention de 2016 leur imposait de l’informer, tous les 6 mois, de tous les projets en cours,
- n’ont pas communiqué à Isabelle Franquin de délai pour faire valoir ses observations, en lui transmettant les essais de planches en décembre 2021, alors que la convention de 2016 l’imposait.
L’arbitre en conclut que le projet de Gaston par Delaf n’a pas été approuvé par Isabelle Franquin et qu’elle est toujours en droit de faire valoir ses observations sous l’angle éthique ou artistique.
L’arbitre rejette par conséquent la demande de réparation du dommage invoqué par Dupuis et Dargaud Lombard qui n’est que le résultat de leurs propres manquements au contrat et décide qu’Isabelle Franquin n’a commis aucun abus du droit moral, en s’opposant par principe à la résurrection de Gaston.
L’arbitre partage les frais de cette procédure d’arbitrage par moitié entre les parties.
Le droit moral qu’exerce Isabelle Franquin sur l’œuvre de son père ressort intact, quoique modalisé (comme l’y autorise le droit belge, contrairement au droit français) : son accord est indispensable pour toute nouvelle création, en ce compris sur le choix de l’auteur. Tout refus de sa part doit être justifié par des motifs éthiques ou artistiques.
Isabelle Franquin ne comprend pas le comportement de Dupuis et Dargaud-Lombard dans ce dossier : pourquoi ne pas l’avoir informée dès que le projet de résurrection a été envisagé comme l’y obligeait la convention signée en 2016 ? Pourquoi lui avoir caché ce projet durant 5 ans ?
Bruxelles, le 30 mai 2023.